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10. Le grand camouflage

En creusant à l’intérieur des livres de comptes du Trésor et de la banque centrale, des chercheurs ont pu retrouver que le Trésor public dépense en créditant simplement les comptes en banques lorsqu’il paie et en débitant les comptes en banques lorsqu’il taxe. Voici un extrait des recherches de Stephanie Kelton sur le Trésor américain :

Les billets de banques de la Federal Reserve (et les réserves) sont enregistrés au passif sur le bilan comptable de la Fed et sont éteints /débités lorsqu’ils sont offerts en paiement à l’État. Il faut aussi constater que lorsque les réserves retournent à l’État, et de la monnaie souveraine (high-powered money) est détruite. […]

Ainsi, comme la monnaie bancaire (M1) est détruite lorsque la monnaie bancaire est utilisée pour payer des taxes, la monnaie de l’État, monnaie souveraine (High-Powered-Money), est détruite lorsque les fonds sont placés sur le compte du Trésor chez la Fed. Vu ainsi, il est démontré de manière convaincante que la monnaie collectée par l’impôt et la vente d’obligations (bons du Trésor) ne peut pas possiblement financer la dépense gouvernementale. Cela parce que pour « mettre sa main » sur les recettes des impôts et des ventes d’obligations, le gouvernement doit détruire la monnaie qu’il a collecté. Clairement, la dépense gouvernementale ne peut pas être financée par une monnaie qui est détruite lorsqu’elle est reçue par l’État !

Cette vérité technique simple peut être retrouvée intuitivement : si personne ne pouvait d’abord créer de la monnaie, alors personne ne pourrait en trouver, puisqu’elle est un artefact humain ! Donc il faut bien que quelqu’un quelque part dépense simplement en créant la monnaie. Comme ça, sorti du néant. Si cette monnaie n’est qu’un ensemble de prêts à rembourser à échéance, alors, compte tenu des aléas impondérables, ces prêts feraient inéluctablement défaut pour remettre la comptabilité au diapason du réel, ou le défaut serait éviter par de nouveaux prêts, des prêts Ponzi qui sauveraient la comptabilité mais éloigneraient toujours plus du réel… Et inversement, lorsque cet émetteur obtient de cette même monnaie qui lui revient par quelque moyen que ce soit, il n’en a pas l’utilité, car il n’a aucun besoin de financement lui qui crée le financement, et tout ce que peut faire cette monnaie, c’est retourner au néant. Dans le cas des billets de banques, il est moins coûteux de les réutiliser, mais lorsqu’ils sont trop usés, ils sont eux aussi détruits, physiquement, et de beaux billets tout neufs les remplacent pour que l’État puisse dépenser. Tout simplement.

Mais il se peut que l’État se dessaisisse de sa souveraineté monétaire. Comme pour la zone euro. L’exemple le plus classique est l’étalon-or, ardemment prôné par les libéraux aux 19ème siècle et encore aujourd’hui par les plus fervents d’entre eux comme l’école autrichienne. La conséquence de ce système est que, si l’économie veut épargner, pour financer la croissance ou pour se désendetter, alors il faut que quelqu’un trouve de l’or, sans quoi c’est la déflation ; et à l’inverse, si quelqu’un trouve toute une mine d’or, l’État ne peut empêcher l’inflation générale des prix. Si l’État décide de financer l’épargne en émettant des billets au-delà de sa couverture en or, alors il court le risque d’une ruée sur ses coffres et d’une faillite. L’étalon-or est un système aberrant, à l’évidence ; mais comme il permettait de rabaisser l’État au niveau d’un banquier devant veiller à ses niveaux de réserves, les libéraux se sont bien abstenus de prôner les vérités du chartalisme1

Aujourd’hui, la chose est plus subtile. Comme Stephanie Kelton l’avait démontré dans la recherche citée au-dessus, le Trésor public déploie diverses stratégies pour que ses dépenses continuelles et ses taxations massives mais périodiques ne déstabilisent pas le système bancaire privé. L’une de ces techniques est les comptes du Trésor dans les banques commerciales nommés Tax & Loan qui laissent temporairement l’argent taxé dans ces banques. Une autre est l’achat et la vente de bons du Trésor par la banque centrale pour maintenir les taux au niveau voulu. Mais ces techniques sont progressivement sorties de leur objectif initial d’accommodement envers le secteur bancaire privé pour devenir la propagande que l’État ne ferait pas ces opérations pour aider pragmatiquement le secteur privé, mais aurait besoin de ces opérations pour se financer. Car c’est irritant pour les banques : au lieu d’un besoin de crédit bancaire, les particuliers peuvent sereinement épargner auprès de l’État.

Lors du précédent billet, j’ai brièvement expliqué comment il fut imposé à l’État d’emprunter le montant non-taxé de ses dépenses, mais la chose ne suffit pas : les financiers n’ont gagné qu’un faible pouvoir psychologique, car l’État peut toujours emprunter à volonté. En effet, il crée la monnaie qui paie ces emprunts et les banques n’ont rien de mieux à faire que de payer ces emprunts avec, puisque ça leur rapporte des intérêts et qu’elles ont déjà toutes les réserves nécessaires aux autres emplois (cf 3° La passivité du crédit). Alors, de même que les banquiers veillent à ce qu’aucun d’eux ne créent autant de monnaie qu’il le souhaite, de peur que chacun n’en fasse retomber la pression inflationniste sur tout le monde plutôt que le seul responsable, de même ils ont souhaité recréer cette force de dissuasion mutuelle au niveau des États avec des projets de monnaies communes interétatiques, qui mettrait les États membres en position de surveiller que le voisin ne lui vole pas de seigneuriage, quand lui se serre la ceinture. Ce fut le projet de l’euro.

Les financiers ont réalisé un coup de maître comme nous le constatons actuellement : l’Allemagne qui a fait le choix de contraindre son budget à se rapprocher de l’équilibre, a misé tous ses espoirs de croissance sur l’exportation, c’est-à-dire a contraint les autres pays à être en déficit et pour eux-mêmes et pour les Allemands, particulièrement les pays membres de l’eurozone, car ces derniers ne peuvent pas dévaluer leur monnaie. Les Allemands refusent de reconnaître qu’ils ont épargné férocement en se serrant la ceinture pour financer à d’autres pays les dépenses qu’ils se refusaient pour eux-mêmes. On comprend effectivement le ridicule de la situation. Et ils veulent que les autres paient et équilibrent aussi leurs budgets. Sauf que la seule possibilité restante, c’est que tout le monde exporte vers les pays non-membres de la zone euro, c’est-à-dire que tous ces pays se mettent comme l’Allemagne à travailler pour la prospérité des autres… Et il ne s’agit même pas encore de croître, seulement de se maintenir.

Bref, le coup de maître de la monnaie unique se révèle être un désastre, et les appels à l’austérité se révèlent aussi finement analysés et compris par nos dirigeants que les sacrifices humains par les grands prêtres de l’empire aztèque finissant.

9. Genèse des Shadoks < Série Les Bases


Note :

1 Commet souvent les grands maîtres à penser se révèlent nettement moins bornés que leurs sectateurs ultérieurs ne nous le laisseraient croire. Ici, Adam Smith quitte tout naturellement le métallisme pour le chartalisme, presque complètement (il ne fait pas la prédiction de la disparition de l’or comme monnaie à l’instar de Knapp, mais il écrit plus d’un siècle encore avant lui) :

La monnaie-papier de chaque colonie étant acceptée en paiement des taxes locales, à sa valeur nominale d’émission sans décote, elle dérive nécessairement de cette utilité une certaine valeur, en surcroît de ce qu’elle aurait eue au terme réel ou supposé avant son retour final avec remboursement [NdT : contre l’or ou l’argent promis]. Cette valeur supplémentaire était plus ou moins grande selon que la quantité de papier-monnaie émise était plus ou moins supérieure à ce qui pouvait être utilisé pour payer les taxes de la colonie particulière qui l’avait émise. Ça allait dans toutes les colonies bien au-delà de ce qui pouvait être utilisé ainsi.

Un prince qui légiférerait pour qu’une certaine proportion de ses taxes soit payée par un certain type de monnaie-papier pourrait ainsi donner une certaine valeur à cette monnaie de papier, quand bien même le retour final devrait dépendre entièrement de la volonté du prince. Si la banque qui a émis ce papier fut suffisamment prudente pour maintenir sa quantité quelque peu en-dessous de ce qui pourrait être aisément utilisé ainsi, la demande pour cette monnaie pourrait être telle qu’elle surpasserait, par son cours sur le marché, la quantité de monnaie or ou argent pour laquelle elle fut émise.

SMITH Adam, An Inquiry Into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, 1776, livre 2, chapitre 2, § 103-104 in WRAY Larry Randall, Understanding Modern Money, Edward Elgar, Cheltenham, 2003 (1998), x + 198 p., p. 22

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9. Genèse des Shadoks

Si j’ai bien réussi mes précédents articles sur Les Bases, il se peut que mon lecteur se mette à douter du néochartalisme non pas parce que ce serait trop obscur, mais parce que ce serait trop simple, trop beau pour être vrai. Il peut en effet se poser la question Mais pourquoi le néochartalisme ne fait-il pas l’unanimité, depuis longtemps ? Cet article vise à démêler l’écheveau de raisons qui poussent nos esprits à agir comme de véritables Shadoks. Ces raisons foisonnantes font que ce billet, contrairement aux autres de la série Les Bases, est plus long.

1. La pensée zéro

Rapidement parce que je l’ai déjà expliqué : avant même de penser à ce que pourrait être un budget d’émetteur de la monnaie, spontanément, la pensée procède par analogie avec ce qu’elle connait déjà c’est-à-dire un budget d’utilisateur de la monnaie (un budget de ménage, d’entreprise), et passe donc à côté de la situation d’émetteur qui fait qu’il n’y a pas de contrainte financière, seulement des contraintes en terme de ressources réelles.

2. La contrainte des ressources réelles

Idem, rapidement : de manière un poil plus subtil, on peut comprendre qu’il ne suffit pas d’imprimer de nouveaux billets pour qu’il y ait de la richesse et trop rapidement en conclure que cette contrainte est équivalente à l’équilibre budgétaire. Or, il y a une marge de manœuvre entre l’équilibre budgétaire et le déficit inflationniste qu’il est indispensable d’exploiter, ne serait-ce que pour financer la croissance en préservant la stabilité des prix et un niveau d’endettement sain du secteur privé.

3. Le pragmatisme des gouvernements

Les hommes d’action sont très pragmatiques. C’est dans leur être. Et s’ils ont l’avantage de remettre en cause bien des a priori doctrinaux lorsqu’ils s’en sentent l’instinct, le plus souvent poussés par une vision, ils ont le grave travers d’oublier les leçons obtenues aussi vite qu’elles furent apprises. Ainsi, lors d’un récent discours (« C’est une théorie simple […] mas voilà le problème : Ça ne fonctionne pas. Ça n’a jamais fonctionné. »), Obama a fait le cheminement intellectuel de F. D. Roosevelt lors de son attaque de poliomyélite, lorsqu’il réalisa la fausseté de la vulgate libérale dominant les cercles dirigeants. De même que les successeurs de Roosevelt oublièrent ces précieuses leçons, nos gouvernants ont-ils suffisamment envie d’apprendre, et surtout pour suffisamment longtemps ?

