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Assouplissement quantitatif et inflation

Par le passé, je me suis contenté de mentionner que les assouplissements quantitatifs (quantitative easing en anglais) étaient inefficaces et qu’ils ne causaient « pas d’inflation notable, encore moins à faire rougir les années 1970 ». J’ai écrit vrai, mais assez vague, et j’aimerai que mes lecteurs comprennent mieux l’effet sur l’inflation causé par les assouplissements quantitatifs.

Voici un graphique illustrant plus précisément les effets sur les prix du passage des réserves excessives déposées par les banques à la Federal Reserve de 2 milliards de dollars en août 2008 à la bagatelle de 1 500 milliards de dollars environ à partir d’avril 2011 (maintenu jusqu’en avril 2012, la fin actuelle de la série de donnée). Le PIB américain est de 15 000 milliards de dollars en 2011 ; ces réserves excédentaires représentent donc 10 % du PIB. Pour rappel, le PIB est l’ensemble de la production d’un pays (consommation, plus formation brute de capital fixe, plus exportations nettes). De quoi faire bouger ce PIB, semble-t-il.

Introduisons le petit graphique sur lequel j’ai déchaîné mes neurones

Taux directeur de la Federal Reserve (rouge, %)
Indice des Prix à la Consommation américaine (bleu, % de croissance annuelle)
IPC américaine hors énergie et alimentation (orange, % de croissance annuelle)
Réserves excédentaires des banques chez la Fed (vert, milliards de dollars)

Tout d’abord, on a confirmation que l’inflation (bleu et orange) est restée aux alentours de 2,5~3 %, et ce malgré une impressionnante remontée en sortie de crise des subprimes, précédée d’une toute aussi impressionnante chute dans la déflation au cœur de cette crise .

Mais il y a plus intéressant. En bleu figure l’inflation générale. En orange figure l’inflation générale exceptée celle de la nourriture et de l’énergie. Bien que cette courbe orange inclut d’autres matières premières hautement spéculatives comme les métaux, à commencer par l’or, on peut voir l’effet de la financiarisation, de la spéculation, dans les beaucoup plus fortes variations de la courbe bleu par rapport à la courbe orange. En effet, les financiers ont investi les marchés des matières premières avec d’autant plus de détermination que celui de l’immobilier leur est devenu inhospitalier. Souvenez-vous, juste avant la crise sur le marché du pétrole, le baril de brent s’échangeait à 145 dollars en juillet 2008, puis, lorsque les banques eurent besoin d’argent pour éponger les pertes très mal anticipées des subprimes, le baril chuta à 36 dollars fin 2008 ! Les banques ont recommencé, et pas seulement sur le pétrole.

Or, cette reprise de l’inflation n’est pas du tout une reprise économique, saine et durable. J’avais très rapidement illustré par deux citations qu’en n’alimentant en monnaie que les seules banques, on transformait l’économie réelle en serve pour dettes. Faire payer plus cher et sans raison les produits de première nécessité est une variante sur ce thème : simplement parce que les particuliers n’ont pas sur ces marchés le pouvoir commercial des financiers, ils s’acquittent d’un surprix qui permet à ces financiers d’engranger de mirifiques bonus, bonus qui ne ruisselleront que faiblement dans leur consommation avant tout tournée vers le luxe. Ce système ne peut tenir qu’aussi longtemps que les particuliers eux-mêmes tiennent le coup, c’est-à-dire parviennent à préserver (voire augmenter) leur volume d’activité économique sur lesquelles les financiers prélèvent leurs gabelles nouvelles. Comme on peut le voir en toute fin de graphique, avec le retour progressif à la récession de l’économie mondial, la courbe bleue rejoint inexorablement la courbe orange : les financiers ne parviennent pas à extorquer des prix en hausse toujours plus forte que le reste de l’économie, ils s’effondrent avec la branche sur laquelle ils sont assis et qu’ils scient obstinément. Mais pourquoi se priveraient-ils ? Puisqu’ils sont juteusement rémunérés en cas de succès, et sauvés en cas d’échec. L’assouplissement quantitatif, c’est la garantie que s’il n’y a plus d’argent parce que la spéculation a raté, il y a immédiatement une nouvelle tournée. Mais à crédit, il faut la faire fructifier.

À cause de ce changement de contexte, les taux d’intérêt de la Fed n’ont plus de prise sur le niveau des prix : De 1980 à septembre 2008, la corrélation entre les taux directeurs de la Fed et de le niveau des prix est de 0,75, c’est-à-dire que les deux suivent très largement les mêmes évolutions. D’octobre 2008 à avril 2012, la même corrélation chute à -0,03, c’est-à-dire que les deux évolutions n’ont quasiment plus aucun rapport. Le sauvetage des banques et de l’économie par les déficits publics sont concomitants, et on observe un coefficient de corrélation maximal — +0,93~0,95 ! — à partir de novembre/décembre 2008 jusqu’à avril 2012 entre les réserves excédentaires et les niveaux des prix, tant général qu’excluant l’alimentaire et l’énergie. En revanche, sitôt la panique passée, et les mauvais réflexes revenant en force (c’est-à-dire la manie de l’austérité), les coefficients chutent : de juin 2011 à avril 2012, ils enfoncent tous les planchers, à -0,72 pour celui entre les réserves excédentaires et le niveau des prix, et -0,79 entre entre ces réserves et l’IPC hors alimentaire et énergie. Une corrélation isolée ne vaut pas preuve de rapport de causalité entre deux série : un cas isolé peut être un simple hasard, et c’est la cas ici, sinon, . Pour savoir quels sont les rapports entre les réserves et le crédits donc le volume d’activité, voire les travaux beaucoup plus fouillés de la Fed ou ceux de la BRI qui toutes deux concluent qu’elles sont passives et suivent au contraire les possibilités de crédit : en clair, lorsque les financiers peuvent endetter l’activité économique, ils le font et se débrouillent toujours pour les réserves, mais lorsque l’activité économique n’est plus assez fiable, les réserves n’y changent rien et le crédit se tarit.

Qu’en est-il non pas du niveau des prix ou des réserves, mais de leurs croissances respectives ? Si on regarde non comment la monnaie injectée structure l’économie, mais comment elle regonfle sur le coup l’économie réelle avant de se perdre dans les livres de comptes Ponzi de la finance si éloignés du réel ? Chaque injection ayant sur l’économie réelle l’empreinte d’un souvenir sur la mémoire du poisson rouge…

Bien que les réserves ne créent pas de crédit, elles assurent aux banques qu’elles pourront solder leur paris les plus risqués en leur fournissant un matelas pour amortir l’éventuelle échec du pari, et ça, ça se voit bien dans les coefficients, jusqu’en avril 2012 : le coefficient entre la croissance annuelle des réserves d’une part et l’inflation générale (spéculative incluse) annuelle d’autre part devient positive à 0,52 lorsque débute l’année 2010 et que les injections de réserves sont moins massives (croissance à « seulement » deux chiffres), il monte jusqu’à 0,9 en fin d’année et ne quitte plus cet étiage (courbes verte et bleue qui se suivent après la dernière colonne grise). Il ne quitte plus cet étiage jusqu’en avril 2012 ! Voilà l’économie relancée semble-t-il. Le coefficient entre la croissance annuelle des réserves excédentaires et l’économie hors énergie et alimentation, c’est-à-dire hors pans entiers de la spéculation la plus effrénée, se maintient à 0,9 pendant l’année 2010, mais devient définitivement négatif dès avril 2011, chute jusqu’à -0,9 dès juin et ne remonte pas au dessus de -0,4 ensuite : dès 2011, les injections de réserves ne remontent pas les prix de l’économie réelle. Autrement dit, les financiers profitent de la manne de Bernanke pour spéculer et assurer leurs arrières, mais financer une économie de plus en plus risquée à cause de l’austérité et avec un chance faible de gain piteux, très peu pour eux d’autant plus qu’elle paie ses matières premières et son énergie plus chères. L’assouplissement quantitatif ne sauve que les banquiers.

