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La rumeur de la stagnation séculaire

Excellent blog du professeur William Mitchell sur le concept de « stagnation séculaire », le dernier concept néolibéral à la mode pour expliquer pourquoi même avec un résultat calamiteux de croissance nulle et de chômage de masse le néolibéralisme aurait raison. Malheureusement, ce concept est promis à un bel avenir parmi nos élites sociologiques (selon la distinction d’Arnold Toynbee) car le monde s’approche de plus en plus clairement de sa prochaine phase aiguë de crise, et que les élites actuelles appartiennent toujours au même courant libéral. Bonne lecture.

L’année dernière, le concept de stagnation séculaire fut réintroduit dans le lexique économique comme manière d’expliquer le manque de croissance des pays avancés. Apparemment, nous ferions face pour longtemps à un avenir de faible croissance et de chômage élevé et il n’y aurait pas grand chose que nous pourrions y faire. Il semble à présent que de plus en plus de commentateurs et d’économistes sautent dans ce train au point que le concept est dit « envahir la science économique » — cf. Stagnation séculaire : l’effrayante théorie économique qui envahit la science économique. Le soucis est qu’il est apparu dans le débat économique à la fin des années 1930 alors que les économies étaient encore dans la stagnation de la Grande Dépression. Aujourd’hui comme alors l’hypothèse est un pétard mouillé. Le problème des années 1930 fut spectaculairement surmonté par le début de la Seconde Guerre Mondiale lorsque les gouvernements des deux camps augmentèrent leurs dépenses nettes (déficits fiscaux) énormément. [NdT : Bien que ce soit globalement exact, il ne faut pas en déduire que les dépenses de guerre ne dominent l’économie. Dans le cas des États-Unis, la production dépassa son record avant la production de guerre, l’Allemagne parvint à relancer son économie très tôt, dès les déficits publics de 1933, et avant là encore les dépenses de guerre hégémoniques comme l’illustrent les autoroutes dont beaucoup sont encore actives aujourd’hui ou les Volkswagen…] L’engagement pour le plein emploi en temps de paix qui suivit maintint la croissance et la prospérité pour des décennies jusqu’à ce que les boutiquiers néolibéraux redeviennent dominants et commencèrent leur attaque contre l’activisme fiscal. Le remède contre la croissance molle et le chômage important aujourd’hui est le même qu’alors — les déficits gouvernementaux sont beaucoup trop petits.

Qu’est la stagnation séculaire exactement ? Certains croient que cela désigne la réponse du potentiel de production à une récession, où les entreprises arrêtent d’investir dans de nouvelles capacité productives tandis que leurs ventes chutent, et le manque d’investissement clairement mine la croissance future possible pour l’économie. J’ai écrit sur ça dans plusieurs billets — tout récemment — La myopie du néolibéralisme et du FMI est maintenant évidente pour tout le monde.

Ainsi c’est une situation où l’offre globale potentielle se contracte à cause d’un déclin prolongé de la dépense globale et l’économie s’atrophie du point de vue de sa capacité à croître.

D’autres déclarent que ce qui entraîne la stagnation de la croissance économique n’est pas tant une réponse de l’offre (diminution des capacités) qu’une réponse qui dure et s’aggrave de la demande globale (dépense). Les exemples cités sont un déclin de la population en âge de travailler, qui prétendûment sape la dépense et laisse l’économie « en manque persistant de demande » (cf Paul Krugman, Ce que la stagnation séculaire n’est pas – 24 Octobre 2014).

En mars 1939, l’économiste keynésien Alvin Hansen a publié un article – Le progrès économique et le déclin de la croissance économique – le lien vous emmène sur JSTOR si vous y avez accès. Il fut publié dans la Revue Économique Américaine, vol. 29, n° 1, p.1-15.

Hansen s’inquiétait du déclin de la croissance de la population américaine aux États-Unis dans les années 1930, dont il notait qu’elle marquait la fin de la croissance rapide des 25 années précédant la Grande Dépression.

Il répugnait à accepter l’idée avancée par les malthusiens selon laquelle un ralentissement de la croissance de la population serait bénéfique parce qu’elle pallierait la rareté des ressources.

Au lieu de cela, concédant une part de vérité à l’argument, Hansen dit :

… ce serait un optimisme injustifié que dénier les implicites du puissant tournant actuel depuis une expansion rapide vers l’arrêt de la croissance de la population, les sérieux non-ajustements structurels qui ne peuvent être empêchés ou mitigés que si des politiques économiques appropriées à la nouvelle situation sont appliquées.

Son principal argument est qu’un ralentissement de la croissance de la population réduirait le champ pour l’« élargissement » du marché et réduirait l’« inventivité », qui, à son tour, réduirait « la production de richesse ».