L. Randall Wray, note ainsi dans son Understanding Modern Money que les autorités coloniales retrouvèrent naturellement le fonctionnement de la monnaie en établissant des taxes plutôt qu’en espérant que la monnaie soit désirée pour elle-même (p. 57-61). Pourtant, nos autorités actuelles pensent à nouveau que leur capacité à payer dépend de l’acceptation de cette monnaie par les individus. Non, les individus acceptent cette monnaie parce que le souverain prend la décision souveraine d’imposer des paiements en cette monnaie ; lorsque l’économie est en crise, comme actuellement, il n’est même pas nécessaire de s’occuper encore des questions d’inflation : le secteur privé est trop heureux de pouvoir épargner, avant même d’avoir effectivement des taxes à payer. Mais, non, par un diagnostic absurde, les autorités ont décidé que la priorité n’est plus de renflouer l’économie réelle, mais de renflouer les banques et de comprimer cette économie réelle à laquelle les banques prêtent, alors même que les bilans des banques n’y survivront pas…

4. Les doctrines libérales

Parce que les gouvernants se sont beaucoup plus disciplinés à mesure qu’ils saisissaient combien ce qu’ils gèrent dépasse leur entendement, les conseillers dont ils s’entourent deviennent primordiaux pour que ces instincts trouvent un certain équilibre lors de leur application. Ce qui signifie aussi que les gouvernants sont très largement contraints par ce que la doctrine des conseillers est capable de leur faire comprendre ou s’ingénie à leur obscurcir. Or, le libéralisme, malgré toutes ses qualités qui lui ont fait mériter ses succès (du moins par rapport à ses rivaux), a ceci de particulièrement gênant de postuler que la solution est dans l’arrangement libre et spontané des individus plutôt que dans une émanation collective ; cela le rend toujours plus inapte (à mesure qu’il devient plus cohérent avec cette prémisse de la liberté) à comprendre l’État, donc à conseiller le pouvoir souverain.

Sur la question monétaire, les libéraux se sont mis à croire en leur uchronie d’un troc produisant un bien spécialisé qui devient la monnaie (typiquement l’or). C’est-à-dire qu’ils ignorent totalement ou presque la relation au pouvoir central pourtant présente dès les origines, aussi loin qu’on puisse remonter1… C’est ce qui fait que le renversement des libéraux par les keynésiens se soit accompli précisément sur la monnaie et la macroéconomie (le collectif et la monnaie qu’il produit sont des angles morts d’une pensée axée sur les individus) ; et que Milton Friedman n’ait reconquis la domination qu’en affrontant ces deux questions, affrontement qui connait son renversement toujours sur le même champ de bataille actuellement.

5. La peur du pouvoir

Les libéraux jouent beaucoup dessus. « Tout pouvoir amène la corruption, le pouvoir absolu amène la corruption absolue » (Lord Acton cité entre autre par von Hayek Friedrich August, La route de la servitude, Quadrige/Presses Universitaires de France, Paris, 1985 (1946), 176 p., p. 99).

C’est une thèse très séduisante mais fausse, car elle renverse le rapport de causalité : c’est parce qu’on se retrouve directement en prise avec la corruption, avec le chaos des choses qu’on cherche à acquérir le pouvoir. Il est également vrai qu’un esprit mal préparé, confronté aux possibilités virtuellement illimitées du pouvoir et à leurs répercussions, peut être pris de vertige, soit qu’il se tétanise de peur de perdre le contrôle, soit qu’il soit pris de l’ivresse de la toute-puissance. Une part importante de l’enfance consiste à maîtriser l’ivresse du sentiment de toute-puissance.

La chose est encore plus claire si on analyse les solutions libérales à ce problème très difficile du pouvoir : En quoi un gouvernant devient-il soudainement vertueux simplement parce qu’il est financièrement contraint ? S’il veut se payer des parties fines et se fiche du reste, alors, au lieu de se payer des parties fines en assurant le plein emploi simplement en maintenant un système monétaire qui l’assure, il aura quand même ses parties fines, mais en bas de l’échelle social, le menu peuple est précarisé, mis au chômage, bouc-émissaire de l’inconséquence des dirigeants et de leurs conseillers. Belle victoire libérale. Autre conséquence du libéralisme : alors que le pouvoir politique démocratique est en crise de légitimité et ressemble plus à un pantomime grassement rémunéré, le pouvoir n’a pas disparu car il y existe toujours une frontière à garder entre l’ordre et chaos, mais ceux qui dirigent sont des ploutocrates oligarchiques, de grands rentiers, des PDG de multinationales et de grandes banques, et leur pouvoir n’est certainement pas plus humain que le pouvoir démocratique s’efforçant d’être à l’écoute de tous. Là aussi, belle victoire libérale.

6. Les jeux de pouvoir des financiers

Le pouvoir monétaire n’est pas perdu pour tout le monde. La castration libérale de l’État a échu ce pouvoir aux financiers, ceux qui étaient les plus indiqués pour profiter de sa déshérence. L’avènement de la modernité, son individualisme, son progressisme sont consubstantiels au libéralisme, et on peut même dire que le libéralisme est l’expression connue la plus aboutie des aspirations modernes. Or, dès ses origines, la modernité a partie lié avec le crédit, Calvin déjà fit un pas décisif, la Révolution française libéralisa le crédit, et tout le développement capitaliste est comme incapable de se dissocier du crédit2 malgré tous les problèmes qu’il lui pose.

Les tentatives des financiers pour prendre le pouvoir furent nombreuses, ainsi Émile Moreau narre dans ses mémoires la malveillance d’un banquier envers la Banque de France simplement parce que cette dernière bénéficiait du monopole d’État, ou encore cette tentative d’asservissement du gouvernement (Souvenirs d’un Gouverneur de la Banque de France, 1954, p. 402) :

M. de Rothschild m’a déclaré qu’il était désirable d’abroger la loi de 1918 sur l’exportation des capitaux, pour donner aux modérés une arme contre les cartellistes, si ces derniers revenaient au pouvoir. Ceux-ci pourraient être à la merci d’une panique financière. Ni M. Moret, ni moi, ne sommes disposés à nous associer à une politique aussi contraire à l’intérêt public.

Une autre technique fut de camoufler le pouvoir de création monétaire de l’État en l’obligeant à passer par la banque centrale, puis les banques privées. Ainsi en France, et jusqu’en 1973, au lieu de simplement émettre la monnaie et de choisir quand la reprendre, il était obligé d’emprunter cette somme à taux zéro. Dans les deux cas, l’État pouvait en pratique choisir quand rendre cette somme, dans le second simplement en faisant rouler l’emprunt, donc maîtriser l’échéancier et être sûr d’avoir les poches assez profondes pour faire face (contrairement au secteur privé, simple utilisateur de la monnaie) à toutes situations. Avec la loi du 3 janvier 1973, c’est encore un peu plus ébréché : l’avance par la Banque de France est toujours possible, mais à l’initiative de cette dernière seulement. L’évaporation du pouvoir d’émission de la monnaie s’est encore beaucoup poursuivi avec l’euro. Et les financiers n’ont jamais connu de rémunérations aussi élevées. Ils forment donc le groupe sociologique le plus intéressé à ce que la vraie nature de la monnaie ne soit pas connue, à ce que leurs mensonges ne soient pas éventés, à ce qu’on les croit toujours seuls détenteurs possibles de la monnaie.

7. Le matérialisme / l’incapacité conceptuelle

Une autre raison, fréquente chez les partisans de l’étalon-or, est l’incapacité à concevoir la valeur de la monnaie comme très arbitraire, la nécessité pour leur esprit que la monnaie ne soit que l’équivalent d’un « actif tangible ». Bref, l’or aurait une valeur intrinsèque, et la monnaie en dériverait toute sa valeur. En plus d’être historiquement faux, c’est une conception de la valeur inepte : on paie pour des services intangibles, des services qui ne durent pas comme l’or, comme une coupe de cheveux, mais qui sont pourtant échangés contre de la vraie monnaie, de l’or même (puisqu’on peut toujours convertir la monnaie en or, à taux fixe ou variable). La durabilité de ce qui est payé est extrêmement variable : depuis la pyramide de Khéops jusqu’aux bulles de savon pour que jouent les (grands) enfants. On peut même dire sans grande exagération qu’il n’y a que des services et aucune création matérielle ; après tout, on n’achète pas de la pierre au mineur mais l’extraction et l’acheminement d’une pierre préexistante, on n’achète pas une statue mais la sculpture que l’artisan a réalisé sur cette pierre, on n’achète pas une belle maison mais l’assemblage de tous les éléments faits par des ouvriers surveillés, dirigés et inspirés par les chefs de chantier et l’architecte, etc.

Il n’y a aucune espèce d’intuition géniale à considérer que l’or fait la valeur de la monnaie. Et il n’y a aucune espèce d’impossibilité à ce que l’Employeur en Dernier Ressort donne de la valeur à la monnaie en exécutant des services par ses salariés. L’Employeur en Dernier Ressort pourrait même embaucher ces personnes à creuser et reboucher les mêmes trous qu’il n’y aurait toujours pas d’impossibilité pratique, simplement le gaspillage stupide de l’effort de ces employés, ainsi qu’un message psychologique très déprimant à leur encontre (Voir ces plus amples développements à ce sujets).

8. L’Employeur en Dernier Ressort < Série Les Bases > 10. Le grand camouflage


Notes :

1 Ici, nous avons un passage d’un historien reconnu, pourtant conciliant semble-t-il avec la thèse libérale, où on ne parvient tout simplement pas à évacuer l’État :

Les historiens s’accordent pour situer la véritable invention de la monnaie — ce que les spécialistes qualifient de « monnaie standardisée et certifiée » — aux VIIIe-VIIe siècles av. J.-C. Par monnaie standardisée et certifiée, on entend une monnaie dont le contenu en métal (précieux ou autre) est uniforme, et dont surtout le contenu métal (et son titre) est certifié par une autorité politique. Cette invention apparaît à la fois en Chine et dans la bassin méditerranéen. Dans ce cas, la Chine a probablement précédé le bassin de la Méditerranée, et cela vers le XIe siècle av. J.-C. Bien évidemment, il s’agissait alors de monnaie métallique, puisque le papier-monnaie ne fut inventé que beaucoup plus tard et également par les Chinois (vers le IXe siècle), donc près d’un millénaire avant l’Occident. Comme ces pièces étaient de différentes formes selon leur valeur, on considère qu’il s’agissait de véritables pièces de monnaie. La pièce ronde percée d’un trou carré — dont le succès fut durable non seulement en Chine mais dans tout l’Extrême-Orient — est apparue, elle, vers le IIIe siècle av. J.-C.
Pour le bassin méditerranéen On peut être plus précis. La première véritable monnaie a été frappée en Lydie, un État grec de l’Asie Mineure, vers le VIIe siècle av. J.-C. Ces pièces, dont la forme étaient celle du haricot, étaient constituées d’un alliage d’or et d’argent (appelé « electrum »). Elles comportaient comme emblème la tête d’un lion et, c’est là le point important qui en fait une monnaie, une marque certifiant soit le poids, soit le titre (proportion), soit les deux.

Bairoch Paul, Victoires et déboires, Histoire économique et sociale du monde du XVIe siècle à nos jours, tome I, Gallimard, Paris, 1997, 662 p., p. 27-28

Remarquons que l’or n’a jamais fait la valeur de la monnaie, mais une question de prestige (comme le reconnait le très libéral Hayek : « L’étalon-or opérait surtout grâce à l’existence de la conviction généralement partagée qu’être exclu du régime de convertibilité en or était une calamité majeure et une honte nationale. » von Hayek Friedrich August, La Constitution de la liberté, Litec, Paris, 1994 (1960), XXVII+530 p., p. 333). Nous disposons de nombreuses preuves historiques : régulièrement, les souverains abandonnaient et revenaient à l’étalon-or lorsque des crises sévissaient ; faute d’or, et poussés par la situation, des monnaies furent battues par exemple sur du cuir et furent acceptées comme paiement de rançon pour un roi capturé entre autre ; les pièces d’or des différents souverains, pourtant de poids fixes en métaux précieux, s’échangeaient à cours variable au jour le jour sur des places de changes du Haut Moyen Âge). Bref, c’est le volume de monnaie souveraine en circulation relativement au volume de taxes à payer et de désir d’épargne de l’économie qui déterminait la valeur de la pièce, même d’or, plutôt que le poids en métal. Que les souverains aient édictés des lois contre le rognage de ces pièces pour éviter d’avoir à repayer du métal précieux lorsqu’il rebattaient sa monnaie (changement d’effigie, par exemple) ne prouve nullement que l’or fondait la valeur des pièces.