En conclusion d’un de mes premiers billets sur les assouplissements quantitatifs, je concluais par deux citations montrant qu’à défaut d’un effondrement véritable du système monétaire, ces actions aboutissent à généraliser le servage pour dette à l’exception des quelques uns fournissant le luxe de la caste des banquiers, détenteurs de la création monétaire de droit libéral si ce n’est divin. Cette première conclusion me sera très utile lorsque je publierai la seconde partie d’Une intox à jet continu, car les méandres du fonctionnement actuel de l’euro sont particulièrement alambiqués.

PS : J’ai toujours hésité à mettre des graphiques, des coefficients de corrélations, et autres joujoux technicistes dans mes billets, et j’ai peur de m’être un peu emporté ici. Merci de m’écrire votre sentiment en commentaire.

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La Fed confirme la passivité du crédit

Pour comprendre les termes de réserve et de passivité, voir Les Bases n°3 La passivité du crédit.

La banque centrale américaine confirme à son tour la passivité dans un document titré Monnaie, Réserves, et la Transmission de la Politique Monétaire : Le multiplicateur monétaire existe-t-il ?. Tous les esprits critiques l’avaient plus ou moins toujours su, à l’instar de Keynes disant qu’on ne peut pas pousser avec une corde. La Banque des Règlements Internationaux l’avait confirmé. C’est donc au tour de la Federal Reserve de jeter à la poubelle l’idéologie libérale de l’activité du crédit, de sa possibilité de ne pas simplement amplifier le cycle économique, mais au contraire de le conduire. Voici l’essentiel de la conclusion :

Les changements dans les réserves sont non-corrélés avec les changement dans le volume des prêts, et les opérations d’open market n’ont pas d’impact direct sur le volume des prêts. Nous concluons que le traitement par les manuels scolaires du mécanisme de transmission peut être rejeté. Plus encore, nos résultats indiquent que l’offre de prêts bancaires ne réagit pas aux changements de politique monétaire par un canal de prêt bancaire, quelque soit la manière de grouper les banques. (…) Nous arguons que le changement dans la sensibilité des prêts bancaires germe chez la demande, et qu’un meilleur test du canal de prêt est de vérifier si les prêts bancaires sont financés par les dépôts acceptés comme réserves. Nos découvertes suggèrent que ce n’est pas le cas.

Comme je le concluais dans Les Bases n°3, cela implique que la politique contracyclique ne peut-être effectuée que par la monnaie publique, la monnaie privée en étant incapable. D’où je concluais à la nécessité du déficit public, que j’avais illustrée par cette puissante citation du professeur Wray :

À une brève exception près, le gouvernement fédéral a été endetté chaque année depuis 1776. En janvier 1835, pour la première et seule fois de toute l’histoire des U.S.A., la dette publique fut éliminée, et un surplus budgétaire fut maintenu les deux années suivantes pour accumuler ce que le Secrétaire au Trésor Levi Woodbury appela « un fond pour faire face aux futurs déficits. » En 1837 l’économie s’effondra en une grande dépression qui mit le budget en déficit, et le gouvernement a toujours été endetté depuis. Depuis 1776 il y eut exactement sept périodes de surplus budgétaires substantiels avec une réduction significative de la dette. De 1817 à 1821 la dette nationale baissa de 29 % ; de 1823 à 1836 elle fut éliminée (les efforts de Jackson) ; de 1852 à 1857 elle chuta de 59 %, de 1867 à 1873 de 27 %, de 1880 à 1893 de plus de 50 %, et de 1920 à 1930 d’environ un tiers. Bien sûr, la dernière fois que nous avions un surplus budgétaire était durant les années Clinton. Je ne connais pas de ménage qui fut capable d’avoir un budget en déficit pendant approximativement 190 des 230 et quelques dernières années, et d’accumuler des dettes virtuellement sans limite depuis 1837.

Les États-Unis ont également connu six périodes de dépression. Les dépressions commencèrent en 1819, 1837, 1857, 1873, 1893, et 1929. (Ne remarquez-vous rien ? Jetez un œil aux dates listées au-dessus.) À l’exception des surplus de Clinton, chaque réduction significative de la dette en cours fut suivie d’une dépression, et chaque dépression fut précédée par une réduction de dette significative. Le surplus de Clinton fut suivies par la récession de Bush, une euphorie spéculative, et maintenant l’effondrement dans lequel nous nous trouvons. Le jury délibère encore pour savoir si nous pourrions réussir à en faire une nouvelle grande dépression. Bien qu’on ne puisse jamais éluder la possibilité d’une coïncidence, sept surplus suivis par six dépressions et demi (avec encore quelque possibilité pour en faire la parfaite septième) devrait hausser quelques sourcils. Et, au passage, nos moins graves récessions ont presque toujours été précédées par des réductions du budget fédéral. Je ne connais aucun cas de dépression engendrée par un surplus du budget des ménages.

Je démontre dans Un suspens insoutenable pourquoi la minime baisse des années Clinton (maximum 2 % de baisse, et une hausse globale de 37 % sur les deux mandats) de l’endettement publique n’a pas directement résulté d’une grande dépression, mais a traîné en diverses bulles spéculatives (internet, subprimes) jusqu’à aujourd’hui.

Dans Les Bases n°4 : Le commerce extérieur, je détaille simplement les raisons comptables à cette nécessité du déficit public.

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Monnaie souveraine, taux de change et spéculation

Le néochartalisme explique donc comment avoir une monnaie stable, assurant le plein emploi et l’autonomie monétaire du pays. Quant à l’étranger, on sait jusqu’ici uniquement qu’il est un utilisateur de la monnaie souveraine nationale, et est donc traité de la même manière que les utilisateurs nationaux de la monnaie nationale (la seule chose qui compte, c’est que les transactions soient effectuées dans une monnaie dont ils ne sont pas l’émetteur, ainsi même le Trésor japonais, émetteur souverain du yen, est un simple utilisateur de la monnaie souveraine qu’est le dollar américain, parce qu’il ne dispose pas de l’émission du dollar américain. Tout le monde est simple utilisateur de la monnaie autre que celle qu’il émet, et si on n’émet aucune monnaie souveraine, on est simple utilisateur de la monnaie universellement, comme les entreprises, les ménages ou les banques commerciales de toute nationalité). Pour assurer un fonctionnement sain du marché, est préconisé une régulation, bancaire notamment, assumant pleinement son rôle plutôt que tétanisée à l’idée de perturber le jeu des marchés. Mais comment assurer une telle souveraineté sur les rapports avec l’étranger, c’est-à-dire précisément ce qui échappe à sa souveraineté ? État des lieux.

Avantage de la monnaie fiduciaire

Lorsqu’on ouvre un compte en banque dans une monnaie fiduciaire, il faut s’adresser à une banque, qui nous ouvre un compte dans cette monnaie uniquement, cette banque elle-même, pour opérer, doit obtenir une licence auprès de la banque centrale de cette monnaie, et cette banque centrale lui permet d’opérer ainsi : en lui ouvrant un compte, exactement comme le particulier ouvre un compte chez sa banque commerciale, et ce compte à la banque centrale est exclusivement tenu dans la monnaie gérée par la banque centrale. Pour pouvoir gérer plusieurs monnaies, une banque internationale ouvre plusieurs comptes, au moins un par monnaie et placé dans chacune des banques centrales. Seuls les billets et pièces peuvent échapper à ce système, mais ils représentent quelques pourcents seulement de la totalité de la base monétaire, le complément étant les réserves qui ne circulent qu’entre ces comptes au sein de la banque centrale et le Trésor. Dans un tel système, il est aisé d’imposer une régulation, même à des banques étrangères, car la banque centrale peut à tout moment geler (arrêter tous les versements que la banque commerciale lui enjoint de faire en son nom) les comptes des banques récalcitrantes qu’elle détient.

Quelques bribes de régulation

La régulation est un très vaste domaine, en voici seulement quelques illustrations. La première est d’interdire tout pari sur les fluctuation de prix. C’est-à-dire la vente d’un bien dont on n’est pas propriétaire, de même pour les contrats type assurance sur biens qu’on ne possède pas. Si un risque est déjà couvert contractuellement, tout nouveau contrat portant sur ce même risque devient aussi illégal : on s’assure contre l’incendie de sa maison ou son inondation, pas contre deux incendies ou deux inondations de cette même maison, sauf si on prévoit un tel accident et qu’on espère toucher le gros lot. Cela permettrait par exemple de laisser le seul argent des vendeurs et acheteurs de matière première en dicter le prix plutôt que de le laisser essentiellement dicté par les tocades des banquiers en mal d’investissement. C’est facile à faire pour les marchés nationaux dont les marchés financiers, je reviendrai sur les marchés internationaux.