La croissance entraîne la croissance et la rareté des ressources est repoussée par de nouvelles découvertes et inventions. C’est pourquoi il considérait les arguments de David Ricardo et Thomas Malthus durant le 19ème siècle concernant les problèmes d’un excès de population comme inutilement pessimistes.

Il écrivait alors qu’il considérait que « le principal problème de notre temps … est le problème du plein emploi » ou son manque. Il considérait que la Grande Dépression avait engendré « le problème du plein emploi de nos ressources productives du point de vue de long-terme, séculaire », ce qui requerrait une compréhension de pourquoi les économies :

tendent à rendre les reprises faibles et anémiques et cela tend à prolonger et approfondir le cours des dépressions. C’est l’essence des reprises malades de la stagnation séculaire qui meurent dans leur enfance et des dépressions qui se nourrissent d’elles-mêmes et laissent un noyau dur et apparemment immuable de chômage.

Et ainsi le terme de stagnation séculaire était né.

Son attention se portait sur la formation de capital (investissement dans les capacités productives) et le rôle qu’elle jouait pour sécuriser la hausse du revenu national avec « le plein emploi des ressources et donc le plus haut revenu possible au niveau de développement technologique du moment. »

De larges dépenses d’investissement étaient jugées nécessaires à une croissance soutenue « afin de combler le fossé entre les dépenses de consommation et le niveau de revenu qui pourrait être atteint si tous les facteurs de productions étaient employés. »

Bien sûr, l’investissement peut être privé et/ou public. Le point est que si les consommateurs ne veulent pas dépenser tout leur revenu (et que le secteur extérieur ne comble pas la différence), alors la dépense d’investissement doit être suffisante pour compléter le manque. Sinon, les ventes seront moindres qu’attendues et la production déclinera et le chômage augmentera.

Il ne croyait pas que la solution à la stagnation viendrait d’une baisse des taux d’intérêt, qui est la croyance de la plupart des gens.

Il a clairement affirmé que :

Je m’avance jusqu’à dire que le rôle du taux d’intérêt comme déterminant de l’investissement a occupé un rôle plus grand qu’il ne mérite dans notre pensée.

L’idée est que les entreprises n’investiront pas dans de nouvelles capacités de production aussi bon marché soient les fonds pour ces investissements si elles ne s’attendent pas à pouvoir vendre la production supplémentaire.

La banque centrale peut diriger les taux d’intérêt à la baisse à des niveaux bas où les entreprises n’emprunteront toujours pas ni ne dépenseront. Les similarités avec la situation actuelle sont fortes.

La dépendance à la politique monétaire pour sortir les économies avancées de la crise était mal choisie et reflétait une faible compréhension de ce qui dirige la croissance du revenu national. Hansen savait clairement cela en 1939 comme beaucoup d’économistes keynésiens.

C’étaient les économistes classiques/néoclassiques qui étaient incapables de laisser s’en aller la doctrine des fonds prêtables, qui dit que l’épargne et l’investissement sont équilibrés par des ajustements du taux d’intérêt. Ainsi lorsque les consommateurs ne veulent pas dépenser ils doivent épargner et le supplément de dépense peut provenir de l’investissement si les taux d’intérêts baissent.

La doctrine des fonds prêtables demeure une partie centrale de la théorie économique néolibérale dominante et est fausse jusque dans ses fondements.

En rapportant tout cela à la croissance de la population, Hansen explique qu’un taux de croissance déclinant et par là-même une population vieillissante redéploie la demande des consommateurs depuis, disons, le logement, vers les services à la personne. Le premier « exige de fortes dépenses de capital, tandis que la demande pour les services à la personne peuvent être satisfaits sans de grosses dépenses d’investissements. »

En d’autres termes :

… une évolution d’une population croissant rapidement puis stagnante ou déclinante peut altérer la composition du flux final de la consommation des biens et le ratio de capital par rapport à la production dans leur ensemble tend à décliner.

Aussi sans un développement technologique rapide qui engendre de nouveaux investissements, Hansen croit que le système capitaliste trouverait difficile de maintenir le plein emploi tandis que la croissance de la population baisserait.

L’économie stagnerait avec d’inadéquate dépense d’investissement. En ce sens, il s’oppose à l’idée que la technologie crée le chômage. En effet, il argue fermement que l’innovation éperonne les dépenses d’investissement, ce qui permet à la croissance économique de persister.

Il pensait que le « problème de notre génération est, avant tout, le problème des débouchés pour l’investissement privé. Ce dont nous avons besoin n’est pas un ralentissement du progrès de la science et de la technologie, mais une accélération de ce taux. »

Son idée — cohérente avec les penchants keynésiens — était que le système du marché laissé à lui-même stagnerait et qu’aucune force du marché ne soutiendrait une correction. Keynes avait clairement démontré la capacité et la propension du système capitaliste à s’enliser dans des états stables (où il n’y a pas de forces de changement) qui donnent un chômage de masse élevé et persistant.