2 Dembinski Pawel H., L’endettement international, Que sais-je, PUF, Paris, 1989, 125 p., p. 8 :

La conjonction de la personne morale et d’un cadre comptable cohérent a ouvert la porte à la généralisation du financement économique par endettement. L’essor pris par ce type de financement depuis deux siècles accompagne l’émancipation de l’économie de l’emprise du politique. Ce processus a conduit à l’apparition au XIXe siècle de l’économie de marché en tant que système. Ces coïncidences suggèrent que « endettement » et « économie de marché » entretiennent des liens très étroits, à tel point que certains auteurs considèrent la monnaie comme une créance qui atteste que son détenteur a donné quelque chose à la collectivité et a reçu en contrepartie la monnaie, c’est-à-dire une reconnaissance de dette. L’économie de marché — monétaire par excellence — serait donc naturellement une économie d’endettement.

Alan Greenspan, ancien président de la Fed, pose similairement la question :

La question vexante à laquelle sont confrontés les régulateurs est si le poids croissant de la finance a été une nécessaire condition de la croissance du dernier demi-siècle, ou une coïncidence.

La position néochartaliste est que le libéralisme se crée artificiellement l’obligation de passer par la finance pour financer l’économie, et que cette finance déchaînée tend à être un prédateur toujours plus insupportable pour cette dernière. Il suffirait de réassumer le pouvoir de création monétaire de l’État pour pouvoir faire rentrer la finance dans de justes proportions. C’est parce qu’elle nous menace de la faillite que nous lui cédons progressivement tout ; et c’est parce que nous nous interdisons bêtement la planche à billet comme on peut avoir peur du couteau que nous croyons devoir être financés uniquement par les financiers.

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8. L’Employeur en Dernier Ressort

Nous avons vu que ce qui permet au budget de ne pas être inflationniste est d’abord son caractère contracyclique, et non son équilibre budgétaire voire son surplus, dans le numéro 6 de notre série Les Bases. Aujourd’hui, nous affinons l’analyse d’un budget sans inflation et assurant le plein emploi avec la proposition majeure des partisans du néochartalisme : l’Employeur en Dernier Ressort.

Cette proposition est tout ce qu’il y a de plus naturel au regard de notre expérience historique : Comme lors de toutes les grandes dépressions économiques, elle invite l’État à embaucher lui-même les masses que le secteur privé est incapable d’employer. Il n’y a rien de choquant à cela, c’est ce vers quoi s’oriente progressivement Obama, ce que fit Roosevelt avec la WPA et d’autres administrations et ce qu’approuva le très sourcilleux et libéral Milton Friedman1 ! Retenant la leçon de l’inflation des Trente Glorieuses, l’Employeur en Dernier Ressort vise à injecter le déficit non pas dans de grands projets et laisser l’augmentation de l’activité résorber d’elle-même le chômage, mais à cibler directement les chômeurs en proposant à qui le désire d’être employé par cet agence à salaire fixe. Comme ce salaire ferait par définition figure de salaire minimum, il serait donc proche du montant du Smic en France, ce qui est loin d’être excessif pour mener une vie décente, tout en étant nettement plus substantiel que le RMI et diverses allocations.

Si cette proposition choque trop les convictions de mon lecteur, qu’il sache que le néochartalisme peut fonctionner comme lors des Trente Glorieuses, c’est-à-dire sans Employeur en Dernier Ressort, sans sous-emploi, mais avec deux ou trois pourcents de chômeurs, heureusement pour des durées beaucoup plus courtes et dans de bien meilleures conditions qu’actuellement. L’Employeur en Dernier Ressort n’est qu’une option pour le néochartalisme, une option très désirable me semble-t-il, mais une option, et qui permettrait de clore définitivement les débats sur la courbe de Phillips (voir son successeur le NAIRU), débat qui avait remis en selle le libéralisme après-guerre (voir mon billet Le choix du chômage de masse).

Le mécanisme est classique et connu de mes lecteurs. Lorsque la crise s’installe et que les prix baissent, les chômeurs trouvent un emploi et un salaire chez l’Employeur en Dernier Ressort (l’EDR), cela génère un déficit public puisque l’EDR est financé par l’État, et ce déficit public renfloue le secteur privé jusqu’à ce qu’il retrouve son assise. Lorsque ce dernier réembauche et remonte ses prix, il vide l’EDR de ses employés attirés par une meilleure rémunération, le déficit se tarit, et les prix sont stabilisés. Comme ce déficit n’est pas distribué sous la forme d’une grande enveloppe d’abord captée par ceux qui sont économiquement les plus forts (les commandes publiques peuvent être utilisées par le secteur privé soit à embaucher les chômeurs, soit à surenchérir sur les salariés déjà existants, cette deuxième alternative devient de plus en plus probable lorsqu’on s’approche des deux ou trois derniers pourcents de la population au chômage), ce déficit met l’argent directement dans la poche de celui qui est affaibli et contre un véritable travail ; c’est une alternative nettement plus saine qu’un assistanat dégradant, payant mal et sans cesse rogné comme une peau de chagrin.

Comme c’est un salaire fixe, les prix sont particulièrement stables. Il n’est pas possible, pour ceux qui produisent les biens et services de première nécessité, de relever leur prix pour augmenter sans effort leurs profits à la faveur de ce déficit : chaque consommateur employé par l’EDR verra ce prix sortir de ce que son salaire lui permet ; au contraire, la seule façon de bénéficier de la manne du déficit EDR est pour lui d’augmenter ses quantités et de vendre toujours aussi bon marché mais aussi aux employés de l’EDR. Rien à voir avec un renflouement des banques qui s’empressent de s’en faire de mirifiques bonus et des bulles spéculatives.

Du temps de l’étalon-or, on fixait le prix de l’or et tous les autres prix devaient s’ajuster, avec leurs quantités. Parmi eux les salariés, c’est-à-dire que, faute d’or au bon moment et au bon endroit, ces derniers voyaient leurs salaires baisser et le chômage augmenter. Aujourd’hui, l’ancrage officiel est le niveau général des prix (l’Indice des Prix à la Consommation Harmonisé). Là aussi, lorsque les prix menacent de monter, on restreint le crédit en renchérissant les taux, c’est-à-dire qu’on restreint l’activité donc qu’on diminue les salaires et l’emploi : dans le système actuel, le vrai bien d’ancrage est le chômeur, l’or est remplacé par une réserve de chômeur avec plus ou moins d’assistanat2 manière ignoble d’assurer la stabilité monétaire et qui ne s’avoue que rarement, et dont le choix fut délibéré, dès le début. L’EDR conjugue la stabilité des prix et le plein emploi ; il fait d’une pierre deux coup : en choisissant un ancrage nominal il stabilise les prix, et en choisissant le travail des chômeurs comme ancrage, il évite qu’ils soient les laissés pour compte des ajustements du marché.

L’essentiel a été fait, nous avons presque fini de poser les bases du néochartalisme (la Modern Monetary Theory chez les sources anglophones). Je vous remercie de votre attention, n’hésitez pas à revoir la série Les Bases si certains éléments vous paraissent encore obscurs…

7. Oui, « Il faut bien que l’argent vienne de quelque part. » < Série Les Bases > 9. Genèse des Shadoks

PS : Développements sur les aspects anthropologiques et économiques de l’Employeur en Dernier Ressort.

PPS : Voici un commentaire éclairant des aspects techniques de l’EDR :

Un EDR qui verraient regulierement ses effectifs croitrent ou décroitrent ne serait-il pas confronté à d’importantes difficultés de planification et d’organisation de son activité?

C’est un défi comme les adorent les technocrates (qui n’ont pas que des défauts). Ceux que visent l’EDR sont de facto ceux qui sont les moins qualifiés, car ce sont eux qui sont le plus les victimes du chômage (surtout lorsque l’économie retrouve des couleurs, ce qui est le but). Cela signifie aussi que l’EDR sera inégalement réparti géographiquement. Ensuite, les projets seront distingués entre projets prioritaires et projets flexibles, les prioritaires étant ceux qui sont contraignants en terme de délai ou de nombre requis d’employés. Les projets prioritaires devront être joints à des projets flexibles de manière à ce que les fluctuations de l’économie n’aient pas le temps de les prendre de court, mais vident d’abord les projets flexibles. Etc.

Quelles activités lui seraient confiées?

Ce sera l’objet d’un compromis politique. Roosevelt avait réaménagé le détroit du Mississipi et la Nouvelle Orléans n’avait plus subi les ouragans depuis lors, jusqu’à ce que l’entretien soit privatisé et que l’incurie du privé laisse Katrina, un ouragan banal, dévaster la ville. Roosevelt avait également alphabétisé nombre d’adultes illetrés, et il me semble qu’on commence de plus en plus à avoir ce type de besoin en France, malheureusement. Pour les moins qualifiés, on peut imaginer le nettoyage de zone plus ou moins naturelle ou on laisse habituellement les déchets plastiques et autres s’accumuler. Généralement, les partisans de l’EDR souhaitent des « activités sociales » mais il faudrait préciser. Tout projet avec de fortes externalités positives (c’est-à-dire de grosses difficultés à faire payer les bénéficiaires de l’activité) est a priori un bon candidat pour l’EDR, car le marché privé rationne fortement la production des biens communs non-individualisable. On pourrait démultiplier la restauration de monuments historiques en laissant les spécialistes à leur travail de spécialistes et en s’occupant de toute la partie logistique lourde et peu qualifiée, etc. On peut imaginer l’incorporation ponctuelle de qualification si l’employé EDR en donne l’opportunité, par exemple on peut utiliser un comptable non sur le chantier, mais pour tenir la comptabilité du chantier…

Enfin, il faut des objectifs à réaliser, réalistes mais clairs et consistants, pour que tout le monde travaille bien…

Envisagez vous un EDR en concurrence avec le secteur privé? Si c’est le cas, comment éviter les distorsions de concurrence?

C’est une possibilité, mais ça complique les choses. Il faudrait des règles additionnelles :
L’entrepreneur privé postulant pour être employeur EDR doit fournir des preuves de sa capacité (une entreprise déjà lancée et réussie, expertise dans le domaine où il veut se lancer, longue expérience fructueuse à la tête d’une entreprise, etc.), un succès chez l’EDR doit lui permettre de recommencer et en plus grand, un échec doit lui fermer les protes.
Ceux qui étudient son dossier doivent être impactés financièrement en fonction du résultat. L’employeur doit posséder des biens saisissable en France au cas où ça dégénérerait, par exemple un apport personnel versé au capital de l’entreprise EDR nouvelle.
Il faut fixer à l’avance un calendrier de rentabilisation, avec saisie de l’entreprise si l’échéancier n’est pas respecté et mise sous statut privé avec négociation salariale immédiate aussitôt que l’entreprise est rentable (mettons deux trimestres).
Interdiction doit être faite à des entreprises passant commande à une telle entreprise EDR pour sous-traitance de recréer une entreprise EDR lorsque la première relève ses salaires, avec fortes amendes à la clé ou sais de l’entreprise laminant ainsi sa sous-traitance.

Le plus probable, c’est que ce genre de dispositif, subtil, complexe, ne se mettra en place, avec son indispensable période de rodage, qu’une fois un EDR plus modeste, cf ci-dessus, entré dans les mœurs. Cet EDR 2.0 serait pourtant encore plus efficace et encore plus sympathique au marché : ce serait une sorte d’incubatrice entrepreneuriale géante…

Quels types d’emplois seraient proposés par l’EDR? Et, quels qu’ils soient, ne craignez vous pas que ces emplois n’apparaissent toujours que comme des emplois “bas de gamme”? Mal perçus, tant par les salariés que par les employeurs, générant ainsi une sorte d’effet d’évitement?