Si des spéculateurs tentent une attaque spéculative à la hausse, c’est-à-dire qu’ils enclenchent un mouvement haussier dans l’espoir qu’ils revendront à un cours supérieur, la banque centrale peut très aisément parer l’attaque. Supposons que ce soit une attaque de spéculateurs américains contre le yen, pour éclaircir le propos. La Banque du Japon peut alors plafonner le taux de change en achetant tout dollar qui veut s’échanger au prix plafond ou au-dessus encore. Elle peut en acheter une quantité illimitée, puisqu’elle ne peut pas être à court de yen. Au contraire, les spéculateurs ne disposent que d’une quantité limitée de dollar, et vont vite voir leurs poches se vider, et leur yen retomber ensuite face au dollar, les obligeant à enregistrer une perte lorsqu’ils les échangent pour revenir au dollar. Simultanément, elle peut décider de revendre ces dollars, par exemple 2 % en dessous du plafond et empêcher ainsi les yen nouvellement créés de rester trop longtemps dans le circuit. En pratique, cela signifie que taux de change oscille entre ce plafond et ce plancher 2 % en dessous, jusqu’à ce que tous les dollars engrangés par cette opération soient revendus. Cette technique fut utilisé avec succès par le gouverneur de la Banque de France contre une attaque visant à rehausser la parité-or du franc dans l’entre-deux-guerres (Moreau Émile, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France : Histoire de la Stabilisation du Franc (1926-1928), M.-Th. Génin, Paris, 1954, xvi+625 p., p. 180-200). Cette opération ruine le spéculateur qui doit payer 2 % pour chaque aller-retour entre le dollar et le yen, il se lassera vite…

Bien sûr, la meilleure garantie contre une attaque spéculative est la solidité économique et monétaire du pays : moins il fait douter, plus difficile sont à entraîner des variations, à la hausse comme à la baisse. En interdisant les paris sur fluctuations de prix, en limitant les fonds échangeables et les contrats à terme aux sommes effectivement échangées par les particuliers, on peut forcer la place de change à une certaine sobriété, et une fois cette place bien établie, le reste suit, même les échanges en billet, car, soit les acheteurs, soit les vendeurs y trouvent un meilleur prix, et grossissent encore le marché par effet boule de neige…

Un tel système ne serait pas aussi stable que l’étalon-or ou l’étalon change or, mais les variations les plus déstabilisantes en serait éliminées, et les variations nécessaires qu’avouaient les brusques changements de taux périodiques seraient elles aussi lissées dans le temps, au bénéfice de de la politique fiscale et monétaire indispensable aux plein emploi et à la stabilité chers aux néochartalistes. C’est le compromis à faire dans le classique triangle de Mundell. Nombre de financiers juge l’interdiction des ventes à découvert illimitées impensable, pourtant elles furent entreprises lorsqu’il s’agissait de les sauver elles. Trop sporadiquement hélas.

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Un système monétaire enfin clair.

Beaucoup d’articles de Frapper Monnaie sont consacrés à décortiquer comment le néochartalisme prévaut malgré tout dans le fonctionnement effectif du système monétaire et comment des politiques mal avisées la contrarient et empêchent plus ou moins (beaucoup en ce moment) d’atteindre la stabilité économique, la prospérité, et le plein emploi. Cette fois, je veux proposer une épure néochartaliste : un système conçu par et pour des personnes comprenant et adhérant au néochartalisme, sans camouflage et compromis douteux d’aucune sorte…

Simplification de la banque centrale

Plutôt que de passer par l’intermédiaire des bons du Trésor, la banque centrale règle les taux directeurs en versant des intérêts sur les réserves excédentaires. Cela donne le même résultat que de remplacer ces réserves par un bon du Trésor portant intérêt et de le racheter à tout moment pour que son possesseur puisse utiliser son montant comme réserves disponibles pour solder ses transactions. Mais on en s’occupe plus de savoir s’il y a assez de bons du Trésor, de quelles maturité, etc. Ce système est en place dans les banques centrales du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, la BCE et plus récemment à la Federal Reserves des États-Unis. La banque centrale peut ensuite varier le taux d’intérêt versé sur les réserves excédentaires pour moduler le taux minimal exigé par les banques sur leurs prêts aux autres agents économiques (elles ne prêteront que si le taux accepté par l’emprunteur est supérieur à ce qu’elle gagne simplement en gardant les réserves auprès de l’État sous forme de réserves excédentaires ou de bon du Trésor. Les intérêts versés sur réserves seront purs créations monétaires souveraines.

Simplification du Trésor

Plutôt que les psychodrames de savoir si les banques commerciales accepteront de contracter des bons du Trésor pour autoriser l’État à créditer les comptes de ceux qu’il veut payer (par exemple les détenteurs de précédents bons du Trésor parvenus à échéance), on supprime les bons du Trésor. Comme la banque centrale peut régler ses taux directeurs par les taux d’intérêt qu’elles versent sur les réserves, la disparition des bons du Trésor n’est pas un problème pour elle. Pour adoucir la transition, il est préférable de simplement ne plus émettre de nouveaux bons du Trésor, mais de payer comme convenu les anciens, et de les laisser disparaître avec leurs échéanciers.

Enfin, tous les budgets devront être fortement contra-cyclique, ce qui est déjà le cas, et on peut même l’inscrire dans la constitution pour satisfaire les plus maniaques.

Une version extrême de simplification néochartaliste consiste à supprimer les bons du Trésor sans verser d’intérêt sur les réserves, ce qui effectue l’euthanasie des rentiers vantée par Keynes : les prêteurs peineront à prêter avec une marge supérieure à la prime de risque car il y aura toujours des réserves excédentaires, dans ce système, qui ne trouveront aucun débouché et sous-enchériront auprès des emprunteurs… Comme, parmi les rentiers, il y aussi de simples particuliers voulant épargner pour leurs vieux jours ou leurs futurs projets, je déconseille cette position extrême. Mieux vaut s’affronter aux rentes abusives autrement.

Mise en place de l’Employeur en Dernier Ressort

Cette dernière mesure est une simplification pour les individus, mais non pour l’État. Elle est la mise en place de l’EDR déjà précisé dans Les Bases. En bref, l’emploi par l’État de toute personne le désirant, à salaire fixe, pour des travaux tels que ceux de la Work Projects Administration ou autres. Les employés de l’EDR forment ainsi un vaste réserve-tampon de personnes pouvant être embauchés ou non avec des prix stables, à l’instar des chômeurs actuels, mais sans la misère et la destruction de capital humain que le système actuel génère délibérément.

Ainsi, l’État accommoderait l’économie en lui fournissant ce qu’elle souhaite : de l’épargne jusqu’à ce qu’elle accepte de consommer plus, du travail si elle ne parvient pas à employer tout le monde, et une saine taxation lorsqu’elle est suffisamment forte pour employer toutes se ressources et faire pression sur les prix à la hausse.

Post Scriptum :

Malheureusement, et bien que la clarté soit une vertu pour le publiciste que je suis, elle n’est pas forcément recommandable pour le politique. Il est certain que la banque centrale désirera plus d’outil que ceux proposés au-dessus…

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Pourquoi l’argent des banques centrales est devenu inefficace ?

« Préparez-vous à l’inflation et à des taux d’intérêts plus élevés — L’expansion sans précédent de création monétaire pourrait faire passer les années 70 pour bénignes. » C’était ce que titrait la célèbre agence de presse économique Bloomberg en juin 2009, et ce titre a horriblement mal vieilli : depuis pas d’inflation notable, encore moins à faire rougir les années 1970, et des taux d’intérêts au plus bas depuis de nombreuses années… En défense de Bloomberg, elle ne faisait que refléter le consensus régissant la science économique dominante. Mais pour les enfoncer, le Japon avait essuyé le même échec pendant le début des années 2000. Pourtant ce sont quelques 250 milliards de dollars (en yens) injectés par la Banque du Japon sur trois ans, environ 250 milliards de dollars (en livres sterling) fin 2009 puis puis 300 milliards fin 2010 par la Banque d’Angleterre, environ 1 500 milliards de dollars par la Federal Reserve entre fin 2008 et juin 2010, plus des cacahuètes et encore 600 milliards fin 2011. Résultat : néant. Comme je l’explique sous toutes les coutures, le crédit est passif.

