Une alternative à l’EDR : le Revenu de Base

Sur le vaste spectre des solutions au problème de la pauvreté, l’Employeur en Dernier Ressort (EDR) occupe une place plutôt médiane entre le pôle individualiste et le pôle collectiviste. Cela lui vaut de nombreuses critiques des deux côtés. Ceux qui sont libéraux ou libertaires, parfois jusqu’à l’anarchisme, y voient la main-mise rampante et sournoise de l’État (par exemple le courant MMR) ; les collectivistes les plus acharnés y voient une compromission et une pérennisation coupable du capitalisme qui, ils en sont convaincus, ne manquera pas de déliter ces structures trop favorables dès le vent du boulet passé (Et l’histoire leur donne parfois raison. On trouve parmi eux ceux qui se revendiquent ouvertement anarchistes).

Depuis peu, je fus amené à étudier plus précisément le Revenu de Base (RB), aussi appelé Allocation Universelle, Dividende Universel, etc. Sa version la plus simple consiste à allouer à chacun la même somme inconditionnellement et périodiquement. Cet excellent article du journaliste indépendant Stanislas Jourdan sur Bastamag (via creationmonetaire.info) expose bien la chose. En résumé, et contrairement aux vulgates libérales les plus primaires, lors des différentes initiatives depuis les États-Unis jusqu’au village Otjivero-Omitara (Namibie), la mise en place des divers systèmes ne se traduit pas par l’effondrement du travail au profit de l’assistanat, mais par une amélioration significative du niveau de vie.

Dans le détail, on observe des disparités quant à l’évolution du rapport au travail, dont on pourrait dire qu’il sont une relativisation de cette valeur :

Dans le village africain d’Otjivero-Omitara, le revenu avant RB augmente de 29 % (et de 86 % avec le RB) en une année avec l’impulsion économique donné à ce pays autrefois laminé par la misère (il arrivait fréquemment qu’on s’endorme en ayant rien mangé de la journée). C’est-à-dire que, comme le mentionnait l’économiste canadien Marc Lavoie, pour les pays sous-développés aussi, le manque de demande globale, c’est-à-dire de pouvoir d’achat dans l’économie, aboutit à une sous-utilisation des capacités productives. Ce n’était pas très difficile à imaginer : un misérable errant en vain toute une journée pour s’endormir le ventre vide peut-il vraisemblablement être estimé « employé à pleine capacité » ? Les résultats sont assez spectaculaires, toutes proportions gardées : les enfants arrivent nourris et en forme à l’école, les revenus de l’auto-entreprenariat ont quadruplé, et l’ensemble de l’expérience semble globalement indubitablement positive.

Aux États-Unis, on n’observe pas une telle floraison d’activité économique mais plutôt un recentrage : les gens continuent à travailler, avec une baisse du volume horaire de 1 à 8 % chez les hommes mariés, contre 15 à 20 % chez les femmes mariées, et même de 15 à 27 % chez les mères isolées. L’interprétation est assez claire : le travail demeure une valeurs prisée, mais l’autonomie délivrée par le RB permet de moins le subir, tout particulièrement les mères isolées, éternelles proies du temps partiel subi, le loisir ou d’autres foncions comme l’éducation des enfants s’émancipent de la logique marchande.

Sitôt une certaine sécurité économique assurée, on envisage sereinement l’option parmi d’autres de travailler. On travaille pour améliorer sa vie, plutôt que pour fuir la misère. C’est un point de vue qui me semble très respectable : pourquoi faudrait-il s’enchaîner à la misère pour la fuir ? Pourquoi faudrait-il sans cesse recréer le gouffre de la misère sous nos pieds pour avoir envie de s’enrichir ? N’est-ce pas précisément pour fuir ce harcèlement du quotidien qu’on s’enrichit, et l’obligation de devoir trouver des motivations plus nobles que la chute dans la misère pour continuer à s’efforcer au travail n’est-elle pas souhaitable ?

Le gros avantage du Revenu de Base par rapport à l’Employeur en Dernier Ressort est que l’immixtion de l’État dans les affaires individuelles est minimaliste : ça plait aux individualistes de tout poil. Ainsi, même Alternative Libérale, le très libéral parti soutenu par le non-moins libéral Alain Madelin, soutient l’idée, une idée qu’avait déjà défendue Milton Friedman par pragmatisme, sous forme d’un impôt sur le revenu négatif lorsque le revenu est trop faible. Au contraire, l’EDR leur donne de l’urticaire.