D’une part, tout le monde peut avoir des moments de faiblesse, être pris au dépourvu, même les meilleurs. Que les libéraux dominants qui jugent que personne de valeurs ne peut sortir de l’EDR commence par renier Milton Friedman qui les a remis aux rênes du pouvoir et qui a approuvé le programme de Roosevelt dont il avait bénéficié personnellement avec sa femme au plus fort de la dépression (cf Les Bases 8. L’employeur en dernier ressort).

Maintenant, il ne faut pas se leurrer, les plus faibles, les plus inaptes à la féroce compétition du marché privé seront surreprésentés chez l’EDR. On trouvera nettement plus d’immigrants récents baragouinant à peine la langue, de dépressifs dociles mais peu combatifs, de personnes ayant divers problèmes psychologique à commencer par la confiance en soi, etc. Pour les cas trop graves, l’EDR devra les refuser et d’autres services de l’État devra les prendre en charge. par exemple, les handicaps lourds du type trisomie ou tétraplégie ne seront pas réglés d’un coup de baguette magique par l’EDR, évidemment. Pour les personnes apeurées, l’EDR sera en soi une thérapie. Mieux, comme le marché privé ne sera plus déprimé par un manque de demande global chronique et croissant, le privé emploiera plus volontiers des personnes qui ne sont pas des cadors mais qui « font le boulot » plutôt que de les refuser systématiquement au prétexte qu’on « ne garde que les meilleurs ». Et travailler les améliorera et les entretiendra. cf le graphique de Fascinante offensive à outrance.

Dans le même ordre d’idées, si l’EDR constitue en quelque sorte un minimum auquel un salarié pourrait prétendre, ne craignez-vous pas que le “secteur public” (je vois l’EDR comme une branche du secteur public) doive se “contenter” des salariés les moins performants? Laissant ainsi au privé l’avantage de continuellement disposer du personnel le plus efficace?

Non, je ne le crains pas, parce que le privé les paiera plus cher. Ce n’est pas parce qu’un projet est fait un peu plus lentement et par un peu plus de monde qu’il ne vaut rien. Je préfère que tout le monde ait la possibilité de donner à la communauté et que chacun reçoit selon sa performance, plutôt que de procéder à « une euthanasie économique », un « eugénisme économique », où les plus forts créeraient un seuil de rentabilité qui serait sacré seuil d’existence économique et exterminerait impitoyablement « les inférieurs ».


Notes :

1 FRIEDMAN Milton et Rose, Two Lucky People, The University of Chicago Press, Chicago, 1998, xii + 660 p., p. 58-59 :

Le nouveau gouvernement créa une forte demande pour des économistes, particulièrement à Washington. Sans New Deal, il est loin d’être clair que nous aurions pu trouver des emplois d’économistes. […] Comme nos enseignants et nos condisciples à Chicago, et en effet à l’image de la nation, nous regardions beaucoup de mesures du New Deal comme des réponses appropriées à la situation critique — mais dans notre cas pas, je m’empresse d’ajouter, la fixation des salaires et des prix de la National Recovery Administration et de l’Agricultural Adjustment Administration, mais certainement la création d’emploi de la Works Progress Administration, Public Works Administration, et Civilian Conservation Corps.

2 Cf le constat étonné de Krugman, Nobel d’économie 2008 :

Beaucoup d’économistes pensent que les expériences américaine et européenne sont les deux faces d’un même problème. Pour une raison ou pour une autre, les employeurs sont de moins en moins enclins à payer les services de ceux qui n’ont rien d’exceptionnel à offrir. Aux États-Unis, où les indemnités de chômage sont assez maigres et ne durent pas très longtemps (vingt-six semaines), et où les chômeurs se retrouvent souvent sans assurance maladie, le travailleur n’a d’autre choix que d’accepter un emploi, quel que soit le salaire proposé. C’est ainsi que le marché américain de l’emploi est qualifié de « flexible » selon le bel euphémisme des documents officiels. En Europe, les diverses prestations sociales sont plus généreuses, ce qui permet aux travailleurs de refuser des offres qu’ils jugent inacceptables, alors que, de toute façon, un très grand nombre de règlements et restrictions rendent les employeurs moins disposés et même incapables d’offrir des emplois à faible salaire. Ainsi, les mêmes facteurs conduisent à une baisse des salaires pour les travailleurs les moins qualifiés aux États-Unis et au chômage pour la même catégorie de personnes en Europe. Le résultat global est le même des deux côtés de l’Atlantique : l’égalité économique plus ou moins grande que l’Occident avait fini par considérer comme un fait acquis depuis la guerre est en train de s’effacer de notre souvenir.

KRUGMAN Paul, La mondialisation n’est pas coupable, la découverte, Paris, 1998 (1996), 218 p., p. 184

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7. Oui, « Il faut bien que l’argent vienne de quelque part. »

Confronté au néochartalisme, le néophyte est souvent si troublé face à cet argent qui semble fluer selon des principes autonomes qu’il s’exclame « Mais d’où vient l’argent ? Il faut bien qu’il vienne de quelque part ! » et de revenir à son intuition première selon laquelle l’argent a dû être « volé » d’une manière ou d’une autre. C’est cette illusion qui sous-tend le servage pour dette universel qui nous sert de système monétaire actuellement, et il convient de la dissiper.

Supposons que, dans une économie stable et prospère, il y ait un engouement soudain et croissant pour l’art contemporain parmi l’élite : avoir réussi, c’est posséder de l’art contemporain. Ainsi, simplement parce que son revenu s’est élevé, celui qui a réussi va consacrer une part de son revenu à le montrer, et achète Künsterscheisse de Manzoni pour 30 000 €. Le prix est bien plus élevé que le coût de revient : une boîte de conserve, une étiquette, son impression, un peu de colle, trente grammes de fèces de monsieur Manzoni, la fermeture de la boîte. L’inflation de ces ingrédients qu’on peut attendre de la production des Künsterscheisse est donc infinitésimal. Pourtant, l’élite se rachète et se revend toujours plus de ces boîtes et il se trouve par conséquent toujours plus d’argent qui s’agglutine autour de ces œuvres. Or, il faut bien que l’argent vienne de quelque part, et ce malgré que le produit n’en est manifestement pas la source.

Ici il n’y a plus que deux possibilités : Soit on considère que l’argent devant bien venir de choses « avec une vraie valeur », on refuse d’injecter de l’argent dans le reste de l’économie et on la force soit à baisser ses prix, soit à augmenter son endettement, simplement pour lui permettre de fonctionner à production constante. Soit on comprend que le prix d’échange n’est qu’une convention et on laisse un déficit renflouer le secteur privé ainsi ponctionné par cette lubie, et en laissant les taxes contracycliques l’éliminer une fois que l’élite se sera lassé et redirigera son argent vers le reste de l’économie. Ce qui compte, c’est que de l’argent parvienne jusqu’à tout le monde, pour que tout le monde puisse gagner de quoi se payer un train de vie décent et vivre. Peu importe que ce soit le budget de l’État ou les hauts revenus qui le fournisse, mais il faut que quelqu’un le fasse ; prétendre que seuls les plus aisés doivent fournir cet argent parce qu’ils sont du secteur privé, alors même qu’ils n’ont aucune envie de le faire, et interdire à l’État de mettre cet argent sur la table sous prétexte qu’il faut que cet argent vienne de quelque part, est inepte.

Non seulement, il se peut parfaitement que l’argent vienne de nulle part, mais lorsqu’on considère certains achats, il semble y retourner. Il est bon de chercher à ce que l’argent correspondent à de la richesse réelle, mais il faut bien comprendre que jamais on ne parvient à mettre le prix correspondant parfaitement à la valeur de la chose, qu’il y a toujours une part de convention arbitraire et que les vendeurs le savent bien, eux qui ont l’art de la tirer à eux. Il est légitime de veiller à ce que l’argent ne vienne que pour des services de valeur, mais il est tout aussi légitime de s’assurer que pour des services de valeur, de l’argent vienne de quelque part afin de pouvoir les acheter. Ce n’est que lorsqu’une ressource est totalement employée que l’injection d’argent devient mécaniquement et entièrement inflationniste, si une partie de la ressource est inemployée, l’argent supplémentaire viendra augmenter les quantités vendues, pas leur prix. Les produits dont la rareté fait le prix, comme les biens Veblen, de luxe, tel Künsterscheisse, ne sont qu’une minorité de produits, et assurer le plein-emploi n’est pas ce qui déclenchera inéluctablement l’hyperinflation, et ce d’autant plus que nous disposons de mécanisme encore plus raffinés de déficit ciblé pour mieux lutter contre l’inflation (cf article suivant : L’Employeur en Dernier Ressort).

6. La stabilité des prix < Série Les Bases > 8. L’Employeur en Dernier Ressort

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6. La stabilité des prix

L’un des principaux reproches adressés aux politiques keynésiennes est celui de l’inflation : les déficits continuels créeraient une inflation immaîtrisée qui dégénérerait inéluctablement en hyperinflation.

Or, l’histoire économique est remplie de déficits budgétaires successifs n’ayant pas entraîné d’inflation déraisonnable (supérieure à 3 % par exemple, ou encore qui accélère d’année en année), ni d’hyperinflation (augmentation des prix plus rapide que l’augmentation de la monnaie : chacun essaie de refiler la monnaie à quelqu’un d’autre tant qu’elle a encore de la valeur) ; mais cette histoire économique comporte aussi nombre de budgets déficitaires simultanément à une inflation immaîtrisée (plusieurs points au-dessus de l’objectif, ou encore qui augmente d’année en année). Cet article répond donc à la question Qu’est-ce qu’un budget (déficitaire) assurant la stabilité des prix ?

Ici ce n’est pas tant la quantité du budget et de son déficit que la qualité, comment ce budget est ficelé, qui compte. Trois choses concourent à ce qu’un budget n’augmente pas les prix.

La première, la plus évidente, et de prévoir des dépenses de mêmes montant que les recettes, et réciproquement, sans surenchérir sur les prix préexistants. Mais l’analyse peut aller plus loin avec deux autres types de mesures simples.

La seconde est d’avoir une taxation accompagnant le cycle économique, c’est-à-dire qui augmente avec l’augmentation des prix et qui diminue avec leur diminution. C’est le cas des taux proportionnels (ex. TVA) c’est-à-dire un pourcentage de la somme taxée, et des taux progressifs, c’est à dire qui augmentent avec la somme taxée (ex. impôt sur le revenu). Si l’exécution du budget devait sortir des clous prévus, par exemple parce que le secteur privé s’endette et préfère augmenter les prix plus vite que le budget ne l’avait anticipé, cette fiscalité corrigera la tendance. Il se peut que, si le secteur privé est euphorique et surenchérit à tout va, utilisant toute son épargne et s’endettant, l’État dégage un surplus budgétaire. Mais ce surplus budgétaire sera typiquement faible et éphémère ; il est absurde de croire que le surplus budgétaire est une vertu en soi et que l’État, en moyenne sur le long terme, doit dégager le même montant de surplus budgétaires que de déficits, car ce serait vider l’économie de toute monnaie souveraine nationale.

La troisième, très proche de la seconde, consiste à rendre les dépenses inverses des prix ou revenus. Par exemple les allocations chômage sont versés lorsque les salariés ne touchent plus leurs salaires, mais disparaissent lorsque ces personnes retrouvent un emploi et son salaire. Là encore, si l’exécution du budget sort de la trajectoire prévue, par exemple parce que les gains de productivité et la croissance ont été tels dans le secteur privé que nombre de personnes sont licenciées, l’État compense la perte de consommateurs que cause ces licenciements par ces allocations de chômage, poussant les fabricants de biens de première nécessité à produire à même prix pour satisfaire ces consommateurs, et ce pendant un temps supposé suffisant pour que le secteur privé les emploie autrement et leur redonne enfin un salaire.