Mais où est passé l’argent ?

C’est là qu’est tout le problème : tout ce que font les banques centrales, c’est acheter des emprunts détenus par les banques commerciales contre de l’argent frais. Autrement dit, si ces banques commerciales peuvent payer plus de transactions, elles ne sont pas plus riches pour autant. Comme les banques centrales font déjà cela contre des emprunts sûrs (des bons du Trésor) pour assurer au système financier une trésorerie suffisante, et s’arrêtent avant que les banques commerciales n’aient trop de trésorerie et ne parviennent plus à l’investir. Bref, comme l’expliquent les experts de la vénérable Banque des Règlements Internationaux, le levier à actionner pour stimuler l’économie par le crédit n’existe que peu ou prou : le volume de crédit est déjà déterminé par le désir d’emprunt et la solvabilité des emprunteurs tels que perçus par les prêteurs…

C’est visible sur ce simple graphique, avec en vert les réserves empruntées par les banques commerciales auprès de la Fed, en rouge les réserves non-empruntées placées sur les comptes des banques commerciales, et en bleu les réserves excédentaires :

On remarque d’abord plusieurs décennies de calme plat : emprunts de réserves à la banque centrale quasiment inexistant, des réserves non-empruntées très faibles en volume, quoique que connaissant un pic particulièrement aplati en 1994, et des réserves excédentaires inexistantes : moins de un milliards de dollars jusqu’en 1985, et moins de 2,2 milliards jusqu’en 2001, où, en réaction au 11 septembre, ces réserves excédentaires montent à 20 milliards, un record à l’époque. Puis vient la crise des subprimes (si seulement elle ne concernait que l’immobilier à l’instar des S&Ls éclatant dans les années 1980-1990…) : les réserves non-empruntées deviennent négatives au cours de l’année 2008 : elle passent de plus de quarante milliards de dollars à -120 milliards en juillet avant que Bernanke ne décide l’Assouplissement Quantitatif, c’est-à-dire que les réserves qu’utilisaient les banques pour solder leurs comptes, au lieu d’avoir un petit matelas au niveau global, étaient en déficit de 120 milliards — les banques se créaient des quasi-réserves entre elles par crédit, attention aux banques qui feront faillites ! L’Assouplissement Quantitatif est radical : les réserves excédentaires grimpent jusqu’en décembre à plus de 750 milliards de dollars (40 824 % d’augmentation depuis juillet) et les réserves non-empruntées après avoir enfoncé les -330 milliards en octobre, se redresse en décembre à plus 166 milliards. Le système bancaire est sauvé, il peut solder ses comptes. Ensuite, on peut constater que l’assouplissement quantitatif est devenu inutile : elles n’empruntent plus auprès de la Fed (vert) et les réserves non-empruntées deviennent quasiment toutes excédentaires. Depuis ces réserves excédentaires totalisent 1 600 milliards de dollars, soit les deux tiers des plus de 2 600 milliards de la base monétaire (triplement depuis le début de la crise), mais l’inflation elle, n’a ni triplé, ni même dépassé ses niveaux d’avant-crise. Voilà qui est gênant pour une base monétaire censée dicter le niveaux des prix, et les réserves excédentaires qui sont supposées être « une intenable planche à billet »…

Alors, personne ne peut y gagner quoi que ce soit ?

Pas absolument : Si les emprunts que rachète la banque centrale valent moins que le prix d’achat à cause de probables défauts de paiements, alors le Quantitative Easing (nom de cette technique de création monétaire) est une subvention déguisée. Ça expliquerait pourquoi la Federal Reserve s’est dispensé en douce de payer les pertes qu’elle subit sur les titres ainsi achetés : elle pourrait faire faillite sinon.

La relance monétaire, par le crédit, est donc une illusion, tant théorique que pratique. Reste la relance fiscale, par un plantureux déficit budgétaire de l’État. Ah, zut, c’est justement celui que la science économique encore dominante se refuse à envisager, le fameux tabou de la planche à billet.

Mais qu’adviendra-t-il si on continue comme ça ?

Si on continue exactement la même politique, la création souveraine d’argent se fera de moins en moins par le budget public allant dans toutes les poches selon des compromis politiques, mais de plus en plus par les seuls banquiers, eux qui n’ont pas à équilibrer leurs comptes puisque, au pire, leur banque centrale prend les pertes. Ces mêmes banquiers exigeront encore plus des crédits usuriers. Alors ne pourront épargner que ceux qui font leur luxueux train de vie (et dans la mesure où les banquiers acceptent de se l’offrir), ainsi que ceux, dans une moindre mesure, qui commercent avec ce groupe, à l’image des cuisiniers de Mao Zedong préparant des plats fabuleux pour le Grand Timonier et déportés dès qu’on découvre qu’ils récupéraient les restes pour nourrir leurs familles affamées. À moins qu’une révolte de grande ampleur ne survienne d’ici-là, et ne se fédère autour d’un programme cohérent, comme l’Employeur en Dernier Ressort. Ce retour au pire servage n’est pas une dystopie saugrenue ; la dégradation de la situation est déjà largement entamée :

Si, dans le climat actuel, il semble peu vraisemblable et même utopique d’imaginer une extension des avantages sociaux, il reste un défi à relever sans plus attendre, celui de la défense de leurs droits. La classe moyenne américaine est attaquée comme elle ne l’a jamais été, et sur tous les fronts. Par exemple, la loi fédérale sur la faillite de 2005, qui élimine toute éventualité d’un nouveau départ pour les personnes endettées, va condamner de plus en plus les sous-employés à une vie de « servage pour dettes ».

Ehrenreich Barbara, On achève bien les cadres, Grasset, Paris, 2007 (2005), 344 p., p. 334-335

Tous les adolescents ont été inondés d’offres de cartes de crédit. De nombreuses familles se sont endettés énormément, et, prises dans un cercle vicieux ressemblant beaucoup au servage, elles ont travaillé pour payer la banque. Une part toujours plus massive de leurs revenus a été engloutie par les pénalités et les intérêts exorbitants, et les intérêts sur les intérêts et sur les pénalités, leur laissant peu de chances d’en voir jamais la fin. Les financiers auraient pu demander que l’on revienne au temps d’Oliver Twist et des prisons pour dette, mais à l’époque actuelle la loi de 2005 était la meilleure possible pour eux. On pouvait saisir le quart du salaire. Enhardis par la nouvelle loi, les prêteurs ont alors approuvé les pires crédits hypothécaires, ce qui explique peut-être pourquoi tant de contrats toxiques ont été signés après le vote de la loi.

Stiglitz Joseph Eugene, Le triomphe de la cupidité, Les liens qui libèrent, Paris, 2010, 473 p., p. 300

PS : Graphiques avec commentaires ajoutés.

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Que change la dégradation de Standard & Poor’s ?

Pas grand chose, en vérité.

Souvenons-nous, en août, Standard & Poor’s (déjà elle même s’il y en a que trois) avait abaissé le AAA américain. Comme ou peut le constater sur ce graphique (cliquez dessus pour l’agrandir), ce moment de la dégradation correspond très exactement à une poursuite de la tendance baissière des taux d’intérêt :

On peut, pour sauvegarder un peu du prestige des agences de notations, estimer que la hausse observée début 2011 anticipe la dégradation. Donc qu’elle n’est pas totalement sans effet. Les mauvaises langues (dont je fais partie) rétorqueront que les S&P’s et consorts ne font que suivre les mouvements du marché et acter ce qu’elles estiment être une insolvabilité détectée par lui. Mais bien pire encore est le fait qu’une fois cette dégradation enfin survenue, la crise mimétique retombe à plat ! Les spéculateurs peuvent faire monter la mayonnaise, en l’occurrence les taux, tant que le défaut est « imminent », mais lorsqu’il doit être là et que tout le monde peut constater son absence, les taux retrouvent leur tendance globales de ces dix dernières années : à la baisse. Il semble même que les spéculateurs soupçonnaient leur supercherie, puisque seuls les bons du Trésor à 10 ans ont anticipé la dégradation, les bons à 1 an se cramponnant à leur platitude.