Le gros inconvénient, c’est qu’il n’y aucune espèce de pédagogie dans le RB. Le besoin est si criant que le village namibien a créé un comité de conseil quant à son utilisation. Il n’y a aucune valeur intrinsèque à ces simples revenus, et on voit que le taux de chômage un an après demeure élevé à 45 %, bien en deçà des 60 % initiaux il est vrai. Un EDR serait beaucoup plus efficace contre le chômage, et beaucoup plus pédagogique quant au lien entre la monnaie donnée par la collectivité et le sens de la contrepartie qu’elle devrait entraîner (puisque la communauté fait l’effort de la donner). Stanislas Jourdan cite l’exemple un peu caricatural de l’homme s’écriant qu’« il est maintenant un homme » parce qu’il est vêtu. Nous sommes tous bien sûr très heureux qu’il puisse enfin s’habiller, et qu’il ait fait tant de progrès en une année, mais je crois que nous souhaitons tous également qu’il parvienne à un sens plus subtil de la dignité humaine, même s’il lui faudra de toute façon du temps. Une éternelle aporie du libéralisme est de ne pas voir que la liberté est trop faiblement constructrice : plus on veut construire ambitieux, vite et grand, plus il faut une organisation centralisée, précisément ce que les libéraux veulent éviter. Mais il est vrai que la liberté est un puissant correcteur de trajectoire, lorsque le plan d’ensemble dévie de son objectif…

Bien. Maintenant, qu’est-ce qu’un regard néochartaliste pense de tout cela ?

D’abord, tout comme l’EDR, le RB est optionnel et ne doit pas amener le lecteur rebuté par ce genre de perspective à rejeter l’ensemble du néochartalisme. Ensuite, toutes les versions du RB ne se valent pas, selon les objectifs économiques que le néochartalisme cherche à atteindre : stabilité des prix, plein emploi, croissance élevée.

Les néochartalistes tiennent beaucoup aux stabilisateurs automatiques : ils font varier les sommes de chacun reçues ou payées par l’État de manière à redonner au fonctionnement du marché sa stabilité et son financement. Or, donner un revenu uniformément à tous et sans considération des conditions économiques peut être inflationniste : si l’activité est déjà soutenue, le marché déjà en situation de plein emploi et l’inflation déjà à contenir, rajouter ce revenu donnerait un pouvoir d’achat qui n’aurait pas sa contrepartie réelle, donc qui surenchérirait sur l’existant de manière inflationniste. Il est vrai que nous en somme loin actuellement en Occident. Mieux, à mesure que l’inflation augmenterait les prix, les taxes de l’État augmenteraient et les allocations baisseraient (très peu, le RB est justement destiné à remplacer beaucoup de ces allocations) jusqu’à compenser l’injection par RB, et les prix se stabiliseraient à ce nouvel étiage. Si le RB ne vise pas une somme fixe, mais un standard de vie, il pourrait y avoir une inflation pérenne, voire une hyperinflation, car le RB servirait à surenchérir sur ce niveau de vie et augmenteraient donc avec ses prix. Exemple caricatural mais clair : Si on fixe un RB pour élite à hauteur du prix du tableau de la Joconde de Vinci, même si une partie de ces élites achèteront d’autres tableaux, ceux qui désireront la Joconde surenchériront et le RB ne cessera d’augmenter jusqu’à ce qu’ils fuient la Joconde maudite ou qu’on change le mode de calcul du RB.

Le RB est souvent inefficace : il dilue sur tout le monde la monnaie dont tout le monde n’a pas également besoin. Mieux vaut un impôt négatif qui profite d’abord à ceux qui n’ont pas de revenu, et leur permet de toujours bénéficier d’un revenu supérieur malgré la perte progressive de revenu de base, plutôt qu’un don uniformément réparti. Voici un exemple de calcul d’un RB respectueux du néochartalisme :

I = T x R – RB

Avec I le montant d’impôt à payer sur son revenu, T le taux d’impôt sur ce revenu, R ce revenu, et RB le Revenu de Base. Si T = 30 %, RB = 1 400 (le Smic français actuel), et R = 500. Alors I l’impôt à payer est de – 1 250, soit 1 250 à recevoir, donc un revenu total de 1 750. On ne pourrait alors pas descendre en-dessous de 1400 (avec R = 0) et I remonte à 0 lors d’un revenu de 4 667, après on paie toujours plus d’impôt avec l’augmentation de son revenu. On peut imaginer d’autres modes de calcul pour affiner le RB qu’on souhaite distribuer. Ça remplacerait avantageusement le RSA, mais Alternative Libérale propose un autre calcul avec un RB plus faible : I = T x (R + 400) ; on peut en imaginer encore d’autres.