Ces mécanismes qui temporisent les variations de prix sont dits contracycliques parce qu’ils vont à l’encontre du cycle économique de hausse et de baisse des prix. À l’inverse il existe des mesures procycliques, c’est-à-dire qui amplifient ce cycle. Ainsi les tranches supérieures de l’impôt sur le revenu sont régressives, c’est-à-dire que le taux d’imposition diminue lorsque le revenu augmente. Un budget non-inflationniste n’est pas un budget équilibré, mais un budget conçu en recourant massivement à des mesures contra-cycliques. Supposons, mesure totalement absurde mais qui donne un exemple parlant, que le nouveau budget de l’État consiste exclusivement à taxer l’épargne et même le non-endettement massivement, et à redistribuer ces revenus fiscaux au centime près exclusivement en prime à l’achat de biens, etc. ; il est évident qu’alors, bien que le budget soit équilibré, les prix subiraient une forte inflation, en totale contradiction avec le préjugé des budgets sains garants de la stabilité des prix parce que « financés », notion absurde concernant l’émetteur de la monnaie et qui, par définition, n’a pas à se financer

Comme le montre le célèbre économiste Hyman Philippe Minsky dans Stabilizing an Unstable Economy, c’est bien un large pourcentage du PIB sous le contrôle des stabilisateurs automatiques de l’État qui amortit les fluctuations inhérentes à une économie de marché. La Banque Centrale ne joue qu’un rôle secondaire, polissant le gros œuvre accompli par le budget de l’État, et incapable de le remplacer lorsque les variations sont trop fortes, en cas d’hyperinflation comme de dépression…

Il se peut que mon lecteur soit encore sceptique, et se demande s’il n’y a pas un peu d’inflation qui échapperait à tout cela. C’est bien possible, mais il doit garder à l’esprit que le système actuel, en moyenne, laisse filer 2 ou 3 % d’inflation lorsqu’il fonctionne comme prévu ; qu’il est possible d’être encore plus efficace dans le déficit anti-inflation grâce à l’Employeur en Dernier Ressort (proposition phare du néochartalisme qui sera l’objet d’un article dédié) ; et que la création monétaire par les banques et leur crédit nous fait sauter d’une bulle spéculative à une autre, créant une stabilité moyenne des prix masquant très mal leur forte volatilité dans l’intervalle, avec tout ce que ça comporte de déstabilisant pour l’économie réelle.

Ce qui importait pour cet article, c’était que mon lecteur comprenne qu’il est possible en pratique, de faire tourner la planche à billets sans faire délirer les prix, et que, de même que la Banque Centrale contrôle les variations de prix par les taux directeurs, mais pas le volume des crédits, l’État peut s’autoriser à maîtriser les prix plus que le montant de l’argent qu’il injecte dans l’économie.

Cette vision des choses n’a pourtant pas grand chose d’iconoclaste, car les stabilisateurs automatiques sont une tarte à la crème de la macro-économie, et que l’hypothèse que le budget puisse être aussi flottant que cela par rapport au financement du fonctionnement de l’État avait déjà été stipulée par des partisans aussi acharnés du budget équilibré que Milton Friedman (qui se pliait alors au consensus d’après-guerre plutôt qu’à ses convictions intimes) :

La taille et les effets automatiquement produits par les changements du revenu national dépendent évidemment de l’étendue des activités que le gouvernement entreprend, puisque cela déterminera en retour l’ordre de grandeur général du budget public. Toutefois, un élément essentiel de cette proposition est que les activités entreprises par le gouvernement sont déterminées selon des fondements entièrement différents.

5. Une dette insoutenable ? < Série Les Bases > 7. Oui, « Il faut bien que l’argent vienne de quelque part. »

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5. Une dette insoutenable ?

Au nom de la dette, la plupart des pays occidentaux subissent un terrorisme intellectuel sans précédent : pour les budgets gouvernementaux que les citoyens n’ont décidé que de manière lointaine, par la politique que leurs représentants font le plus souvent dans leur dos, on leur explique qu’« Ils ont vécu au-dessus de leurs moyens ! », et ceci juste après avoir fait bondir la dette pour sauver las banques sous prétexte qu’elles ne nous auraient plus prêté, ne nous permettant plus de vivre à la hauteur de nos moyens. Nous sommes donc trop chiches lorsque les banques veulent placer des prêts rapportant de juteux intérêts et éponger les pertes des précédents, mais trop gourmands lorsque nous bénéficions de nos salaires ou de nos prestations sociales. Mais qu’en-est-il de l’argument qui nous est présenté comme imparable : l’insoutenabilité de la dette ? Deux choses sont à distinguer : le défaut et l’inflation.

1. Le défaut de paiement

La première chose à laquelle on pense lorsqu’on évoque une insoutenabilité de la dette, c’est au défaut de paiement. L’État n’aurait tout simplement plus les sous à débourser pour honorer ses engagements. C’est ce scénario qui a tenu en haleine les États-Unis cette année, ne trouvant une solution provisoire au Congrès qu’in extremis.

Mais un État émetteur souverain de sa monnaie peut-il faire défaut ? Être un émetteur souverain signifie disposer entièrement du pouvoir d’émission de cette monnaie ; en pratique, c’est ne pas être conditionné par toute autre source d’approvisionnement : la monnaie doit-être flottante, tant vis-à-vis de l’or (c’est-à-dire que le prix de l’or fluctue dans cette monnaie), que d’une monnaie étrangère même souveraine (taux de change variant au grès des volontés des acheteurs et vendeurs libres de ces devises), etc., bref, elle ne doit s’encombrer d’aucune contrainte autre que d’être acceptée en paiement auprès de l’État émetteur. C’est le cas de nombreux pays comme les États-Unis, la Suisse, l’Australie, le Danemark, l’Afrique du Sud, l’Argentine, la Nouvelle-Zélande, la Suède, le Brésil, le Royaume-Uni, le Japon, le Canada, Taïwan, et la plupart des pays à travers le monde… Un tel État peut-il faire défaut ? Non, bien sûr. Dans ce cas de figure, s’il ne paie pas, c’est par un pur choix arbitraire, car il ne peut pas plus être à court de monnaie qu’un arbitre de sport n’est à court de points à distribuer. Personne ne peut obliger cet État à faire défaut. Et c’est bien ce qu’affirmait en filigrane le débat au Congrès !

En effet, le débat se résumait au dilemme suivant : soit on vote le relèvement du plafond de la dette et on continue, soit on ne le vote pas et on fait défaut pour s’assurer de finances-saines-qui-ne-mènent-pas-à-la-faillite. Sachant que le simple vote d’un Congrès suffit pour que le plafond de la dette ne soit plus, il est évident pour tous que la contrainte était artificielle, que l’État se l’imposait lui-même sans aucune justification technique, par pur jeu politique. Et effectivement, une fois le plafond de la dette relevé, les États-Unis ont continué à payer, sans plus de considération comptable pour le psychodrame politique. Quant à la seconde proposition de l’alternative, elle est encore plus absurde : faire faillite, c’est fondamentalement faire défaut ; donc, sous prétexte de ne pas faire défaut (ce qui est présenté à juste titre comme la calamité suprême), il est décidé de faire défaut en ne relevant pas le plafonds de la dette ! Et comme concession pour ne plus défendre cette position absurde, les Républicains ont obtenu au moins en principe de nouvelles coupes budgétaires, c’est-à-dire de l’argent qui n’est pas versé par l’État. Autrement dit, pour ne plus avoir cet obstacle artificiel juridico-politique poussant au défaut, ils exigent du gouvernement qu’il fasse l’équivalent par le budget : car dans les deux cas, l’argent de l’État n’arrive pas. Et cela alors que la cause première, la possibilité d’un défaut pour raison financière, était strictement impossible ; les effets du défaut sans ses causes ! Les Républicains sont les meilleurs amis du défaut de paiement.

Voici la confession d’un Nobel d’économie, Paul Samuelson, sur la prétendue nécessité d’équilibrer les comptes plutôt que d’accumuler des déficits successifs :

Je pense qu’il y a un élément de vérité dans l’opinion que la superstition assurant que le budget doit être équilibré en permanence, une fois éventée, enlève une des sécurités que toute société doit avoir contre les dépenses hors contrôle. Il doit y avoir une discipline dans l’allocation des ressources ou vous aurez un chaos anarchique et inefficace. Et une des fonctions d’une religion ancienne manière était d’effrayer les gens avec ce qui pourrait être vus comme des mythes afin de se comporter de la manière qu’une civilisation à long terme requiert. […] Maintenant j’en viens à croire que, si je puis paraphraser, apprenez la vérité et la vérité aidera à vous rendre libre et peut-être même efficient.

Blaug Mark, John Maynard Keynes : Life, Ideas, Legacy, St. Martin’s Press, New York, 1990, 95 p., p. 63– 64

Ce qui nous mène à la seconde objection contre l’accumulation de déficits, donc de dettes, par l’État : l’inflation. C’est-à-dire qu’en dépensant à tout va, l’État créerait plus de monnaie que nécessaire et cette monnaie excessive surenchérissant sur ce qui existe déjà, les prix montent pour les mêmes services, et chaque pièce ou billet vaut moins. C’est le plus souvent présenté comme un défaut déguisé.

2. L’inflation

L’accumulation de la dette publique peut-elle mener à l’inflation incontrôlée, voire l’hyperinflation de la République de Weimar ou du Zimbabwe (jusqu’à 231 000 000 % d’inflation en vitesse de pointe !) ?

Comme nous l’avons vu au chapitre 3 de la série Les bases, et comme l’ont confirmé les experts de la BRI, il ne suffit pas de gonfler les bilans des banques en réserves ou en d’autres actifs d’État équivalents, ici les bons du Trésor (dette de l’État), pour que l’économie réelle voit une avalanche de crédit lui tomber dessus et dérégler les prix. Il faut pour cela que ces crédits soient voulus par le secteur privé et que ces emprunteurs soient jugés suffisamment fiables par les banquiers prêteurs. Or, et contrairement au mythe de commentateurs financiers lançant de démagogiques « La finance, les fonds de pensions, c’est chacun de nous, c’est tout le monde. », la monnaie n’arrive pas aussi facilement dans les poches des consommateurs ; l’inflation est un mécanisme que je développerai dans un autre billet et qui est particulièrement retors. Voici quelques exemples historiques d’endettement sans inflation :

La France de l’entre-deux-guerres avait stabilisé le franc et sa dette à hauteur de 140 % du PIB sans difficulté particulières. Bien au-delà des 100 % du PIB censés sceller notre désespoir. Le Japon actuellement, connait une dette publique supérieure à 200 % du PIB, au lieu d’hyperinflation, il connaît une légère déflation (baisse des prix). Le trio d’auteurs Cécile Bastidon Gilles, Jacques Brasseul et Philippe Gilles dans leur Histoire de la globalisation financière note que les consols britanniques montèrent jusqu’à 260 % sans que le système ne s’effondre ni ne cause une hyper-inflation. Comme le reconnaissent nos trois auteurs, personne ne connait vraiment le niveau d’insoutenabilité de la dette, ni s’il y en a un… L’arbitraire des critères de Maastricht est confirmé de manière croustillante par Guy Abeille dans un article de La Tribune (via Les Crises, avec l’article complet).

Certains esprits peu éclairés arguent que le Japon peut se permettre d’être aussi endetté parce que sa dette est détenue pour l’essentiel par les Japonais eux-mêmes. En quoi une dette est plus susceptible de faire défaut ou d’être dépréciée par l’inflation si elle est détenue par des mains étrangères plutôt que nationales ? Quelle différence entre le statut d’utilisateur nationale de la monnaie face à l’émetteur de la monnaie d’une part, et d’autre part celui d’utilisateur étranger de la monnaie face à l’émetteur de la monnaie ? Je n’ai jamais pu trouver une explication valant la peine d’être mentionnée.