À l’inverse, et toujours si on soupçonne les spéculateurs d’avoir des arrières-pensées, entre 2004 et mi-2007, ils se sont mis à anticiper un gros accident, mais passager : seuls les bons à 1 an montent et rejoignent ceux à 10 ans jusqu’à les hisser à leur tour le premier semestre 2006 (normal : on ne va pas offrir un prêt moins cher si l’emprunteur met plus longtemps pour le rembourser). La précédente fois ou les deux courbes étaient jointes était la crise des .com, elle aussi un crise grave mais passagère. De mi-2006 à mi-2007 ils retiennent leur respiration, puis, trop pressés de faire face à leurs échéances lors du déclenchement de la crise, ils n’ont plus le cœur à ce petit chantage inconséquent : au lieu d’éprouver plus de difficultés encore à se financer, comme la thèse du budget de l’État identique à celui d’un ménage le suggère, il y trouve un surcroît de facilité. Au Japon, cela fait deux décennies que les spéculateurs n’essaient plus, peu ou prou, de rouler des mécaniques…

On peut encore remarquer d’autres choses, mais ce qui compte c’est de comprendre que, lorsqu’un État disposant de sa souveraineté monétaire laisse cette marge de manœuvre aux financiers de pouvoir jouer un petit chantage en faisant croire qu’ils pourraient avoir mieux à faire que de laisser les réserves excessives être épongées par les bons du Trésor, alors les marchés financiers ne peuvent que jouer à se faire peur, moduler un peu les taux d’intérêt, avant de rentrer dans le rang, tels des enfants capricieux faisant semblant de bouder le repas familial et menaçant de prendre le grand large, avant de s’installer à table et de soulager leurs estomacs criant famine. Comme je l’avais expliqué en citant Jacques Rueff, la monnaie souveraine est la créature de l’État et n’a pas d’utilité autre que celle que lui donne l’État. Dégradation ou pas dégradation.

Maintenant la France. La dégradation de la France a-t-elle un impact ? Non plus, mais l’euro complique encore plus la chose. Au lieu de ne pouvoir financer qu’un seul Trésor, les banques commerciales en ont plusieurs à disposition, elles peuvent donc encore plus crédiblement jouer à se faire peur, en préférant un Trésor au dépend de l’autre. Contrairement à leurs banques centrales, les Trésors ne sont presque que de quelconques ménages ou entreprises. Mais tout comme les banques centrales, et parce qu’elles sont les États, les garants de l’ordre public à commencer par les contrats de prêts, je crois pouvoir affirmer qu’on trouvera toujours un arrangement pour empêcher le défaut de paiement, mais en se faisant beaucoup plus peur dans l’intervalle. L’autre problème de ces inéluctables arrangements, c’est qu’ils sont politiquement très visibles, plutôt que d’être les opaques et désincarnés marchés. En Grèce, par exemple, la population se doute manifestement de quelque chose… J’avais expliqué que le système de pur crédit ne peut que faire faillite ou dégénérer en cavalerie, nous y sommes.

Une autre chose protège la France : Malgré tout, elle demeure la seconde puissance économique de l’eurozone, s’il faut fuir un Trésor pour se réfugier vers un autre de la zone euro, la France sera nettement plus le second par une tendance très lourde. Ce n’est pas éternel, car, à force de se faire dépecer sa puissance, industrielle notamment, les marchés pourront jouer à lui faire beaucoup plus peur, c’est-à-dire à exiger beaucoup plus avant de se résoudre à l’inévitable financement du Trésor français. Les Grecs peuvent en témoigner. Sous la contrainte psychologique que l’élite s’est elle-même créée, elle est capable d’imposer à un peuple ainsi déboussolé la pseudo-nécessité de plans de rigueur, d’appauvrissement généralisé, de renoncement à son modèle social, puisqu’il « n’y a plus d’argent », et effectivement de ne plus mettre l’argent sur la table en pratique ! La règle d’or, encore imposée aujourd’hui alors qu’il n’y a même plus l’or, est l’arme pour conformer la réalité à l’idéologie. En vain, si l’on en croit l’histoire et la philosophie : tout principe rencontre son maître une fois confronté au principe de réalité. En l’occurrence, à force de supprimer tout ce qui ne cadre pas avec l’idéologie, l’économie sera morte guérie par une dépression de grande ampleur type années 1930…

Il est temps de retrouver un pacte social fondé sur la coopération, plus que la compétition de marché. Un pacte social fondant la monnaie sur le plein emploi, plutôt que sur l’illusion que tout le monde peut créer de l’argent comme il le souhaite plus que personne n’en crée : ce n’est que  du crédit à rembourser avec intérêts… C’était un système fondée sur l’hypocrisie et qui s’effondre dans la confusion ; il ne méritait pas mieux. Reste à sauver les pauvres hères embarqués dedans sans s’en rendre toujours compte, loin s’en faut.

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Quand être fourmi consiste à prêter à une cigale…

Dans le billet concluant les Bases, je donnais les linéaments de l’impasse politico-économique que nos grands benêts qui nous servent d’élites s’étaient obstinés à poursuivre :

l’Allemagne qui a fait le choix de contraindre son budget à se rapprocher de l’équilibre, a misé tous ses espoirs de croissance sur l’exportation, c’est-à-dire a contraint les autres pays à être en déficit et pour eux-mêmes et pour les Allemands, particulièrement les pays membres de l’eurozone, car ces derniers ne peuvent pas dévaluer leur monnaie. Les Allemands refusent de reconnaître qu’ils ont épargné férocement en se serrant la ceinture pour financer à d’autres pays les dépenses qu’ils se refusaient pour eux-mêmes. On comprend effectivement le ridicule de la situation. Et ils veulent que les autres paient et équilibrent aussi leurs budgets. Sauf que la seule possibilité restante, c’est que tout le monde exporte vers les pays non-membres de la zone euro, c’est-à-dire que tous ces pays se mettent comme l’Allemagne à travailler pour la prospérité des autres… Et il ne s’agit même pas encore de croître, seulement de se maintenir.

Bref, le coup de maître de la monnaie unique se révèle être un désastre, et les appels à l’austérité se révèlent aussi finement analysés et compris par nos dirigeants que les sacrifices humains par les grands prêtres de l’empire aztèque finissant.

Un récent article du Figaro est l’occasion de préciser l’autre versant de cette absurdité, contrepartie logique de la première, et d’approfondir un point important du néochartalisme : le rôle de stabilisateur des taux directeurs des bons du Trésor, et non de financement de ce dernier. Je développe.

Nos monnaies contemporaines n’ont aucun autre rôle que celui de monnaie : s’acquitter de ses taxes auprès de l’État. Aussi, lorsque l’État taxe moins qu’il ne dépense, l’épargne privée ainsi formée n’a pas d’emploi (Notamment, elle ne finance pas l’investissement mais résulte de celui-ci, cf la note de bas de page de ce billet). La majeure partie de cette épargne se retrouve au sein des systèmes bancaires nationaux, et les banques n’ont alors que deux possibilités : soit elles se le prêtent entre elles et ne font que déplacer la nécessité pour certaines de ces banques de trouver un débouché à ces réserves surnuméraires, soit elles n’y parviennent pas et se mettent à sous-enchérir auprès des emprunteurs, jusqu’à ce que les taux d’intérêt tombent à zéro, vu qu’il y aura toujours cette épargne à placer. Fort heureusement pour la profitabilité bancaire, une institution vient résoudre cette marche infernale : la banque centrale. La banque centrale décide, arbitrairement et selon des conseils qu’on espère de bon aloi, un taux directeur (et même plusieurs pour affiner encore sa politique) puis n’a d’autre choix, pour rendre sa décision effective, que de vendre des bons du Trésor dès que de l’épargne doit trouver un débouché : alors elle cesse de sous-enchérir pour simplement augmenter le niveau de placement sous forme d’emprunts supplémentaires. À l’inverse, toujours pour maintenir le taux directeur au niveau souhaité, lorsque les banques doivent au contraire débourser de leur trésorerie, alors même que les emprunts précédents ne sont pas parvenus à maturité, par exemple parce que la date de paiement des impôt survient, la banque centrale rachète les bons du Trésor à ces banques, ces banques paient les sommes promises au Trésor au nom de leur clients, et l’épargne diminue d’autant, ainsi que le volume d’endettement.