Point beaucoup plus important encore pour un néochartaliste : il est impératif de comprendre le fonctionnement réel de la monnaie si on ne veut pas que les efforts dans un RB soient réduits à néant. En effet, si on poursuit simultanément l’objectif d’un RB par la redistribution et un déficit zéro « pour rendre les finances de l’État pérennes », prétendument pour pérenniser aussi le RB, on détruirait intégralement toute l’économie, avantages du RB inclus. Au mieux, dans un premier temps, le RB accélérera la paupérisation des plus riches et ralentira celle des plus pauvres voire permettra une amélioration initiale, puis, à mesure que toute la dette publique dont on fait la contrepartie de l’émission de monnaie souveraine sera remboursée sans nouvelle dette (conséquence d’un déficit zéro), l’économie sera vidée de sa monnaie, les crédits ne seront plus soldés et une panique bancaire s’ensuivra, enfin, pour continuer à équilibrer son budget, et ne pouvant taxer que de moins en moins vu la monnaie toujours plus rare qui reste dans l’économie, le Trésor taillera dans les dépenses dont, inéluctablement, le RB lui-même. Peut-être comrpendra-t-il enfin qu’il lui faut d’abord distribuer la monnaie dans laquelle il taxe, vu que c’est lui qui détient le monopole de son émission.

Un RB « financé par l’impôt » comme le reste du budget serait la mort du RB.

Conclusion

Bien que ma préférence personnelle aille vers l’Employeur en Dernier Ressort, je ne serais que faiblement surpris que ce soit le Revenu de Base qui finisse par l’emporter dans notre société française contemporaine. L’individualisme me semble tout simplement trop ancré dans les mœurs, le sens d’un projet commun, ou même d’une communauté de destin trop affaiblie pour assurer un EDR qui le renforcerait pourtant.

Détails intéressants, ceux qui préfèrent le RB à l’EDR font très souvent preuve d’un grand amateurisme en matière économique (y compris au sens noble), et on sent que c’est la préoccupation sociale qui les motivent d’abord, et qu’ils cherchent la cohérence économique ensuite. À l’inverse, ceux qui préfèrent le « marché » à l’EDR sont le plus souvent des sceptiques individualistes plutôt anarchistes et abhorrent encore plus le RB (par exemple les partisans de l’étalon-or), préférant la « valeurs-travail », celle d’ailleurs, à l’origine de la pensée libérale, chez Adam Smith. Et les néochartalistes sont les seuls que je connaisse à avoir autant la valeur du travail à cœur que la valeur d’harmonie sociale (tant collective qu’individuelle).

PS : Voici en anglais une évaluation d’une expérience d’EDR en Inde. Dans Full Employment Abandoned, William Mitchell et Joan Muysken discute d’autres expériences analogues encore.

25 Commentaires

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25 réponses à “Une alternative à l’EDR : le Revenu de Base

  1. L’EDR a été testé en URSS et en Chine (et dans une moindre mesure en France) avec les résultats que l’on connaît.

    Partout où le RB a été installé il a amélioré la situation tant sociale qu’économique.

    L’expérience va donc dans le sens d’une utilisation plus large du RB. Dans l’espace et dans le temps.

    Seule l’expérience constitue un critère valable d’approbation d’une théorie scientifique. Le RB doit donc être expérimenté sur la base des excellents résultats déjà enregistrés.

  2. Il n’y avait vraiment que Gidmoz pour écrire des commentaires d’une telle mauvaise foi. Je te recommande le PS de l’article où tu commentes. Tu sais ce qui se passe si tu refuses un emploi EDR et montes ta propre boîte ? Rien. Tu sais ce qui se passe si tu refuse un emploi dans feu l’URSS ? 4 ans de goulag.

    Mais tu as raison bien sûr, seul un tocard pourrait ne pas voir que c’est la même chose.