Plus encore, si on désire que l’État aie une maîtrise plus saine de l’échéancier, on peut lui retirer l’obligation d’emprunter le montant de monnaie qu’il crée afin de le laisser simplement la créer puis la taxer en temps utiles. Pour des raisons de politique de taux directeurs, la Banque Centrale a néanmoins besoin de substituer un certain montant de cette monnaie par un actif alternatif portant intérêt. Elle a donc besoin de jouer entre les réserves et les bons du Trésor. Si on fait abstraction des dénominations pour ne s’intéresser qu’au fonctionnement de ces deux actifs, l’un est une reconnaissance de dette, un montant de taxes « prépayées » ne portant pas intérêt, et l’autre est une reconnaissance de dette portant intérêt, échangeable à terme contre ladite monnaie mais aussi à tout moment puisque le rôle de la banque centrale est justement d’assurer la liquidité de cet actif. Donc le bon du Trésor est la même reconnaissance de dette mais portant intérêt. Quant au taux versés sur la dette publique, que mon lecteur ne s’inquiète pas : un État souverain maîtrise parfaitement ces taux, c’est justement le rôle de sa banque centrale que de régler les taux d’emprunt à partir d’un taux de référence (appelé « taux directeur ») : on peut le constater empiriquement sur des graphiques nets et sans bavures tant pour le marché interbancaire que pour celui de la dette publique. Ceux qui prétendent qu’avec une crise, un État souverain peinera à « se financer » et devra emprunter plus cher pour « trouver des épargnants acceptant de lui prêter » content une divertissante sornette sans rapport aucun avec la réalité des systèmes monétaires de ces États.

4. Le commerce extérieur < Série Les Bases > 6. La stabilité des prix

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4. Le commerce extérieur

Parmi les arguments récurrents du débat économique actuel figure le recours au commerce extérieur, l’exportation comme planche de salut. C’est la fameuse quête compulsive de la compétitivité de nos dirigeants, l’exemplarité tant vantée de la Chine, de l’Allemagne ou du Japon, ou encore la nostalgie de certains commentateurs sur le thème du « Ah du temps de de Gaulle, il y avait la croissance et on équilibrait le budget. »
C’est trompeur, et l’explication de cette erreur est l’occasion d’introduire la grande équation fondamentale (très simple, que mon lecteur se rassure) qui résume le néochartalisme. Cet apport fut transmis principalement par l’économiste Wynne Godley de Cambridge qui travailla beaucoup sur ce qu’il nommait les soldes sectoriels (sectoral balances). Cette équation découle directement de la simple vérité qu’il n’y a pas d’acheteur sans vendeur et réciproquement, que la dépense de l’un est la recette de l’autre et réciproquement, et que les soldes de chacun s’annulent les uns par les autres :

(T – G) + (S – I) + (M – X) = 0

Avec T les taxes et autres recettes de l’État, G l’ensemble de ses dépenses, S l’épargne du secteur privé, I son investissement1, X les exportations et M les importations. Elle signifie simplement que le revenu net (généralement un déficit) de l’État, le revenu net du secteur privé et le revenu net du reste du monde (nos exportations leur coûtent mais nos importations leur rapportent de l’argent) s’annulent les uns par les autres. Ou sous sa forme réduite, avec Spub le surplus budgétaire net, Sprivé l’épargne nette de tout le secteur privé (dont ménages et entreprises) et BC la balance courante (simplifiée ici en exportations nettes, mais y ajouter la balance des services, des paiements, etc. et de tous les autres revenus avec l’extérieur ne change pas le raisonnement : ce qui compte c’est que le revenu net de l’un est l’opposé du revenu net de tous les autres combinés) :

Spub + Sprivé – BC = 0

C’est l’une des rares équations, en économie, qui est toujours vérifiée. Cette relation saute aux yeux dans les graphiques réunissant ces trois composantes, ici pour la zone euro :

Voici la même équation, mais pour divers pays et sans leur balance courante (sauf États-Unis) sur les diapositives n° 35 à 43 :

Cette équation est une trivialité pour quiconque s’est un peu frotté à la comptabilité nationale, aux grands agrégats nationaux. Elle n’est nullement une modélisation douteuse de la science économique d’après des modèles perclus d’a priori mais dérive au contraire directement des principes comptables les plus concrètement pratiqués. J’ai dit que les partisans de la Modern Monetary Theory moquait gentiment son nom parce qu’elle est loin d’être moderne, on la moque aussi parce qu’elle n’est pas une théorie mais une pratique empirique ; ce qui explique aussi que je la traduise par néochartalisme.

Maintenant, supposons que le gouvernement, par un étrange blocage psychologique que je démêlerai dans un autre article, décide d’équilibrer ses comptes. Cela signifie que Spub = 0 et donne :

Sprivé – BC = 0
Sprivé = BC
Sprivé = X – M

C’est-à-dire que, si le secteur privé veut épargner (ou simplement grossir) lorsque l’État a décidé de lui fermer son carnet de commande, son seul moyen est d’exporter plus qu’il n’importe. Une évidence. Là où ça devient nettement plus intéressant, c’est lorsqu’on se demande d’où vient la monnaie souveraine de ces étrangers. C’est là que la majorité des commentateurs officiels sont à court d’idées. Par définition, l’exportation nette ne fait que reculer d’un cran, ou plus précisément d’un pays, la question de la création de cette monnaie souveraine. Traversons à la vitesse de la pensée tous les pays qui ne font que rejeter sur le suivant la nécessité de créer cette monnaie souveraine avec entêtement jusqu’au denier pays. Par définition, pour ce dernier pays, nous avons un déficit commercial : X – M < 0 ; ce qui nous donne :

(T – G) + (S – I) + (M – X) = 0
Spub + Sprivé = X – M
Spub + Sprivé < 0

Ici on a deux possibilités : soit on considère que le secteur privé de ce pays se fait cannibaliser son épargne ce qui ne peut durer qu’un temps très bref ; soit, inéluctablement, il épargne ou équilibre ses comptes : Sprivé ≥ 0 ; ce qui donne :

Spub < 0

Le surplus budgétaire est négatif : c’est un déficit. Le tabou de cette course à l’équilibre budgétaire par l’exportation, c’est qu’il rejette la nécessité du déficit public sur un pays étranger, en plus d’avoir un déficit pour financer sa propre croissance privée. Oui, de Gaulle a équilibré le budget tout en connaissant une forte croissance économique, mais comme le récapitulait Jean-Marcel Jeanneney dans la Revue de l’OFCE n°39 de 1992 : de 1949 à 1958 la France connait simultanément la croissance et des déficits tant commerciaux (1955 excepté) que budgétaires, et de 1958 à 1969 elle connait la croissance, des budgets équilibrés et des surplus commerciaux. Il n’y a pas de secret. Est-il pertinent de préférer qu’un gouvernement étranger profite du désir d’épargne de notre économie plutôt que de laisser le nôtre profiter du seigneuriage (pouvoir d’achat ex nihilo) inhérent à cette demande d’épargne ?

Comme expliqué lors du premier article, toute monnaie souveraine est créée par une dépense nette du souverain, c’est-à-dire un déficit. L’exportation est un miroir aux alouettes qui n’aboutit qu’à conditionner la croissance du secteur privé national à l’opulence acceptée par les gouvernements étrangers. En quoi est-ce moins choquant que de laisser son propre gouvernement augmenter son train de vie ? Il y a au contraire infiniment plus de chance pour que le secteur privé profite des retombées de cet État prospère s’il est chez lui plutôt que s’il est à l’étranger, avec une préférence évidente pour son propre peuple. Actuellement, le rôle du dernier pays, de consommateur en dernier ressort est largement assumé par les États-Unis et leurs plantureux déficits commerciaux et budgétaires.

Avec un manque manifeste de suite dans les idées, nos commentateurs patentés rappellent cette vérité lorsqu’il faut inciter l’Allemagne à plus de solidarité avec la Grèce, mais l’oublient aussitôt lorsqu’il s’agit du « très grave » déficit français. Ils ont compris la relation acheteur-vendeur entre nations commerçantes, mais pas entre États et secteurs privés…

Lors du prochain article, je traiterai une autre objection récurrente et fallacieuse : la prétendue insoutenabilité de la dette publique, une question déjà effleurée dans l’article numéro 3 de ma série catégorisée « Les bases ». J’aborderai vraisemblablement l’inflation pour le rendre plus substantiel…

3. La passivité du crédit < Série Les Bases > 5. Une dette insoutenable ?


Note :

1 Selon les règles de la comptabilité, un ordinateur, s’il est acheté par un étudiant pour ses études, c’est de la consommation dite finale (notée C en comptabilité nationale), mais si ce même ordinateur est acheté par l’université pour être mis à disposition de ce même étudiant, alors il s’agit d’un investissement, et l’université bénéficie de règles fiscales avantageuses via l’amortissement. En comptabilité nationale, l’investissement est noté I, et le revenu du secteur privé moins sa consommation est supposé donner son épargne, noté par la comptabilité nationale I – C = S. Pour avoir l’épargne réelle, nette, qui ne passe pas en cette consommation spéciale appelée investissement, il faut donc S – I = Sprivé. Il est malheureux que les conventions comptables aient été conçu avec en tête le schème libéral de l’entreprise investissant l’épargne laborieusement accumulée par les ménages. Cela rend les choses plus confuses, et j’ai longuement hésité à ne pas créer mes propres conventions pour simplifier la vie de mon lecteur, et sachant qu’un expert réellement honnête et compétent, aurait tôt fait de retrouver l’équivalent dans la comptabilité nationale. Il me semblait plus évident de dire que la consommation concerne tout ce qui est acheté, donc que l’épargne du secteur privé serait Sprivé = I – C. Mais je finis par penser qu’il vaut mieux laisser ce léger hiatus dans l’esprit du néophyte entre secteur privé et sous-secteur des ménages, pour que le  lecteur initié ne pense pas avoir à faire à un esprit brouillon ne maîtrisant pas la signification communément admise de S. J’ai tout de même créé l’appellation Sprivé pour bien montrer la correspondance entre l’épargne du secteur public Spub et l’épargne du secteur privé Sprivé (et non S, l’épargne des ménages).

Ce site de comptabilité nationale donne un aperçu intéressant de l’ineptie qu’il y a à penser que l’épargne des ménages finance l’investissement des entreprises.

Cette égalité est remarquable car elle n’est en rien une relation d’équilibre, elle est toujours vérifiée quelle que soit la période et sa durée. Pourtant, l’investissement résulte principalement des décisions des entreprises et l’épargne des décisions des ménages, décisions normalement prises en toute indépendance. Il est fréquent de lire que cette égalité montre que l’épargne des ménages finance l’investissement des entreprises. Mais, l’épargne est un flux, si bien que, au début de la période, elle est nécessairement nulle, il est alors difficile d’expliquer comment une épargne nulle peut financer l’investissement.

Reprenons donc la logique qui conduit à cette égalité. La première égalité fondamentale est celle qui lie la valeur ajoutée et le revenu. La valeur ajoutée mesure la richesse créée au cours du processus de production, elle exprime une réalité physique même si elle est mesurée en unités monétaires. Le revenu possède une dimension juridique, il représente la valeur des droits de propriété sur la richesse créée. Si l’on cherche à donner un sens à l’égalité entre valeur ajoutée et revenu, il faut bien convenir que la valeur ajoutée détermine le revenu et non l’inverse. En effet, si la création d’un bien peut générer un droit de propriété, un droit de propriété ne permet pas de créer un bien. Le revenu est en quelque sorte l’image de la valeur ajoutée et, de même que les mouvements d’un visage ne sont pas déterminés par ceux de son image dans un miroir, la valeur ajoutée n’est pas déterminée pas le revenu. L’égalité entre l’épargne et l’investissement s’inscrit dans cette logique, épargne et investissement étant les deux faces d’une même réalité, l’accumulation. L’investissement représente l’accumulation considérée d’un point de vue physique, l’épargne l’accumulation considérée du point de vue juridique des droits de propriété. Ces deux valeurs sont donc nécessairement égales mais, si l’on cherche à donner un sens à cette relation, il est clair que c’est l’investissement, expression physique de l’accumulation qui détermine logiquement l’épargne et non le contraire.

