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Un puzzle reconstitué !

Merci à Cullen Roche pour l’autorisation de traduire son article originel A puzzle solved ! du 11 novembre 2011.

Juillet dernier Paul Krugman demandait pourquoi les taux d’intérêt sur les bons des Trésors japonais et italien divergeaient en dépit de problèmes démographique et d’endettement similaires. Il n’avait pas de réponse satisfaisante (ce sont ses mots, pas les miens) :

Une question (à laquelle je n’ai pas la réponse complète) : pourquoi les taux d’intérêt sur les bons italiens et japonais sont-ils si différents ? À l’heure où j’écris, les bons du Trésor japonais  à 10 ans rapportent 1,09 % ; les bons italiens à 10 ans 5,76 %.

… Je n’ai pas vraiment d’opinion bien établie. Mais cela ressemble à un puzzle important à reconstituer.

Dans sa chronique du New York Times d’aujourd’hui, il semble avoir résolu ce formidable puzzle :

Ce qui est arrivé, d’après ce qu’il en sort, est qu’en s’embarquant dans l’euro, l’Espagne et l’Italie se sont dans les faits ramenées à un statut de pays du tiers-monde qui doivent emprunter dans la monnaie d’un autre, avec toute la perte de souplesse que ça implique. En particulier, comme les membres de l’eurozone ne peuvent pas frapper monnaie même en cas d’urgence, ils sont sujets à des troubles de financement d’une manière que les nations gardant leurs monnaies ne sont pas.— et le résultat est ce que vous voyez maintenant. Les États-Unis d’Amérique, qui empruntent en dollars, n’ont pas ce problème.

L’autre chose que vous devez savoir est que confrontée à la crise actuelle, l’austérité a été un échec partout où elle a été essayée : aucun pays avec une dette n’est parvenu à se serrer la ceinture jusqu’à retrouver les bonnes grâces des marchés financiers. Pour exemple, l’Irlande est le bon élève de l’Europe, en ayant répondu à son problème d’endettement par une austérité sauvage qui a monté le taux de chômage à 14 %. Cependant, le taux d’intérêt de leur bons du Trésor est toujours au-dessus de 8 % — pire que l’Italie.

Il est merveilleux de voir que nous faisons des progrès pour comprendre tout cela. Et bien que l’article du Dr Krugman fait un excellent boulot pour dissiper tous les mythes ayant trait à l’euro, nous aurions tous pu nous épargner beaucoup de temps, d’énergie et d’effort si nous avions simplement écouté les économistes néochartalistes. Les mêmes personnes qui ont répété tout cela pendant ces vingt dernières annéesComprendre le système monétaire importe. Mais, malheureusement, ça ne vous met pas dans une des chroniques du New York Times.

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Sarkozy : « Je ne conduirai pas une politique d’austérité »

On l’a oublié, mais Nicolas Sarkozy avait promis entre autre dans son discours de Toulon en 2008, face à la crise, de ne pas se lancer dans une politique d’austérité. Florilège de paroles en l’air mais que tout le monde n’oubliera pas :

L’économie de marché, ce n’est pas la loi de la jungle, ce n’est pas des profits exorbitants pour quelques uns et des sacrifices pour tous les autres … Le capitalisme ce n’est pas la prime donnée au spéculateur, c’est la primauté donnée à l’entrepreneur, le capitalisme c’est la récompense du travail, de l’effort et de l’initiative. … Ne rien faire, ne rien changer, se contenter de mettre toutes les pertes à la charge du contribuable et faire comme s’il ne s’était rien passé serait également une erreur … L’autorégulation pour régler tous les problèmes, c’est fini (sourire), le marché tout-puissant qui a toujours raison, c’est fini … Les responsables de ce naufrage doivent être sanctionnés, au moins financièrement. L’impunité serait immorale. On ne peut pas se contenter de faire payer les actionnaires, les clients, les salariés, les contribuables, en exonérant les principaux responsables. Personne ne pourrait accepter ce qui serait ni plus ni moins qu’une injustice de grande ampleur. … La concurrence n’est à mes yeux qu’un moyen et non une fin en soi. … Mais là aussi je vous dois la vérité : dans la situation où se trouve l’économie, je ne conduirai pas une politique d’austérité, parce que l’austérité aggraverait la récession. … J’ai la certitude que nous pouvons réussir à refonder le capitalisme.