C’est précisément cette fonction tampon, de stabilisation du crédit, qui a présidé à l’apparition des banques centrales… Mon lecteur aura noté à quel point tout cela fonctionne en circuit fermé : si l’un des détenteurs de comptes est de nationalité étrangère, ou même si une banque est détenue par des étrangers, ça ne change strictement rien car la monnaie n’a aucun autre rôle en dehors du système monétaire annexe à l’État souverain dont elle est la créature.1

Mais que se passe-t-il lorsque la banque centrale est un système décentralisé, comme le Federal System (Fed) aux États-Unis ou le Système Européen de Banques Centrales (SEBC) pour la zone euro ?

La même chose avec une étape supplémentaire. Au lieu de se retrouver consolidée à la BCE, l’épargne se retrouve répartie dans chaque banque centrale membre du SEBC et sous tutelle de la BCE. L’épargne est répartie ainsi : Les pays qui dégagent un revenu net accumulent cette épargne dans leurs systèmes bancaires nationaux, et elle se retrouve dans les banques centrales de chacun de ces pays. Or, réciproquement, les autres pays ont des déficits correspondants et les banques commerciales de ces pays paient donc ces sommes via leurs banques centrales nationales. Mais comment ces banques centrales nationales peuvent-elles payer plus que ce qu’elles n’ont ? Aux États-Unis, la chose est simple : l’État fédéral, émetteur de la monnaie finance des transferts qui alimentent les économies des états fédérés déficitaires, donc leurs banques commerciales, donc leurs banques centrales membres du Federal System. Mais entre pays membres du SEBC, rien de comparable. Alors ? Alors, les banques centrales qui ont un surplus, au moment du règlement ont deux possibilités : la première, refuser de prêter la somme due aux banques centrales déficitaires et exiger d’elles qu’elles payent avec des euros introuvables, ce serait créer une panique financière avec la faillite de ces banques centrales déficitaires et causer une crise grave à l’euro qui est leur monnaie commune, et ce en dépit de leur mission de protection de la stabilité financière ; ou bien prêter ces mêmes sommes à ces banques centrales qui les doivent afin d’équilibrer les comptes. Comme l’article du Figaro le précise, cela se fait, « à l’euro près », parce qu’il n’y a pas d’autres possibilités. C’est un système absurde, qui repose sur la croyance que les déséquilibres des balances courantes se régleront d’eux-mêmes, par la magie des marchés. Mais les déséquilibres commerciaux peuvent être déjà particulièrement pérennes entre nations avec un taux de change flottant, alors lorsque qu’il n’y a même plus de change ! Ils s’ensuit chez les esprits formatés par la pensée libérale le sempiternel appel à la compétitivité (exemple ici, avec constat et préconisation). Sauf que, dans la théorie libérale, le seul garant véritable de l’amélioration de la compétitivité, c’est justement la faillite que le prêt des sommes dues empêche. D’où les fureurs nordiques : ils deviennent toujours plus compétitifs afin de toujours plus financer le manque toujours plus grand de compétitivité relative de leurs voisins du sud…

Dans ma conclusion de Les Bases, j’avais dit pourquoi l’impasse était ridicule,  maintenant on sait comment…


Note :
(1) Voici, par exemple, la même idée énoncée par Jacques Rueff, célèbre économiste d’après-guerre et conseiller favori de Charles de Gaulle :

J’ai déjà écrit en 1961 que l’Occident risquait un effondrement du crédit et que le Gold Exchange Standard était un grand danger pour la civilisation occidentale. Si je l’ai fait, c’est parce que je suis convaincu — et je suis extrêmement solennel sur ce point — que le GES atteint un tel degré d’absurdité qu’aucun cerveau humain doté du pouvoir de raison ne peut le défendre.
Quelle est l’essence de ce régime, et quelle est la différence avec l’étalon-or ? C’est que lorsqu’un pays avec une devise clé a un déficit de sa balance des paiements — disons les États-Unis par exemple — il paye au pays créditeur des dollars, qui finissent dans sa Banque centrale. Mais les dollars ne sont pas d’utilité à Bonn, ou à Tokyo, ou à Paris. Le même jour, ils sont reprêtés sur le marché monétaire à New York, et donc retournent à leur endroit d’origine ainsi le pays débiteur ne perd pas ce que le pays créditeur a gagné. Et donc le pays avec la devise clé ne ressent jamais l’effet du déficit sur sa balance des paiements. Et la principale conséquence est qu’il n’y a aucune raison d’aucune sorte pour que ce déficit disparaisse, tout simplement parce qu’il n’apparaît pas…
Laissez moi être plus positif : si j’avais un accord avec mon tailleur que n’importe quelle somme d’argent que je lui paye, il me la retourne le même jour comme prêt, dans ce cas, je n’aurais aucune objection du tout à lui commander toujours plus de costumes.
Dans [Rueff & Hirsch, 1965]

Bastidon Gilles Cécile, Brasseul Jacques, Gilles Philippe, Histoire de la globalisation financière, Armand Colin, Paris, 2010, 376 p., p. 108-109

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10. Le grand camouflage

En creusant à l’intérieur des livres de comptes du Trésor et de la banque centrale, des chercheurs ont pu retrouver que le Trésor public dépense en créditant simplement les comptes en banques lorsqu’il paie et en débitant les comptes en banques lorsqu’il taxe. Voici un extrait des recherches de Stephanie Kelton sur le Trésor américain :

Les billets de banques de la Federal Reserve (et les réserves) sont enregistrés au passif sur le bilan comptable de la Fed et sont éteints /débités lorsqu’ils sont offerts en paiement à l’État. Il faut aussi constater que lorsque les réserves retournent à l’État, et de la monnaie souveraine (high-powered money) est détruite. […]

Ainsi, comme la monnaie bancaire (M1) est détruite lorsque la monnaie bancaire est utilisée pour payer des taxes, la monnaie de l’État, monnaie souveraine (High-Powered-Money), est détruite lorsque les fonds sont placés sur le compte du Trésor chez la Fed. Vu ainsi, il est démontré de manière convaincante que la monnaie collectée par l’impôt et la vente d’obligations (bons du Trésor) ne peut pas possiblement financer la dépense gouvernementale. Cela parce que pour « mettre sa main » sur les recettes des impôts et des ventes d’obligations, le gouvernement doit détruire la monnaie qu’il a collecté. Clairement, la dépense gouvernementale ne peut pas être financée par une monnaie qui est détruite lorsqu’elle est reçue par l’État !

Cette vérité technique simple peut être retrouvée intuitivement : si personne ne pouvait d’abord créer de la monnaie, alors personne ne pourrait en trouver, puisqu’elle est un artefact humain ! Donc il faut bien que quelqu’un quelque part dépense simplement en créant la monnaie. Comme ça, sorti du néant. Si cette monnaie n’est qu’un ensemble de prêts à rembourser à échéance, alors, compte tenu des aléas impondérables, ces prêts feraient inéluctablement défaut pour remettre la comptabilité au diapason du réel, ou le défaut serait éviter par de nouveaux prêts, des prêts Ponzi qui sauveraient la comptabilité mais éloigneraient toujours plus du réel… Et inversement, lorsque cet émetteur obtient de cette même monnaie qui lui revient par quelque moyen que ce soit, il n’en a pas l’utilité, car il n’a aucun besoin de financement lui qui crée le financement, et tout ce que peut faire cette monnaie, c’est retourner au néant. Dans le cas des billets de banques, il est moins coûteux de les réutiliser, mais lorsqu’ils sont trop usés, ils sont eux aussi détruits, physiquement, et de beaux billets tout neufs les remplacent pour que l’État puisse dépenser. Tout simplement.