En fait, la confusion provient de l’utilisation du mot épargne dans un sens qui n’est pas celui de la comptabilité nationale. Ce n’est pas l’épargne qui permet l’investissement, c’est le financement. Or celui-ci peut provenir des ménages qui disposent d’actifs financiers et qui souhaitent les utiliser pour financer les entreprises. Le concept d’épargne est utilisé ici dans un sens qui possède la dimension d’un stock et qui ne correspond donc pas à la notion d’épargne de la comptabilité nationale puisque celle-ci possède la dimension d’un flux. Il fait référence aux placements financiers qui sont l’un des emplois possibles de l’épargne, mais l’épargne ne se traduit pas nécessairement par des placements financiers, elle peut également prendre la forme de remboursements d’emprunts ou l’acquisition de logements. Notons également que, grâce au système bancaire et sa capacité à émettre de la monnaie, l’économie peut se développer sans actifs financiers préalables ainsi que nous l’avons vu. En fait, l’investissement repose avant tout sur la confiance des agents économiques en l’avenir et dans le système financier, cette confiance se concrétisant par le crédit.

Les néochartalistes, en accord avec Keynes, comprennent que c’est bien l’investissement qui finance l’épargne et non l’inverse. Mais contrairement à l’auteur cité, ils comprennent également que le crédit ne peut pas financer l’investissement : dans l’économie globale, en net, le crédit est toujours à somme nulle, il ne fait que déplacer l’argent ou en donner l’illusion, puis le redéplacer (plus intérêt). Seule la dépense nette de l’émetteur de la monnaie qu’est l’État peut financer quoi que ce soit, à commencer par les banques et leurs crédits, simples intermédiaires dans ce processus. Que la monnaie souveraine, de l’État, vienne à manquer à échéance, et la « confiance concrétisée par le crédit » sera démentie. Wray donne une bonne analogie pour comprendre la relation entre monnaie de l’État et simili-monnaie de crédit des financiers :

Par exemple, le marché du soja a également des composantes verticale et horizontale. La composante verticale est le marché de matière première pour la livraison physique, avec l’offre venant des fermes et la demande venant des ménages ; la consommation du soja est l’équivalent du payement de taxes, tandis que le soja stocké est l’équivalent de l’argent épargné. La production excédant la consommation (production nette) ajoute à l’épargne tandis que la consommation excédant la production amenuise l’épargne (exactement comme la dépense gouvernemental excédant la taxation crée de l’argent épargné et la taxation supérieure à la dépense diminue l’épargne). Notez qu’il est impossible pour les ménages de consommer le soja avant qu’il ne soit produit, exactement comme il est impossible pour les ménages de payer des taxes jusqu’à ce qu’ils reçoivent de l’argent. La production est la seule source de soja « net », qui sont alors « démultiplié » [leveraged] par la composante horizontale – le marché à terme qui consiste en longues (ceux qui acceptent d’acheter) et courtes (ceux qui acceptent de vendre) et qui nécessairement s’annulent. Notez que les longues (ou courtes) excédent largement l’inventaire de soja – exactement comme la relation entre l’argent de l’État et la monnaie bancaire.

WRAY Larry Randall, Understanding Modern Money, Edward Elgar, Cheltenham, 2003 (1998), x + 198 p., p. 113

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3. La passivité du crédit

La formule « Les crédits font les dépôts . » est en vogue chez les dirigeants financiers libéraux aussi parce qu’elle suggère que c’est celui qui fait crédit qui maîtrise le volume de monnaie en circulation dans l’économie, qu’il est le gardien de la monnaie. Or, c’est faux.

Les diverses bulles spéculatives et la rapacité des banquiers auraient dû nous prouver que les financiers endettent toujours tout ce qu’ils peuvent. Mais visiblement, une petite explication supplémentaire est nécessaire. La principale crainte du banquier lorsqu’il songe à offrir un prêt est le risque de défaut : qu’il doive éponger une perte avec sa trésorerie plutôt que d’engranger un bénéfice. Il n’est pas contraint par ses dépôts. Ainsi aux États-Unis, le système très mal nommé Contemporaneous Reserve Accounting (Comptabilité Contemporaine des Réserves), est en fait un système différé de deux jours puisque la période de calcul des réserves requises s’achève le mercredi mais que la période de comptage des dépôts s’achève le lundi précédent1. C’est après coup seulement que la banque dispose des réserves suffisantes, où figurent les pièces et billets déposés par les particuliers bien sûr, mais aussi et surtout la monnaie de la banque centrale, appelée réserve, qui est comme une monnaie pour banque commerciale, que cette dernière doit se procurer soit auprès de la banque centrale, soit auprès d’une de ses consœurs, par un prêt portant intérêt, soit par le Trésor public, seul compte non-bancaire au sein de la banque centrale. Que le montant des réserves ne détermine pas le volume des crédits accordés est encore plus évident dans les cas de pays ayant abrogé tout minimum obligatoire de réserves, comme le Canada : Pourquoi alors les banques canadiennes n’ont pas développé des crédits à l’infini avec une hyperinflation, si c’était simplement l’obligation de réserves qui limitait son développement ?

Ce qui détermine le volume de crédit, c’est donc avant tout la combinaison d’un désir d’endettement du secteur privé et de sa bonne solvabilité selon les prêteurs, comme le confirme les experts de la Banque des Règlements internationaux, ainsi que la Federal Reserve. Si la banque centrale injecte dans les banques plus de réserves qu’il n’est requis, alors rien ne se passe : cet excès de réserve est placé en bon du trésor par exemple et réduit les taux de ces bons, ou pousse la banque central à en vendre plus pour maintenir ces taux. C’est ce qu’a redécouvert partiellement Ben Bernanke après ses Assouplissements Quantitatifs (Quantitative Easings) 1 et 2 : l’inflation n’est nullement sortie de son niveau coutumier depuis des décennies. Lorsque la Banque du Japon augmentait les réserves jusqu’à 15 % du PIB entre 2001 et 2005, et la base monétaire (c’est-à-dire réserves plus pièces et billets) montait jusqu’à 23 % du PIB, les prix continuèrent à baisser sans la moindre considération pour ces gesticulations de banquiers centraux.

C’est au fond très simple à comprendre : supposons que tout le monde suspecte tout le monde de s’être trop engagé financièrement et de faire bientôt défaut, chacun cherche donc à se constituer un matelas d’argent frais pour voir venir. Ceux qui acceptent d’emprunter sont moins nombreux et empruntent des sommes moindres. Les banquiers eux-mêmes, méfiants, ne prêtent qu’à taux plus élevés pour éponger les défauts plus nombreux que ces prêts occasionnent. Que se passe-t-il si on augmente le volume prêtable par les banques alors qu’elles n’en demandaient pas plus ? Rien, bien sûr : les crédits supplémentaires ne se réalisent pas ; au plus on peut espérer qu’une partie de l’argent échangé ainsi par la banque centrale parte en bonus pour trader, si les banquiers ne se soucient pas trop du remboursement… Ce qu’il faut pour que le crédit reprenne, c’est que tout ce petit monde retrouve une suffisamment bonne épargne pour voir venir et avoir à nouveau confiance. Mais seule la monnaie souveraine peut venir apurer les comptes ; la magie du crédit s’est évaporée.

Cette nécessité de la monnaie souveraine est à ce point vraie que le déficit publique est l’état normal des finances publiques : il faut un premier déficit pour que l’économie ait de la monnaie à faire circuler, il en faut d’autres pour financer la croissance de l’économie si on ne veut pas qu’elle soit entièrement due à l’endettement, et il en faut encore lorsque l’endettement est devenu trop élevé pour assainir les bilans. Voici le résumé par le professeur Wray du cas des États-Unis dans son billet Le budget fédéral n’est pas comme un budget de ménage :

À une brève exception près, le gouvernement fédéral a été endetté chaque année depuis 1776. En janvier 1835, pour la première et seule fois de toute l’histoire des U.S.A., la dette publique fut éliminée, et un surplus budgétaire fut maintenu les deux années suivantes pour accumuler ce que le Secrétaire au Trésor Levi Woodbury appela « un fond pour faire face aux futurs déficits. » En 1837 l’économie s’effondra en une grande dépression qui mit le budget en déficit, et le gouvernement a toujours été endetté depuis. Depuis 1776 il y eut exactement sept périodes de surplus budgétaires substantiels avec une réduction significative de la dette. De 1817 à 1821 la dette nationale baissa de 29 % ; de 1823 à 1836 elle fut éliminée (les efforts de Jackson) ; de 1852 à 1857 elle chuta de 59 %, de 1867 à 1873 de 27 %, de 1880 à 1893 de plus de 50 %, et de 1920 à 1930 d’environ un tiers. Bien sûr, la dernière fois que nous avions un surplus budgétaire était durant les années Clinton. Je ne connais pas de ménage qui fut capable d’avoir un budget en déficit pendant approximativement 190 des 230 et quelques dernières années, et d’accumuler des dettes virtuellement sans limite depuis 1837.

Les États-Unis ont également connu six périodes de dépression. Les dépressions commencèrent en 1819, 1837, 1857, 1873, 1893, et 1929. (Ne remarquez-vous rien ? Jetez un œil aux dates listées au-dessus.) À l’exception des surplus de Clinton, chaque réduction significative de la dette en cours fut suivie d’une dépression, et chaque dépression fut précédée par une réduction de dette significative. Le surplus de Clinton fut suivies par la récession de Bush, une euphorie spéculative, et maintenant l’effondrement dans lequel nous nous trouvons. Le jury délibère encore pour savoir si nous pourrions réussir à en faire une nouvelle grande dépression. Bien qu’on ne puisse jamais éluder la possibilité d’une coïncidence, sept surplus suivis par six dépressions et demi (avec encore quelque possibilité pour en faire la parfaite septième) devrait hausser quelques sourcils. Et, au passage, nos moins graves récessions ont presque toujours été précédées par des réductions du budget fédéral. Je ne connais aucun cas de dépression engendrée par un surplus du budget des ménages.

Légère erreur de L. Randall Wray : la réduction de la dette sous Clinton n’est pas significative. Malgré l’effet médiatique qu’elle eut, la réduction de l’endettement de l’État fut minime comparée à celles précédant les six dépressions des États-Unis : seulement 1,97 % de baisse du montant de la dette entre son pic sous Clinton au premier octobre 1999 et son plancher au premier octobre 2000, les trois autres baisses de son mandats ne dépassant pas les 0,4 %, et son mandat finissant sur une hausse au dernier trimestre et une hausse totale de 36,5 %. Il y a un peu de marge de manœuvre possible par l’endettement privé comme l’explique en détail le billet Un suspens insoutenable : si le surplus budgétaire est suffisamment faible, il y a possibilité pour le crédit de pallier par un surcroît d’endettement l’effet récessif du surplus, et ce malgré l’efficacité très limitée du crédit pour contrer les cycles économiques.

Le budget de l’État doit d’abord financer ce que les utilisateurs de cette monnaie souveraine vont ensuite pouvoir épargner en toute sérénité ; éventuellement contracter des dettes dessus. Que ça plaise ou non. Mais il y a une autre source d’épargne qu’il nous faut maintenant examiner : le commerce extérieur.

2. Le crédit-monnaie < Série Les Bases > 4. Le commerce extérieur


Note :

1 WRAY Larry Randall, Understanding Modern Money, Edward Elgar, Cheltenham, 2003 (1998), x + 198 p., p. 103

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2. Le crédit-monnaie

La seconde conception de la monnaie, qu’on essaie de nous imposer de force à l’heure actuelle malgré son impossibilité, est la monnaie comme crédit. Commençons par examiner ce qu’elle recèle de vrai.