    Et encore une fois cf le PS, ou mieux Full Employment Abandoned de Mitchell et Muysken

  3. grosrené

    Très intéressant !

    On peut aussi imaginer un compromis entre l’EDR et le RB : par exemple, un EDR à 10 heures de travail hebdomadaire.

    De cette manière, la valeur « pédagogique » de l’EDR est conservée, mais l’esprit du RB, qui laisse les gens plus libres de leur temps, subsiste également.

    (Vu comme ça, le RB n’est qu’un cas limite de l’EDR avec 0h de travail règlementaire…)

  4. L’EDR peut, et devrait offrir des temps partiels. En revanche, ça se ferait à salaire partiel…

  5. Tu peux ajouter à ta liste de références sur le sujet les propositions et les réflexions de Jean Zin qui sortent des sentiers battus:
    http://jeanzin.fr/index.php?post/2012/05/17/Du-revenu-garanti-aux-cooperatives-municipales
    Son point philosophique central privilégie l’autonomie des personnes.
    Sa cible d’action privilégiée: le niveau local et plus précisément la municipalité.
    Il suggère que le revenu garanti s’appuie sur une institution. Sa proposition est celle des coopératives municipales + revenu garanti + monnaie parallèle.

  6. Donc grevant le faible budget municipal. Intérêt faible par rapport à ce que j’ai déjà écrit. L’intérêt de l’EDR est de servir de tampon et de stabilisateurs automatiques (budget de l’émetteur de la monnaie). Si c’est à dépenses constantes, ça perd beaucoup de son intérêt.

  7. Non, ce n’est pas aussi naïf, l’ensemble est bien pensé en terme de système. Lis la proposition complète de JZ dont la philosophie est très proche de la tienne et ses connaissances économiques sont tout à fait solides.
    De mon point de vue, sa proposition combine à la fois les avantages de l’EDR et ceux du RB. C’est une sorte d’EDR au niveau municipal qui est émetteur souverain de monnaie parallèle. Il se place dans le cadre actuel qui est celui de la non souveraineté monétaire à l’échelle nationale.

  8. Je te taquinais :)

  9. Ah, ouf. J’ai eu peur. Désole :)

  10. grosrené

    Justement, pourquoi ne pas envisager un EDR dont temps légal (et donc le plein salaire) correspondrait à un temps partiel d’aujourd’hui ?
    Le « lien entre la monnaie donnée par la collectivité et le sens de la contrepartie » qui vous est cher existe toujours dans cette hypothèse.

    Pourquoi la seule contrepartie valable exigée par la société ne pourrait être que >=35h/semaine pour un salaire entier ?

    L’idée du RB repose aussi sur l’idée que les gens créent de la valeur en occupant spontanément leur temps libre. Avec le RB, il n’existe plus de travail non rémunéré (travail domestique, création artistique, bénévolat associatif, etc.).

    Ma proposition conserve en partie cette vision du temps libre au sein de l’EDR.

  11. C’est une option. Mieux vaudrait proposer un EDR avec possibilité de temps partiel et un RB de manière à ce que le temps partiel EDR plus le RB donnent le niveau de vie souhaité pour le temps collectif visé. Ce serait moins déstabilisateur ainsi…

  12. Neo

    Bonjour,

    Quelques questions sur l’EDR.

    Un EDR qui verraient regulierement ses effectifs croitrent ou décroitrent ne serait-il pas confronté à d’importantes difficultés de planification et d’organisation de son activité?

    Quelles activités lui seraient confiées?

    Envisagez vous un EDR en concurrence avec le secteur privé? Si c’est le cas, comment éviter les distorsions de concurrence?

    Quels types d’emplois seraient proposés par l’EDR? Et, quels qu’ils soient, ne craignez vous pas que ces emplois n’apparaissent toujours que comme des emplois « bas de gamme »? Mal perçus, tant par les salariés que par les employeurs, générant ainsi une sorte d’effet d’évitement?

    Dans le même ordre d’idées, si l’EDR constitue en quelque sorte un minimum auquel un salarié pourrait prétendre, ne craignez-vous pas que le « secteur public » (je vois l’EDR comme une branche du secteur public) doivent se « contenter » des salariés les moins performants? Laissant ainsi au privé l’avantage de continuellement disposer du personnel le plus efficace?