Depuis, la reprise ne s’est jamais installé qu’il est devenu le président de l’austérité, ainsi que l’un des candidats de l’austérité pour le prochain quinquennat. Pour sa défense, et à l’instar de nos « élites », Nicolas Sarkozy ne comprend pas que le déficit budgétaire renflouant le secteur privé en cas de récession est le même qui finance la croissance (Ce qu’avait facilement conclu Abba Lerner dès l’après-guerre), ce qui pourtant devrait être assez évident car on ne peut pas concevoir l’un sans l’autre, mais cette illusion de la contrainte budgétaire, de l’État devant équilibrer ses comptes sur le long terme, le pousse à croire qu’un déficit ne peut-être qu’occasionnel, donc réservé aux périodes de crises. Cette illusion est pourtant éventée par des noms aussi prestigieux que le Nobel d’économie Paul Samuelson, ou aussi historiquement fausse que le montre L. R. Wray (seconde partie du billet).

L’exercice est assez cruel, lorsqu’on songe aux actions, ou plutôt aux inactions qui ont suivi, un vide si intense que toute les stratégies de communication possibles ne parviennent pas à le masquer.

Discours de Toulon de Nicolas Sarkozy le 25 septembre 2008 (vidéo Flash). Les extraits cités sont situés respectivement à 7:40, 8:00, 9:15, 10:50, 14:15, 21:00, 29:55, 44:30.

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Le néochartalisme s’impose dans le débat (américain).

Toute idée dominante a commencé par germer et être diffusée par un seul esprit, puis, trouvant de l’écho chez d’autres, gagne d’abord lentement des adeptes, les plus ouverts d’esprit, les plus sensibles à l’intelligence, et les plus désintéressés, avant de faire boule de neige en s’agrégeant ceux qui sont ouverts sans chercher, ceux qui ne veulent pas se sentir trop seuls, etc. jusqu’à ce que l’idée inconnue devienne l’évidence que tout le monde répète sans même plus la questionner ou presque. Le plus dur est d’amorcer cette popularité, de parvenir à la taille critique à partir de laquelle il n’est plus possible d’être ignoré…

Dans le mondialement connu The Economist, un article est consacré à trois courants de pensée hétérodoxes, et officialise en quelque sorte leurs popularités. Parmi eux, le néochartalisme (à gauche sur le drapeau de Marianne). Il est très encourageant de constater qu’un courant de pensée âgé d’à peine quinze ans pour ses principaux ouvrages, dont la terminologie est encore un peu fluctuante (Tantôt neochartalism, tantôt Modern Monetary Theory, chez les anglo-saxons. De même, on trouve les termes équivalents Employer of Last Resort pour ceux qui sont parvenus à ce concept par Minsky, Employment Buffer Stock pour ceux qui sont partis de l’analyse des biens-tampons, etc.), bien que ses racines plongent très loin et chez des penseurs parfois très prestigieux comme J. M. Keynes, Abba Lerner, Hyman P. Minsky, Karl Marx, Georg F. Knapp, Michal Kalecki, etc.

Le très officiel The Economist, fait encore le sceptique, et dilue chacun de ces courants en les regroupant ensemble, malgré leurs grandes différences qu’on peut résumer ainsi :

Le « monétarisme de marché » (expression aussi peu inspirée que Modern Monetary Theory) est un rebondissement du monétarisme pourtant dominant avec Milton Friedman, à ceci près que ce dernier étant mort faute d’avoir pu passer le test de la réalité. Son successeur innove un peu et prône de cibler le Produit Intérieur Brut, avec son inflation, plutôt qu’autre chose. Il ignore complètement la passivité du crédit (pourtant confirmée par des experts de la prestigieuse Banque des Règlements Internationaux), son incapacité à relancer l’activité économique plutôt que de simplement amplifier ses variations.