Selon la théorie monétaire du crédit, les banques, lorsqu’elles ouvrent une ligne de crédit, par exemple lors d’un prêt, créent de la monnaie, au sens de moyen de paiement, et permettent à ses clients de payer effectivement via ces crédits. Ces crédits influencent donc les prix,  permettent de s’acquitter de ses taxes, etc. Une vraie monnaie semble-t-il. Cette conclusion est d’autant plus tentante que les transactions financières sont réalisées à plus de 90 % via ce crédit bancaire. Si on compte la part des pièces et des billets par rapport aux sommes échangées via différentes forme de crédit, depuis les chèques, les cartes bancaires, les virements interbancaires, les dettes assimilées à des fonds propres comme les bons du Trésor (de la dette de l’État), alors ces pièces et ces billets représentent moins de 1 %  de la masse totale de monnaie, celle incluant le crédit. Joseph Alois Schumpeter dans son Histoire de l’analyse économique, s’enthousiasmait par ce constat et fut de ces libéraux qui parachevèrent son hégémonie avec des slogans résumant leurs analyses comme : « Les crédits font les dépôts. ».

Cette explication, particulièrement le slogan par laquelle on la résume est trompeuse. Précisons d’abord le fonctionnement des banques. Si le crédit bancaire peut payer jusqu’aux taxes de l’État c’est pour une raison simple : le crédit est un droit à tirer sur la monnaie souveraine dont dispose la banque. Lorsque nous payons nos taxes par nos comptes en banques, la banque débite notre compte du montant de la taxe, débite son passif (colonne de droite enregistrant les sommes dues dans les livres comptables) concernant les dépôts à vue du même montant, puis sort de ses comptes de crédit et passe à ses comptes en monnaie souveraine, il y débite sa trésorerie du montant de la taxe et le donne à l’État qui crédite sa propre trésorerie toujours de ce montant. L’intérêt de ce détour pour la banque est que, lorsque de nombreux clients exécutent leurs paiements par ses soins, et lorsque l’État désire être payé, la banque additionne toutes les taxes à payer, soustrait tous les paiements que l’État verse à ses clients et ne paie avec sa trésorerie (ou reçoit par le Trésor public) que la différence. Ainsi, avec une fraction seulement de la monnaie souveraine, la banque effectue les paiements de nombreux clients qui lui paient des frais de tenue de comptes. Les choses se passent de même entre banques qu’entre une banque et le Trésor.

Or, il n’est pas très difficile de comprendre que cette situation n’est pas équivalente à celle où tout le monde paierait directement ses taxes à l’État, en pièces et billets : si toute cette clientèle retirait en billets de l’État ses crédits et appliquait la seconde situation, la banque, qui ne dispose que d’une maigre fraction (quelques pourcents) des sommes promises serait en faillite bien avant d’avoir donné à chacun son dû. Beaucoup, parmi les clients, ne pourrait pas payer ses taxes et serait à son tour en faillite.

Cette possibilité de défaut est la différence fondamentale entre la monnaie souveraine et la monnaie de crédit. S’il suffisait aux banques de s’accorder un crédit pour avoir un dépôt avec lequel elles peuvent payer, alors il n’y aurait jamais eu les faillites de Bear Stearns, Lehman Brothers, Northern Rock, etc. Plus une banque accorde de crédit sur sa trésorerie, plus elle risque de faire faillite si les aléas des transactions font qu’elle doit débourser un peu trop. Au contraire, lorsque le client dispose d’un billet de 100, il est impossible pour le billet de faire défaut.

Schumpeter s’enthousiasmait pour ce système alors que l’économie était en plein essor. En ce cas, la monnaie souveraine circule aisément, et on en trouve suffisamment pour honorer ses promesses de paiement. Mais lorsque la conjoncture se retourne et que la récession s’installe, le cercle vertueux du crédit devient vicieux : chacun se met d’autant plus à rechercher de la monnaie souveraine qu’elle est devenue difficilement accessible. Plus l’économie est stable et prospère, et plus le crédit se développe ; mais plus le crédit se développe, et plus l’économie devient instable. Un seul acteur peut alors calmer cette panique du défaut : l’État, car lui seul dispose d’une monnaie qui n’est pas à la merci d’un échéancier. C’était la grande leçon de l’économiste Hyman Philip Minsky (1919-1996), par exemple dans Stabilizing an Unstable Economy, ou du plus illustre encore John Maynard Keynes dans sa Théorie générale de l’emploi de l’intérêt et et de la monnaie.

1. La monnaie souveraine < Série Les Bases > 3. La passivité du crédit

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1. La monnaie souveraine

Actuellement, dans cette crise économique, nous observons la lutte à mort entre deux conceptions de la monnaie : La monnaie souveraine, et la monnaie-crédit. Dans ce billet, nous expliquons ce qu’est la monnaie souveraine et son fonctionnement rudimentaire.

Bien qu’il soit possible de simplement réquisitionner les classes dominées pour effectuer des travaux dans son domaine, le souverain s’est rapidement rendu compte qu’il y avait plus efficace pour construire routes, ponts et moulins : lever une taxe sur les personnes pouvant la supporter, payer suffisamment ceux qui rendent les services désirés au souverain pour qu’on s’acquitte de ces taxes, et laisser s’arranger des échanges entre ceux qui sont taxés et ceux qui ont rendu service.

Cela permet d’obtenir des services de la part de ceux qui sont les plus motivés, d’une part parce que chacun rend le service où il est le meilleur et d’autres part parce que la rétribution pour le service rendu est beaucoup plus immédiate et personnelle : celui qui a construit la route est immédiatement récompensé de tant, plutôt que de goûter le plaisir d’une route mieux carrossable au fil des ans, parmi tant d’autres.

Voici donc comment se passe le marché dans sa forme la plus épurée : Deux protagonistes se rencontrent, l’un souhaite un service, l’autre de la monnaie, ils se les échangent au prix convenu. Lorsque le service est rendu et la somme de monnaie donnée, l’échange est accompli : il n’a plus aucune suite. Chacun fait ce qu’il lui plait.

Taxer, tout comme émettre cette monnaie, sont des actes souverains : sont décrétés, tout droit sortis du néant, une monnaie, une taxe, le service payé, le montant de la taxe et le montant payé pour le service. Taxer a deux fonctions. La première est de créer une demande pour la monnaie arbitraire du souverain : si la monnaie schmilblick est créée, et qu’une journée à construire la forteresse est payée 500 schmilbliks, personne ne verra l’utilité de travailler pour les acquérir : 500 schmilblicks, ce n’est rien, de la monnaie de singe. Mais si une taxe de 1 000 schmilbliks est levée sur chaque maison, et que la maison est saisie si la taxe n’est pas acquittée d’ici un mois, 500 schmilbicks, ça devient soudainement beaucoup. L’autre fonction de la taxation est de détruire la monnaie : une fois tous ces schmilblicks acquis, pour obtenir de nouvelles journées de travail, il faut qu’il n’y ait pas trop d’anciens schmilbliks encore en circulations. D’où l’intérêt de les faire disparaître d’ici-là, par exemple en ne distribuant pas gratuitement les anciens schmilblicks déjà taxés. L’État n’a pas d’autre usage de sa monnaie. Taxer crée une incitation si puissante, qu’il n’est même pas nécessaire de taxer tout le monde pour que tout le monde accepte la monnaie souveraine. Il suffit qu’un membre d’un groupe commerçant entre eux soit taxé pour que les autres aient un intérêt à accepter la dite monnaie afin de lui payer des services qui lui permettront en retour de s’acquitter de sa taxe. De proche en proche, l’acceptation de la monnaie souveraine profite donc d’un effet boule de neige.

Monnaie souveraine parce que maîtresse de la situation : elle décide quand payer, quand taxer, et a donc la souplesse pour s’adapter à toutes les situations. Sa seule faiblesse est celle de la souveraineté, c’est-à-dire celui de la servitude volontaire comme l’appelait Étienne de La Boétie. Le souverain, simplement pour que les autres obtiennent cette monnaie les libérant de leurs taxes, dispose d’un pouvoir d’achat ex nihilo, appelé seigneuriage, et peut donc s’offrir ce que les autres mettent tant d’effort à gagner. Il faut un subtil mélange politique de consentement et de coercition pour parvenir à ce résultat. Tout le monde ne trouve pas ce mélange légitime, surtout pour la coercition, et c’est ainsi qu’est venue à s’imposer la seconde conception de la monnaie que nous passerons en revue dans le prochain billet : la monnaie-crédit. On peut le constater avec des exemples aussi flagrants que Milton Friedman, le prix Nobel néolibéral, expliquant la nécessité pour l’État de financer des déficits par pure création monétaire en 1948, mais exprimant déjà ses réticences anti-étatiques. C’était avant que ces dernières ne prennent complètement le dessus et culminent dans les années 1980 et 1990 lors de son virulent lobbying contre le budget de l’État…

Vous voici mis en contact très simplement avec les rudiments de la thèse chartaliste de la monnaie, dont la figure historique la plus éminente est Georg Friedrich Knapp (1842-1926), et qui est l’un des courants de pensée exhumés, intégrés et dépassés par la Modern Monetary Theory.

Se moquer gentiment de l’expression Modern Monetary Theory est la marque de tout vrai partisan de cette théorie, paraît-il. Il faut dire que l’expression est assez peu inspirée : d’après Keynes, les choses se passent ainsi depuis 4 000 ans1 et les dernières recherches montrent qu’il en était de même du temps de Sumer (- 3 000) au plus tard2. Plutôt que de céder à la facilité et de ne pas traduire l’expression pour essayer de lui sauver la face en rejetant la faute sur la prétendue impossibilité de traduire fidèlement les choses en français, je préfère le terme « néochartalisme » (la Modern Monetary Theory est aussi appelée neochartalism). Puisque qu’en définitive tout découle de cette découverte première de la souveraineté monétaire, c’est-à-dire du chartalisme, si opiniâtrement occultée par les libéraux.

Série Les Bases > 2. Le crédit-monnaie


Notes :

1

L’État, par conséquent, est tout d’abord l’autorité de la loi appliquant les paiements de la chose qui correspond au nom ou à la description dans les contrats. Mais il est doublement présent lorsque, en sus, il revendique le droit de déterminer et déclarer la chose correspondant au nom, et de varier sa déclaration de temps en temps – lorsque, pour ainsi dire, il revendique le droit de rééditer le dictionnaire. Ce droit est revendiqué par tous les États modernes et le fut depuis quelques quatre mille ans au moins.

KEYNES John Maynard, Treatise on Money, 1930, p. 4 in WRAY Larry Randall, Understanding Modern Money, Edward Elgar, Cheltenham, 2003 (1998), x + 198 p., p. 29

2

Premièrement, les comptes de dette (sous forme de tablette d’argile) sont plus anciennes d’au moins 2 000 ans que les plus anciennes pièces connues [NdT : en Europe, elles apparaissent en Lydie à partir du VIIème siècle avant Jésus-Christ, soit des tablettes datant d’au moins 27 siècles avant J.-C. bien plus que les 20 siècles avant J.-C. minimaux de Keynes]. Deuxièmement les historiens de l’économie ont longuement été éberlués que la dénomination des monnaies de métal précieux (même celle de moindre valeur) valait beaucoup trop pour être utilisé dans le commerce quotidien. Pour exemple, les plus anciennes pièces étaient en électrum (un alliage d’argent et d’or) et la dénomination la plus commune aurait eu un pouvoir d’achat d’environ dix moutons, de manière à « ne pouvoir être une pièce utile pour les petites transactions » (Cook, 1958, p. 260). Elles auraient pu suffire pour la vente en gros de gros marchands, mais elles ne pouvaient être utilisées dans le commerce de détail. Plus encore, la valeur nominale apposée sur les pièces n’apparaît pas comme fermement régulée par le contenu en métal précieux

WRAY Larry Randall, Understanding Modern Money, Edward Elgar, Cheltenham, 2003 (1998), x + 198 p., p. 42

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