    Enfin quid de la qualité des emplois ainsi proposés? J’ai remarqué ( et apprécié) vos commentaires sur l’apport de « sens » via le travail. J’ai cependant envie d’ajouter que, si un travail avec un certain degré de qualité peut (parmi d’autres choses) être générateur de sens. Un emploi « bête et méchant » que l’on accepte parce qu’il faut bien vivre ou un emploi « occupationnel » cela n’apporte guère de sens (positif en tout cas) dans la vie des gens.

    Je précise quelques points de ma démarche. Je ne critique pas je questionne! J’apprécie beaucoup le concept d’EDR. Je me demande si celui-ci est opérationnalisable. Mes questions sur les « performances » du public et du privé ne sont pas des jugements de valeurs. Je travaille (avec sens et plaisir) dans le secteur public… Et suis régulièrement confrontés à des questions similaires.

    Cordialement!

  13. Un EDR qui verraient regulierement ses effectifs croitrent ou décroitrent ne serait-il pas confronté à d’importantes difficultés de planification et d’organisation de son activité?

    C’est un défi comme les adorent les technocrates (qui n’ont pas que des défauts). Ceux que visent l’EDR sont de facto ceux qui sont les moins qualifiés, car ce sont eux qui sont le plus les victimes du chômage (surtout lorsque l’économie retrouve des couleurs, ce qui est le but). Cela signifie aussi que l’EDR sera inégalement réparti géographiquement. Ensuite, les projets seront distingués entre projets prioritaires et projets flexibles, les prioritaires étant ceux qui sont contraignants en terme de délai ou de nombre requis d’employés. Les projets prioritaires devront être joints à des projets flexibles de manière à ce que les fluctuations de l’économie n’aient pas le temps de les prendre de court, mais vident d’abord les projets flexibles. Etc.

    Quelles activités lui seraient confiées?

    Ce sera l’objet d’un compromis politique. Roosevelt avait réaménagé le détroit du Mississipi et la Nouvelle Orléans n’avait plus subi les ouragans depuis lors, jusqu’à ce que l’entretien soit privatisé et que l’incurie du privé laisse Katrina, un ouragan banal, dévaster la ville. Roosevelt avait également alphabétisé nombre d’adultes illetrés, et il me semble qu’on commence de plus en plus à avoir ce type de besoin en France, malheureusement. Pour les moins qualifiés, on peut imaginer le nettoyage de zone plus ou moins naturelle ou on laisse habituellement les déchets plastiques et autres s’accumuler. Généralement, les partisans de l’EDR souhaitent des « activités sociales » mais il faudrait préciser. Tout projet avec de fortes externalités positives (c’est-à-dire de grosses difficultés à faire payer les bénéficiaires de l’activité) est a priori un bon candidat pour l’EDR, car le marché privé rationne fortement la production des biens communs non-individualisable. On pourrait démultiplier la restauration de monuments historiques en laissant les spécialistes à leur travail de spécialistes et en s’occupant de toute la partie logistique lourde et peu qualifiée, etc. On peut imaginer l’incorporation ponctuelle de qualification si l’employé EDR en donne l’opportunité, par exemple on peut utiliser un comptable non sur le chantier, mais pour tenir la comptabilité du chantier…

    Enfin, il faut des objectifs à réaliser, réalistes mais clairs et consistants, pour que tout le monde travaille bien…

    Envisagez vous un EDR en concurrence avec le secteur privé? Si c’est le cas, comment éviter les distorsions de concurrence?

    C’est une possibilité, mais ça complique les choses. Il faudrait des règles additionnelles :
    L’entrepreneur privé postulant pour être employeur EDR doit fournir des preuves de sa capacité (une entreprise déjà lancée et réussie, expertise dans le domaine où il veut se lancer, longue expérience fructueuse à la tête d’une entreprise, etc.), un succès chez l’EDR doit lui permettre de recommencer et en plus grand, un échec doit lui fermer les protes.
    Ceux qui étudient son dossier doivent être impactés financièrement en fonction du résultat. L’employeur doit posséder des biens saisissable en France au cas où ça dégénérerait, par exemple un apport personnel versé au capital de l’entreprise EDR nouvelle.
    Il faut fixer à l’avance un calendrier de rentabilisation, avec saisie de l’entreprise si l’échéancier n’est pas respecté et mise sous statut privé avec négociation salariale immédiate aussitôt que l’entreprise est rentable (mettons deux trimestres).
    Interdiction doit être faite à des entreprises passant commande à une telle entreprise EDR pour sous-traitance de recréer une entreprise EDR lorsque la première relève ses salaires, avec fortes amendes à la clé ou sais de l’entreprise laminant ainsi sa sous-traitance.