Mais il se peut que l’État se dessaisisse de sa souveraineté monétaire. Comme pour la zone euro. L’exemple le plus classique est l’étalon-or, ardemment prôné par les libéraux aux 19ème siècle et encore aujourd’hui par les plus fervents d’entre eux comme l’école autrichienne. La conséquence de ce système est que, si l’économie veut épargner, pour financer la croissance ou pour se désendetter, alors il faut que quelqu’un trouve de l’or, sans quoi c’est la déflation ; et à l’inverse, si quelqu’un trouve toute une mine d’or, l’État ne peut empêcher l’inflation générale des prix. Si l’État décide de financer l’épargne en émettant des billets au-delà de sa couverture en or, alors il court le risque d’une ruée sur ses coffres et d’une faillite. L’étalon-or est un système aberrant, à l’évidence ; mais comme il permettait de rabaisser l’État au niveau d’un banquier devant veiller à ses niveaux de réserves, les libéraux se sont bien abstenus de prôner les vérités du chartalisme1

Aujourd’hui, la chose est plus subtile. Comme Stephanie Kelton l’avait démontré dans la recherche citée au-dessus, le Trésor public déploie diverses stratégies pour que ses dépenses continuelles et ses taxations massives mais périodiques ne déstabilisent pas le système bancaire privé. L’une de ces techniques est les comptes du Trésor dans les banques commerciales nommés Tax & Loan qui laissent temporairement l’argent taxé dans ces banques. Une autre est l’achat et la vente de bons du Trésor par la banque centrale pour maintenir les taux au niveau voulu. Mais ces techniques sont progressivement sorties de leur objectif initial d’accommodement envers le secteur bancaire privé pour devenir la propagande que l’État ne ferait pas ces opérations pour aider pragmatiquement le secteur privé, mais aurait besoin de ces opérations pour se financer. Car c’est irritant pour les banques : au lieu d’un besoin de crédit bancaire, les particuliers peuvent sereinement épargner auprès de l’État.

Lors du précédent billet, j’ai brièvement expliqué comment il fut imposé à l’État d’emprunter le montant non-taxé de ses dépenses, mais la chose ne suffit pas : les financiers n’ont gagné qu’un faible pouvoir psychologique, car l’État peut toujours emprunter à volonté. En effet, il crée la monnaie qui paie ces emprunts et les banques n’ont rien de mieux à faire que de payer ces emprunts avec, puisque ça leur rapporte des intérêts et qu’elles ont déjà toutes les réserves nécessaires aux autres emplois (cf 3° La passivité du crédit). Alors, de même que les banquiers veillent à ce qu’aucun d’eux ne créent autant de monnaie qu’il le souhaite, de peur que chacun n’en fasse retomber la pression inflationniste sur tout le monde plutôt que le seul responsable, de même ils ont souhaité recréer cette force de dissuasion mutuelle au niveau des États avec des projets de monnaies communes interétatiques, qui mettrait les États membres en position de surveiller que le voisin ne lui vole pas de seigneuriage, quand lui se serre la ceinture. Ce fut le projet de l’euro.

Les financiers ont réalisé un coup de maître comme nous le constatons actuellement : l’Allemagne qui a fait le choix de contraindre son budget à se rapprocher de l’équilibre, a misé tous ses espoirs de croissance sur l’exportation, c’est-à-dire a contraint les autres pays à être en déficit et pour eux-mêmes et pour les Allemands, particulièrement les pays membres de l’eurozone, car ces derniers ne peuvent pas dévaluer leur monnaie. Les Allemands refusent de reconnaître qu’ils ont épargné férocement en se serrant la ceinture pour financer à d’autres pays les dépenses qu’ils se refusaient pour eux-mêmes. On comprend effectivement le ridicule de la situation. Et ils veulent que les autres paient et équilibrent aussi leurs budgets. Sauf que la seule possibilité restante, c’est que tout le monde exporte vers les pays non-membres de la zone euro, c’est-à-dire que tous ces pays se mettent comme l’Allemagne à travailler pour la prospérité des autres… Et il ne s’agit même pas encore de croître, seulement de se maintenir.

Bref, le coup de maître de la monnaie unique se révèle être un désastre, et les appels à l’austérité se révèlent aussi finement analysés et compris par nos dirigeants que les sacrifices humains par les grands prêtres de l’empire aztèque finissant.

9. Genèse des Shadoks < Série Les Bases


Note :

1 Commet souvent les grands maîtres à penser se révèlent nettement moins bornés que leurs sectateurs ultérieurs ne nous le laisseraient croire. Ici, Adam Smith quitte tout naturellement le métallisme pour le chartalisme, presque complètement (il ne fait pas la prédiction de la disparition de l’or comme monnaie à l’instar de Knapp, mais il écrit plus d’un siècle encore avant lui) :

La monnaie-papier de chaque colonie étant acceptée en paiement des taxes locales, à sa valeur nominale d’émission sans décote, elle dérive nécessairement de cette utilité une certaine valeur, en surcroît de ce qu’elle aurait eue au terme réel ou supposé avant son retour final avec remboursement [NdT : contre l’or ou l’argent promis]. Cette valeur supplémentaire était plus ou moins grande selon que la quantité de papier-monnaie émise était plus ou moins supérieure à ce qui pouvait être utilisé pour payer les taxes de la colonie particulière qui l’avait émise. Ça allait dans toutes les colonies bien au-delà de ce qui pouvait être utilisé ainsi.

Un prince qui légiférerait pour qu’une certaine proportion de ses taxes soit payée par un certain type de monnaie-papier pourrait ainsi donner une certaine valeur à cette monnaie de papier, quand bien même le retour final devrait dépendre entièrement de la volonté du prince. Si la banque qui a émis ce papier fut suffisamment prudente pour maintenir sa quantité quelque peu en-dessous de ce qui pourrait être aisément utilisé ainsi, la demande pour cette monnaie pourrait être telle qu’elle surpasserait, par son cours sur le marché, la quantité de monnaie or ou argent pour laquelle elle fut émise.

SMITH Adam, An Inquiry Into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, 1776, livre 2, chapitre 2, § 103-104 in WRAY Larry Randall, Understanding Modern Money, Edward Elgar, Cheltenham, 2003 (1998), x + 198 p., p. 22

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7. Oui, « Il faut bien que l’argent vienne de quelque part. »

Confronté au néochartalisme, le néophyte est souvent si troublé face à cet argent qui semble fluer selon des principes autonomes qu’il s’exclame « Mais d’où vient l’argent ? Il faut bien qu’il vienne de quelque part ! » et de revenir à son intuition première selon laquelle l’argent a dû être « volé » d’une manière ou d’une autre. C’est cette illusion qui sous-tend le servage pour dette universel qui nous sert de système monétaire actuellement, et il convient de la dissiper.

Supposons que, dans une économie stable et prospère, il y ait un engouement soudain et croissant pour l’art contemporain parmi l’élite : avoir réussi, c’est posséder de l’art contemporain. Ainsi, simplement parce que son revenu s’est élevé, celui qui a réussi va consacrer une part de son revenu à le montrer, et achète Künsterscheisse de Manzoni pour 30 000 €. Le prix est bien plus élevé que le coût de revient : une boîte de conserve, une étiquette, son impression, un peu de colle, trente grammes de fèces de monsieur Manzoni, la fermeture de la boîte. L’inflation de ces ingrédients qu’on peut attendre de la production des Künsterscheisse est donc infinitésimal. Pourtant, l’élite se rachète et se revend toujours plus de ces boîtes et il se trouve par conséquent toujours plus d’argent qui s’agglutine autour de ces œuvres. Or, il faut bien que l’argent vienne de quelque part, et ce malgré que le produit n’en est manifestement pas la source.

Ici il n’y a plus que deux possibilités : Soit on considère que l’argent devant bien venir de choses « avec une vraie valeur », on refuse d’injecter de l’argent dans le reste de l’économie et on la force soit à baisser ses prix, soit à augmenter son endettement, simplement pour lui permettre de fonctionner à production constante. Soit on comprend que le prix d’échange n’est qu’une convention et on laisse un déficit renflouer le secteur privé ainsi ponctionné par cette lubie, et en laissant les taxes contracycliques l’éliminer une fois que l’élite se sera lassé et redirigera son argent vers le reste de l’économie. Ce qui compte, c’est que de l’argent parvienne jusqu’à tout le monde, pour que tout le monde puisse gagner de quoi se payer un train de vie décent et vivre. Peu importe que ce soit le budget de l’État ou les hauts revenus qui le fournisse, mais il faut que quelqu’un le fasse ; prétendre que seuls les plus aisés doivent fournir cet argent parce qu’ils sont du secteur privé, alors même qu’ils n’ont aucune envie de le faire, et interdire à l’État de mettre cet argent sur la table sous prétexte qu’il faut que cet argent vienne de quelque part, est inepte.

