Monnaie souveraine, taux de change et spéculation

Le néochartalisme explique donc comment avoir une monnaie stable, assurant le plein emploi et l’autonomie monétaire du pays. Quant à l’étranger, on sait jusqu’ici uniquement qu’il est un utilisateur de la monnaie souveraine nationale, et est donc traité de la même manière que les utilisateurs nationaux de la monnaie nationale (la seule chose qui compte, c’est que les transactions soient effectuées dans une monnaie dont ils ne sont pas l’émetteur, ainsi même le Trésor japonais, émetteur souverain du yen, est un simple utilisateur de la monnaie souveraine qu’est le dollar américain, parce qu’il ne dispose pas de l’émission du dollar américain. Tout le monde est simple utilisateur de la monnaie autre que celle qu’il émet, et si on n’émet aucune monnaie souveraine, on est simple utilisateur de la monnaie universellement, comme les entreprises, les ménages ou les banques commerciales de toute nationalité). Pour assurer un fonctionnement sain du marché, est préconisé une régulation, bancaire notamment, assumant pleinement son rôle plutôt que tétanisée à l’idée de perturber le jeu des marchés. Mais comment assurer une telle souveraineté sur les rapports avec l’étranger, c’est-à-dire précisément ce qui échappe à sa souveraineté ? État des lieux.

Avantage de la monnaie fiduciaire

Lorsqu’on ouvre un compte en banque dans une monnaie fiduciaire, il faut s’adresser à une banque, qui nous ouvre un compte dans cette monnaie uniquement, cette banque elle-même, pour opérer, doit obtenir une licence auprès de la banque centrale de cette monnaie, et cette banque centrale lui permet d’opérer ainsi : en lui ouvrant un compte, exactement comme le particulier ouvre un compte chez sa banque commerciale, et ce compte à la banque centrale est exclusivement tenu dans la monnaie gérée par la banque centrale. Pour pouvoir gérer plusieurs monnaies, une banque internationale ouvre plusieurs comptes, au moins un par monnaie et placé dans chacune des banques centrales. Seuls les billets et pièces peuvent échapper à ce système, mais ils représentent quelques pourcents seulement de la totalité de la base monétaire, le complément étant les réserves qui ne circulent qu’entre ces comptes au sein de la banque centrale et le Trésor. Dans un tel système, il est aisé d’imposer une régulation, même à des banques étrangères, car la banque centrale peut à tout moment geler (arrêter tous les versements que la banque commerciale lui enjoint de faire en son nom) les comptes des banques récalcitrantes qu’elle détient.

Quelques bribes de régulation

La régulation est un très vaste domaine, en voici seulement quelques illustrations. La première est d’interdire tout pari sur les fluctuation de prix. C’est-à-dire la vente d’un bien dont on n’est pas propriétaire, de même pour les contrats type assurance sur biens qu’on ne possède pas. Si un risque est déjà couvert contractuellement, tout nouveau contrat portant sur ce même risque devient aussi illégal : on s’assure contre l’incendie de sa maison ou son inondation, pas contre deux incendies ou deux inondations de cette même maison, sauf si on prévoit un tel accident et qu’on espère toucher le gros lot. Cela permettrait par exemple de laisser le seul argent des vendeurs et acheteurs de matière première en dicter le prix plutôt que de le laisser essentiellement dicté par les tocades des banquiers en mal d’investissement. C’est facile à faire pour les marchés nationaux dont les marchés financiers, je reviendrai sur les marchés internationaux.

Si des spéculateurs tentent une attaque spéculative à la hausse, c’est-à-dire qu’ils enclenchent un mouvement haussier dans l’espoir qu’ils revendront à un cours supérieur, la banque centrale peut très aisément parer l’attaque. Supposons que ce soit une attaque de spéculateurs américains contre le yen, pour éclaircir le propos. La Banque du Japon peut alors plafonner le taux de change en achetant tout dollar qui veut s’échanger au prix plafond ou au-dessus encore. Elle peut en acheter une quantité illimitée, puisqu’elle ne peut pas être à court de yen. Au contraire, les spéculateurs ne disposent que d’une quantité limitée de dollar, et vont vite voir leurs poches se vider, et leur yen retomber ensuite face au dollar, les obligeant à enregistrer une perte lorsqu’ils les échangent pour revenir au dollar. Simultanément, elle peut décider de revendre ces dollars, par exemple 2 % en dessous du plafond et empêcher ainsi les yen nouvellement créés de rester trop longtemps dans le circuit. En pratique, cela signifie que taux de change oscille entre ce plafond et ce plancher 2 % en dessous, jusqu’à ce que tous les dollars engrangés par cette opération soient revendus. Cette technique fut utilisé avec succès par le gouverneur de la Banque de France contre une attaque visant à rehausser la parité-or du franc dans l’entre-deux-guerres (Moreau Émile, Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France : Histoire de la Stabilisation du Franc (1926-1928), M.-Th. Génin, Paris, 1954, xvi+625 p., p. 180-200). Cette opération ruine le spéculateur qui doit payer 2 % pour chaque aller-retour entre le dollar et le yen, il se lassera vite…

Bien sûr, la meilleure garantie contre une attaque spéculative est la solidité économique et monétaire du pays : moins il fait douter, plus difficile sont à entraîner des variations, à la hausse comme à la baisse. En interdisant les paris sur fluctuations de prix, en limitant les fonds échangeables et les contrats à terme aux sommes effectivement échangées par les particuliers, on peut forcer la place de change à une certaine sobriété, et une fois cette place bien établie, le reste suit, même les échanges en billet, car, soit les acheteurs, soit les vendeurs y trouvent un meilleur prix, et grossissent encore le marché par effet boule de neige…

Un tel système ne serait pas aussi stable que l’étalon-or ou l’étalon change or, mais les variations les plus déstabilisantes en serait éliminées, et les variations nécessaires qu’avouaient les brusques changements de taux périodiques seraient elles aussi lissées dans le temps, au bénéfice de de la politique fiscale et monétaire indispensable aux plein emploi et à la stabilité chers aux néochartalistes. C’est le compromis à faire dans le classique triangle de Mundell. Nombre de financiers juge l’interdiction des ventes à découvert illimitées impensable, pourtant elles furent entreprises lorsqu’il s’agissait de les sauver elles. Trop sporadiquement hélas.

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