    Le plus probable, c’est que ce genre de dispositif, subtil, complexe, ne se mettra en place, avec son indispensable période de rodage, qu’une fois un EDR plus modeste, cf ci-dessus, entré dans les mœurs. Cet EDR 2.0 serai pourtant encore plus efficace et encore plus sympathique au marché : ce serait une sorte d’incubatrice entrepreneuriale géante…

    Quels types d’emplois seraient proposés par l’EDR? Et, quels qu’ils soient, ne craignez vous pas que ces emplois n’apparaissent toujours que comme des emplois “bas de gamme”? Mal perçus, tant par les salariés que par les employeurs, générant ainsi une sorte d’effet d’évitement?

    D’une part, tout le monde peut avoir des moments de faiblesse, être pris au dépourvu, même les meilleurs. Que les libéraux dominants qui jugent que personne de valeurs ne peut sortir de l’EDR commence par renier Milton Friedman qui les a remis aux rênes du pouvoir et qui a approuvé le programme de Roosevelt dont il avait bénéficié personnellement avec sa femme au plus fort de la dépression (cf Les Bases 8. L’employeur en dernier ressort).

    Maintenant, il ne faut pas se leurrer, les plus faibles, les plus inaptes à la féroce compétition du marché privé seront surreprésentés chez l’EDR. On trouvera nettement plus d’immigrants récents baragouinant à peine la langue, de dépressifs dociles mais peu combatifs, de personnes ayant divers problèmes psychologique à commencer par la confiance en soi, etc. Pour les cas trop graves, l’EDR devra les refuser et d’autres services de l’État devra les prendre en charge. par exemple, les handicaps lourds du type trisomie ou tétraplégie ne seront pas réglés d’un coup de baguette magique par l’EDR, évidemment. Pour les personnes apeurées, l’EDR sera en soi une thérapie. Mieux, comme le marché privé ne sera plus déprimé par un manque de demande global chronique et croissant, le privé emploiera plus volontiers des personnes « qui ne sont pas des cadors mais qui font le boulot » plutôt que de les refuser systématiquement au prétexte qu’il « ne garde que les meilleurs ». Et travailler les améliorera et les entretiendra. cf le graphique de Fascinante offensive à outrance.

    Dans le même ordre d’idées, si l’EDR constitue en quelque sorte un minimum auquel un salarié pourrait prétendre, ne craignez-vous pas que le “secteur public” (je vois l’EDR comme une branche du secteur public) doivent se “contenter” des salariés les moins performants? Laissant ainsi au privé l’avantage de continuellement disposer du personnel le plus efficace?

    Non, je ne le crains pas, parce que le privé les paiera plus cher. Ce n’est pas parce qu’un projet est fait un peu plus lentement et par un peu plus de monde qu’il ne vaut rien. Je préfère que tout le monde ait la possibilité de donner à la communauté et que chacun reçoivent selon sa performance, plutôt que de procéder à « une euthanasie économique », un « eugénisme économique » ou les plus forts créeraient un seuil de rentabilité qui serait sacré seuil d’existence économique.

    Moi aussi, cordialement :) Et puis bonne nuit, vue l’heure.

