Clinton tétanisé par le mythe

Petite citation de Bill Clinton, rapportée par diverses sources concordantes, et qui dénote l’emprise du mythe de la dette publique sur les esprits non-préparés.

Alan Blinder, le nouveau président délégué de Laura Tyson au CEA, fit remarquer qu’un plan courageux de réduction des déficits publics dépend de la bonne volonté des traders sur les marchés à acheter des obligations, et ainsi à réduire les taux d’intérêt à long terme, et de la bonne volonté de la Federal Reserve à réduire les taux d’intérêt à court terme. Il a franchement douté que les marchés obligataires se comportent de la sorte, durant une administration démocrate. Le président tout juste élu murmura distinctement : « Vous êtes en train de me dire que le succès de mon programme et de ma réélection dépend de la Réserve Fédérale et d’une bande de putains de traders obligataires ? »

Hamilton Nigel, Bill Clinton : Mastering the Presidency, Century, 2007, 784 p., p. 20

Blinder est bien nommé : Effectivement, les taux d’intérêts à court terme dépendent de la Fed, et ce parce que la banque centrale finance de manière illimitée le marché des bons du Trésor au taux directeur choisi — c’est précisément ce qui permet au taux directeur d’exister ! — donc, il n’y a aucun problème de financement, et les taux à long termes, qui dépendent effectivement pour partie des jeux spéculatifs des traders, n’ont aucune importance puisqu’il est de toute façon possible de se financer (ne serait-ce qu’à court terme, et de court terme en court terme, éternellement), et encore plus parce que les spéculations essaient d’anticiper ce que sera le taux à court terme à maturité, donc restent in fine déterminés par ceux-ci (quoique nettement plus lâchement), comme le montre superbement le Japon, incontestablement le pays au taux à court terme le plus stable du monde durant ces deux dernières décennies.

Malheureusement, Clinton n’a pas eu ces explications, auprès de Blinder ou de Greenspan, et il déclencha une nouvelle vague de déréglementation financière, avec les Rubinomics, dont l’abrogation du Glass-Steagll Act en 1999, loi que nous ne parvenons pas à rétablir plus de cinq ans après le début de la crise financière la plus grave depuis les années 1930… qui avaient abouti au Glass-Steagall.

6 Commentaires

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6 réponses à “Clinton tétanisé par le mythe

  1. Oui, certes, d’accord, si tu veux.

    Mais le problème est le montant des intérêts que doit payer l’Etat chaque année.

    Quand un Etat doit payer de plus en plus de milliards d’euros d’intérêts chaque année, ce sont des dizaines de milliards d’euros en moins pour investir dans les universités publiques, pour investir dans l’hôpital public, pour investir dans les nouvelles sources d’énergie, etc, etc.

    C’est ça, le problème.

    Le pourcentage du service de la dette dans le budget de l’Etat augmente de plus en plus, au détriment de toutes les autres missions de l’Etat.

    Et ça devient intenable.

    En Europe, les dettes publiques vont tout faire exploser.

  2. Tout à fait d’accord. C’est d’ailleurs assez ironique de constater qu’un des premier poste de dépense d’un état socialiste (= qui prend aux riches pour donner à tous) est de prendre à tous pour donner aux riches (= paiement des intérêts de la dette).

  3. Pas nécessairement. Si les milliard versés pour les riches, sous forme d’intérêts sur la dette publique, ne ruissellent pas ou peu (et ça fait des années que la théorie du ruissellement n’est plus défendue encore moins trompétée comme jadis), par exemple parce qu’ils le laissent sur les marchés financiers ou le thésaurisent, alors il est possible de dépenser pour les deux : et les riches et les étudiants (ou autre). Toutefois, dans l’absolu, il est vrai qu’il y a une rente de situation créée illégitimement à des personnes n’en ayant manifestement nul besoin. Cela crée un problème de redistribution, mais pas, ou peu, de financement. Même au Japon, et malgré 250 % du PIB de dettes, la part d’intérêts versés sur la dette allant effectivement dans les mains privées est moindre que 1 % du PIB, ce pourcent n’allant pas nécessairement concurrencer les achats des autres, d’après tous les échos que j’en ai eu (il serait dans l’absolu préférable de vérifier). Le problème de distribution devient parfois très aigu lorsque les biens sont rationnés, comme le logement en zone déjà dense : les riches se mettent à accumuler les résidences secondaires, même inoccupées, et les pauvres ont de plus en plus de mal à trouver de la place, a fortiori de la place bon marché.

    Donc je suis tout à la fois contre les intérêts sur la dette publique (et la dette publique aussi, d’ailleurs). Mais aussi contre l’excuse du budget qui devrait en priorité servir à « payer » la dette. Les intérêts jouent sur les inégalités, pas sur les capacités de financement de l’État.

  4. 85 milliards d’euros.

    Chaque année, l’Italie doit payer 85 milliards d’euros pour les intérêts de sa dette publique : record historique battu.

    En 2014, la dette publique de l’Italie atteindra 2080 milliards d’euros, soit 132,2 % du PIB. Là-encore, record historique battu.

    Mercredi 18 septembre 2013 :

    Le « Costa-Concordia » redressé, et l’Italie ?

    Croissance : – 1,7 % ou -1,8 %. Dette : 132 % du PIB (environ 2 080 milliards d’euros). Spread en hausse aux alentours de 260 points. Intérêts annuels de la dette : 85 milliards d’euros. Déficit aujourd’hui, selon la presse : 3,4 %, soit quatre ou cinq milliards de plus que le plafond prévu par Bruxelles.

    http://italie.blog.lemonde.fr/2013/09/17/le-costa-concordia-redresse-et-litalie/

    Quant à l’Allemagne :

    Dette publique de l’Allemagne : 81,2 % du PIB, soit 2150 milliards d’euros. Je dis bien : 2150 milliards d’euros.

    L’Union Européenne, c’est des pays surendettés qui se surendettent encore plus, pour pouvoir prêter de l’argent à des pays en faillite qui ne les rembourseront jamais.

    L’Union Européenne, c’est un suicide collectif.

  5. C’est effectivement impressionnant pour l’Italie, ça fait 85/(2080/1,322) = 5,4 % du PIB selon vos chiffres. Mais pour le Japon par exemple, ça ne fait que 0,4 % du PIB en 2012, malgré un endettement de plus de 240 % du PIB !

    http://www.mof.go.jp/english/budget/budget/

    Les versements d’intérêts sont au maximum une bonne raison de reprendre sa souveraineté monétaire, certainement pas de faire de l’austérité.

  6. Pingback: 348 – J-B Bersac : Devises | Le blog d'André-Jacques HOLBECQ

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