L’école autrichienne est un cercle utlra-libéral très ancien, qui doit son nom aux intellectuels viennois qui ont migré vers les États-Unis dans l’entre-deux-guerres, c’est-à-dire entre l’effondrement de l’empire austro-hongrois et l’Anschluss par Hitler. Depuis l’école autrichienne est principalement américaine (décidément, le nommage n’est pas leur fort). Leur figure mythique est Ludwig von Mises (et Murray Rothbard). Leur doctrine consiste à prédire le désastre parce que l’État s’immisce dans les affaires privées et à expliquer les désastres par le moindre battement d’aile de papillon étatique décelable. Leur solution consiste à invoquer les lois universelles de la nature, la liberté, le génie humain et la libre association pour retourner à un mythologique état de nature pré-étatique, c’est-à-dire en détruisant l’État, conséquence naturelle, qu’on peut constater universellement, fruit du génie et de la libre association humaine (Pourquoi les révolutions et autres révoltes n’ont jamais simplement aboli l’État, plutôt que de changer ses gouvernants, si la chose est si indéniablement souhaitable ?). On attend toujours la nation surpuissante parce que délivrée de l’État, gouvernée par la seule liberté, telle que promise par l’école autrichienne.  Même le très libéral et noble autrichien Friedrich von Hayek affirmait dans La constitution de la liberté que le libéralisme, apuré en axiomatique par la raison, est un anarchisme, et s’en tenait à l’écart (Litec, Paris, 1994 (1960), p. 59).

Le néochartalisme est avant tout un pragmatisme, issu de personnes cherchant comment concrètement la monnaie fonctionne et en déduisant la monnaie rigoureusement, c’est-à-dire par élimination des hypothèses ne répondant manifestement pas à l’observation. C’est ce qui fait sa force principale : Les néochartalistes ont prédit l’absence d’inflation supplémentaire et d’envolée des taux d’intérêts de la dette publique (excepté le cas de la zone euro) par les Quantitative Easing de Bernanke, d’une part, et le retour à la récession ainsi que l’implosion de l’euro si on s’entêtaient dans les politiques de rigueur budgétaire d’autre part. Les libéraux de toutes sortes ont prédit l’inflation forte voire incontrôlable, la hausse des taux d’intérêt de la dette publique, le retour à la stabilité et à la croissance ainsi que le sauvetage de l’euro par la rigueur budgétaire. Et la réalité a tranché par une inflation stagnante, une baisse des taux d’intérêts de la dette publique américaine, le retour à la récession suite aux plans de rigueur budgétaire, et plus personne ne doute que l’euro soit en danger de mort imminente…

Malheureusement, on s’intéresse encore assez peu à ce qu’il y a de plus pertinent dans le néochartalisme, comme la stabilité des prix par le plein emploi grâce à l’Employeur en Dernier Ressort (Une idée pourtant très simple et lumineuse. Peut-être intimidante pour cette raison.), la nocivité des pseudo-contraintes budgétaires telles le passage forcé par des emprunts aux banques commerciales ou centrales, ou encore la passivité du crédit (Mais ce serait avouer que l’empereur de la finance est nu.)…

Mais tout cela aussi, ça viendra.

En France, je suis la seule source francophone sur le néochartalisme que je connaisse à l’heure où j’écris. S’il y en a d’autres, n’hésitez pas à les signaler, dans les commentaires du billet par exemple. Mais il faut bien que ça commence par quelqu’un, alors un peu de patience et de persévérance, et La Tribune (si elle survit) ou BFM TV (Après tout, aux États-Unis, les néochartalistes parviennent à être invités jusque sur Fox Business, la chaîne d’affaire de Fox News, ou sont discutés par le senior editor de CNBC…) finiront par le diffuser à leur tour…

Pour dire à quel point ce blog est indispensable, en cherchant « néochartalisme », Google ne trouve que ce blog et des commentaires y renvoyant. Quant à Modern Monetary Theory, il n’y a guère que ce billet sur le blog de Paul Jorion pour en parler, même avec un magistral contresens : elle est succinctement présentée comme la théorie dominante aux États-Unis en vigueur à la Fed !

PS : Un article du Washington Post est spécifiquement consacré au néochartalisme et pointe ses prédictions réussies comme la récession qui a suivi les surplus primaires budgétaires de Clinton et l’inefficacité des Assouplissements Quantitatifs. Contre info en donne une traduction française, via Philum.

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