  14. Précis. Bien vu !

  15. Je fais une proposition un peu différente de l’EDR pour réguler le chômage. Je pars du principe qu’une grande quantité d’activité relevant du domaine social n’est pas couvert aujourd’hui. J’estime qu’il est du ressort de chacun d’y participer. Je propose que chaque personne pourrait répartir son temps entre 3 domaines d’activité: domaine productif, domaine affectif et domaine social. L’idée c’est qu’on aurait le choix, soit de cotiser plus au domaine social mais de ne pas s’y impliquer directement, ou bien d’y participer et d’y cotiser moins. Le tout doit bien sûr être encadré institutionnellement par la loi, de la même façon qu’il y a un droit du travail et un droit de la famille. D’après mes estimations, si on déplaçait 10 à 20% du temps actif du domaine productif au domaine social, on devrait pouvoir réguler le chômage entre 2 et 3% qui me semble être le taux de friction ou d’ajustement minimum irréductible (le tampon pour l’emploi). L’avantage de cette proposition, c’est qu’elle est moins stigmatisante que l’EDR (les bons dans le domaine productif concurrentiel et les moins bon dans le domaine EDR. De même que c’est à la monnaie de s’adapter à l’activité et non la conditionner, il me semble que c’est aux divers domaines d’activité de s’adapter aux gens comme ils sont, de faire avec leur employabilité telle qu’elle est à un moment (sans pourtant renoncer aux actions plus long terme de formation). C’est à la société d’être accueillante et de faire une place à chacun dans la mesure de ses moyens et les nôtres sont considérables. Nous ne sommes pas des esquimaux dont la précarité économique peut justifier d’abandonner les plus faibles sans quoi c’est leur survie même qui est en jeu.
    http://solidariteliberale.hautetfort.com/archive/2005/04/29/le-contrat-de-travail-mixte-co.html

    Malgré tout il reste un domaine EDR qui me semble irréductible, toutes les tâches qui relèvent d’une logique productive mais qui ne se développent pas sur la marché tel qu’il est. Dans ce cas, l’état pourrait créer des emplois pour lesquels les employés pourraient aussi distribuer leur temps entre les 3 domaines (productif en EDR, affectif/famille, social)

  16. Oui, je l’ai lu ton commentaire et c’est ce qui m’a amené à rappeler ma proposition dont la première mouture date de 1998 (celle en lien a été réactualisée). Les deux approches sont voisines et en grande partie compatibles, mais j’attire l’attention sur le fait qu’il y a un stock stable de travail ordinaire à faire qui relève d’une logique sociale qui n’est ni celle de la famille, ni celle de la production. Ce stock très routinier et très stable était caché jusqu’à ce que les femmes passent massivement au monde dit actif. Ce domaine est aussi renforcé du fait du vieillissement et du mode de vie plus individuel avec plus d’isolement. J’avais tenté d’en évaluer le volume de façon grossière et je suis arrivé à 10 à 20% du temps de travail actuel. C’est pourquoi je propose une approche institutionnelle classique pour encadrer ce domaine social. Alors que l’EDR est plus spécifiquement un complément qui sert à pallier les carences du marché qui peuvent être très fluctuantes, mais sans distinction de logique d’activité. Comme je le dis plus haut, l’EDR a un aspect stigmatisant (les faibles dans l’EDR et les forts dans le marché) que ma proposition n’a pas (tout le monde s’y colle). Donc je verrais bien un domaine social stable nouveau et un EDR pour le reste plus fluctuant de l’activité en complément du marché.

  17. Dans le commentaire en question, je mettais que l’EDR peut aussi faire du social. Maintenant, par expérience, je sais que l’efficacité sociale est difficile à mesurer, donc à rémunérer. Ce serait un truc militant plutôt pour le loisir ou le RB que pour être un projet EDR, je te le concède volontiers…

  18. Je retiens l’essentiel de la démarche qui vise à ne laisser personne de côté, ce qui fait une sacrée différence avec la situation actuelle où on s’est habitué à « la lutte des places » et à l’exclusion (titre d’un livre de Vincent de Gaulejac que je recommande vivement). Je tiens beaucoup à la notion de mise au monde symbolique qui incombe à la société et à chacun de nous (mais tout seul on ne peut pas grand chose, seule la société peut avoir la force et la légitimité rituelle pour délivrer cette mise au monde), c’est à dire l’exacte contraire de l’exclusion qui est en premier une exclusion symbolique qu’on pourrait résumer par: « tu n’es pas assez bon pour faire partie de l’humanité ». Le discours de droite des derniers temps, y compris de la droite dite sociale de Wauquiez, était de plus en plus imprégné de ce message d’éjection symbolique, ça devenait vraiment diabolique, je pèse mes mots.

    Jean Zin, que je t’ai signalé plus haut, attache lui la plus grande importance à la qualité de l’activité dans le sens où il se préoccupe non seulement d’aménager une place à chacun, mais en plus que l’autonomie de chacun soit une préoccupation constante de cet aménagement. C’est tout le sens de son système (coopérative municipale+revenu garanti+monnaie locale souveraine).

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