Non seulement, il se peut parfaitement que l’argent vienne de nulle part, mais lorsqu’on considère certains achats, il semble y retourner. Il est bon de chercher à ce que l’argent correspondent à de la richesse réelle, mais il faut bien comprendre que jamais on ne parvient à mettre le prix correspondant parfaitement à la valeur de la chose, qu’il y a toujours une part de convention arbitraire et que les vendeurs le savent bien, eux qui ont l’art de la tirer à eux. Il est légitime de veiller à ce que l’argent ne vienne que pour des services de valeur, mais il est tout aussi légitime de s’assurer que pour des services de valeur, de l’argent vienne de quelque part afin de pouvoir les acheter. Ce n’est que lorsqu’une ressource est totalement employée que l’injection d’argent devient mécaniquement et entièrement inflationniste, si une partie de la ressource est inemployée, l’argent supplémentaire viendra augmenter les quantités vendues, pas leur prix. Les produits dont la rareté fait le prix, comme les biens Veblen, de luxe, tel Künsterscheisse, ne sont qu’une minorité de produits, et assurer le plein-emploi n’est pas ce qui déclenchera inéluctablement l’hyperinflation, et ce d’autant plus que nous disposons de mécanisme encore plus raffinés de déficit ciblé pour mieux lutter contre l’inflation (cf article suivant : L’Employeur en Dernier Ressort).

6. La stabilité des prix < Série Les Bases > 8. L’Employeur en Dernier Ressort

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6. La stabilité des prix

L’un des principaux reproches adressés aux politiques keynésiennes est celui de l’inflation : les déficits continuels créeraient une inflation immaîtrisée qui dégénérerait inéluctablement en hyperinflation.

Or, l’histoire économique est remplie de déficits budgétaires successifs n’ayant pas entraîné d’inflation déraisonnable (supérieure à 3 % par exemple, ou encore qui accélère d’année en année), ni d’hyperinflation (augmentation des prix plus rapide que l’augmentation de la monnaie : chacun essaie de refiler la monnaie à quelqu’un d’autre tant qu’elle a encore de la valeur) ; mais cette histoire économique comporte aussi nombre de budgets déficitaires simultanément à une inflation immaîtrisée (plusieurs points au-dessus de l’objectif, ou encore qui augmente d’année en année). Cet article répond donc à la question Qu’est-ce qu’un budget (déficitaire) assurant la stabilité des prix ?

Ici ce n’est pas tant la quantité du budget et de son déficit que la qualité, comment ce budget est ficelé, qui compte. Trois choses concourent à ce qu’un budget n’augmente pas les prix.

La première, la plus évidente, et de prévoir des dépenses de mêmes montant que les recettes, et réciproquement, sans surenchérir sur les prix préexistants. Mais l’analyse peut aller plus loin avec deux autres types de mesures simples.

La seconde est d’avoir une taxation accompagnant le cycle économique, c’est-à-dire qui augmente avec l’augmentation des prix et qui diminue avec leur diminution. C’est le cas des taux proportionnels (ex. TVA) c’est-à-dire un pourcentage de la somme taxée, et des taux progressifs, c’est à dire qui augmentent avec la somme taxée (ex. impôt sur le revenu). Si l’exécution du budget devait sortir des clous prévus, par exemple parce que le secteur privé s’endette et préfère augmenter les prix plus vite que le budget ne l’avait anticipé, cette fiscalité corrigera la tendance. Il se peut que, si le secteur privé est euphorique et surenchérit à tout va, utilisant toute son épargne et s’endettant, l’État dégage un surplus budgétaire. Mais ce surplus budgétaire sera typiquement faible et éphémère ; il est absurde de croire que le surplus budgétaire est une vertu en soi et que l’État, en moyenne sur le long terme, doit dégager le même montant de surplus budgétaires que de déficits, car ce serait vider l’économie de toute monnaie souveraine nationale.

La troisième, très proche de la seconde, consiste à rendre les dépenses inverses des prix ou revenus. Par exemple les allocations chômage sont versés lorsque les salariés ne touchent plus leurs salaires, mais disparaissent lorsque ces personnes retrouvent un emploi et son salaire. Là encore, si l’exécution du budget sort de la trajectoire prévue, par exemple parce que les gains de productivité et la croissance ont été tels dans le secteur privé que nombre de personnes sont licenciées, l’État compense la perte de consommateurs que cause ces licenciements par ces allocations de chômage, poussant les fabricants de biens de première nécessité à produire à même prix pour satisfaire ces consommateurs, et ce pendant un temps supposé suffisant pour que le secteur privé les emploie autrement et leur redonne enfin un salaire.

Ces mécanismes qui temporisent les variations de prix sont dits contracycliques parce qu’ils vont à l’encontre du cycle économique de hausse et de baisse des prix. À l’inverse il existe des mesures procycliques, c’est-à-dire qui amplifient ce cycle. Ainsi les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu sont régressives, c’est-à-dire que le taux d’imposition diminue lorsque le revenu augmente. Un budget non-inflationniste n’est pas un budget équilibré, mais un budget conçu en recourant massivement à des mesures contra-cycliques. Supposons, mesure totalement absurde mais qui donne un exemple parlant, que le nouveau budget de l’État consiste exclusivement à taxer l’épargne et même le non-endettement massivement, et à redistribuer ces revenus fiscaux au centime près exclusivement en prime à l’achat de biens, etc. ; il est évident qu’alors, bien que le budget soit équilibré, les prix subiraient une forte inflation, en totale contradiction avec le préjugé des budgets sains garants de la stabilité des prix parce que « financés », notion absurde concernant l’émetteur de la monnaie et qui, par définition, n’a pas à se financer

Comme le montre le célèbre économiste Hyman Philippe Minsky dans Stabilizing an Unstable Economy, c’est bien un large pourcentage du PIB sous le contrôle des stabilisateurs automatiques de l’État qui amortit les fluctuations inhérentes à une économie de marché. La Banque Centrale ne joue qu’un rôle secondaire, polissant le gros œuvre accompli par le budget de l’État, et incapable de le remplacer lorsque les variations sont trop fortes, en cas d’hyperinflation comme de dépression…

Il se peut que mon lecteur soit encore sceptique, et se demande s’il n’y a pas un peu d’inflation qui échapperait à tout cela. C’est bien possible, mais il doit garder à l’esprit que le système actuel, en moyenne, laisse filer 2 ou 3 % d’inflation lorsqu’il fonctionne comme prévu ; qu’il est possible d’être encore plus efficace dans le déficit anti-inflation grâce à l’Employeur en Dernier Ressort (proposition phare du néochartalisme qui sera l’objet d’un article dédié) ; et que la création monétaire par les banques et leur crédit nous fait sauter d’une bulle spéculative à une autre, créant une stabilité moyenne des prix masquant très mal leur forte volatilité dans l’intervalle, avec tout ce que ça comporte de déstabilisant pour l’économie réelle.

Ce qui importait pour cet article, c’était que mon lecteur comprenne qu’il est possible en pratique, de faire tourner la planche à billets sans faire délirer les prix, et que, de même que la Banque Centrale contrôle les variations de prix par les taux directeurs, mais pas le volume des crédits, l’État peut s’autoriser à maîtriser les prix plus que le montant de l’argent qu’il injecte dans l’économie.

Cette vision des choses n’a pourtant pas grand chose d’iconoclaste, car les stabilisateurs automatiques sont une tarte à la crème de la macro-économie, et que l’hypothèse que le budget puisse être aussi flottant que cela par rapport au financement du fonctionnement de l’État avait déjà été stipulée par des partisans aussi acharnés du budget équilibré que Milton Friedman (qui se pliait alors au consensus d’après-guerre plutôt qu’à ses convictions intimes) :

La taille et les effets automatiquement produits par les changements du revenu national dépendent évidemment de l’étendue des activités que le gouvernement entreprend, puisque cela déterminera en retour l’ordre de grandeur général du budget public. Toutefois, un élément essentiel de cette proposition est que les activités entreprises par le gouvernement sont déterminées selon des fondements entièrement différents.

5. Une dette insoutenable ? < Série Les Bases > 7. Oui, « Il faut bien que l’argent vienne de quelque part. »

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