Keynes montra que dans ces cas-là la seule solution est une dépense extérieure (au marché) à injecter dans l’économie — c’est-à-dire que la dépense du gouvernement, qui relancerait l’économie privée.

Et c’est exactement ce qui arriva lorsque, environ, Hansen promut l’idée d’une stagnation séculaire en 1939.

Le pessimisme ou les inquiétudes de Hansen quant à la dérive de l’économie de marché vers la stagnation séculaire furent résolus dans l’année par le début de la Seconde Guerre Mondiale et les dépenses de guerres afférentes.

Il savait parfaitement (dans son article) que « des dépenses gouvernementales perpétuelles jusqu’au point de plein emploi » était possible mais risquait l’inflation si la croissance était poussée au-delà des capacités de l’économie à absorber l’excédent de dépense. Il reconnaissait que le même argument (sur les dangers de l’inflation) « pourrait être pointé tout autant contre l’investissement privé une fois que la limite supérieure de danger est franchie. »

La dépense publique massive associée à l’effort de guerre — d’abord en Allemagne et un peu plus tard dans les nations alliées, mit un terme à la Grande Dépression par un boum (désolé).

Et comme Matthew Yglesias le note dans son article — Stagnation séculaire : l’effrayante théorie économique qui envahit la science économique – les idées de stagnation séculaire furent oubliées après la guerre. Pourquoi ? Il n’a pas développé.

Mais la réponse est que les pays avancés comprirent qu’elles pouvaient maintenir le plein emploi en temps de paix en assurant des déficits gouvernementaux suffisant pour financer le désir d’épargne de l’ensemble du secteur non-gouvernemental (c’est-à-dire de ne pas dépenser tout son revenu).

Hanse n’avait également pas prévu le retour à une plus robuste croissance de la population après la guerre. Mais les économistes d’alors comprirent clairement que la croissance économique pourrait être maintenue par des interventions appropriées de politique fiscale.

Rien n’a changé de ce point de vue pourtant les économistes parlent maintenant de la stagnation séculaire comme si c’était quelque chose qu’on ne peut espérer guérir.

À la conférence du FMI de l’année dernière Lawrence Summers, essayant vraisemblablement de rester pertinent, invoqua cette idée à nouveau pour expliquer pourquoi les économies dominantes se languissaient alors avec une faible croissance (ou sont encore en récession comme dans le cas de l’Europe).

Un certain nombre d’économistes sautèrent dans le train — qui ne mène nulle part si vous réfléchissez clairement à la question.

Ils soulignent tous combien la « reprise » depuis la dernière crise a été très différente des précédentes récessions — beaucoup plus lente et faible et que la politique monétaire semble inefficace malgré des programmes d’achats massifs d’obligations par les banques centrales.

Comme Matthew Yglesias le souligne :

Même aujourd’hui, le taux de chômage demeure à de hauts niveaux bien que la Réserve Fédérale ait maintenu les taux à zéro pendant plus longtemps que n’importe qui aurait cru possible.

Rien de cela n’aurait dû surprendre quiconque comprend vraiment comment fonctionne le système monétaire et la façon dont réagissent les gens lorsqu’ils sont confrontés à un chômage et une perte de revenu massifs.

Espérer une reprise entrainée par le crédit bancaire — parce que les banques centrales accroissent leurs réserves bancaires — se méprend fondamentalement sur le rôle des réserves et le fait que les banques ne les prêtent pas aux entreprises.

Lisez je vous prie les billets suivants — Augmenter les réserves bancaires n’accroîtra pas les crédits et Augmenter les réserves bancaires n’est pas inflationniste – pour plus de discussion.

Jamais la politique monétaire n’aurait pu être suffisante pour résoudre la chute de demande créée lors des premiers jours de la Grande Crise Financière (GCF).

L’autre changement majeur de cette récession comparée aux précédentes a été la domination de la pensée néo-libérale et son rejet des déficits publics.

Il y a des points communs avec les débuts de la Grande Dépression lorsque le point de vue du Trésor Britannique dominait. Lisez je vous prie mon billet — Les contraintes macroéconomiques réduisent l’action individuelle à l’impuissance — pour plus de discussion sur ce point.

Les coupes dans les salaires et le choix exclusif de la politique monétaire avaient alors échoué dramatiquement et la Dépression fut amplifiée chez la plupart des pays. Seule une augmentation massive de la dépense agrégée y mit fin une décennie environ après ses débuts.

Tandis que Hansen pensait que la croissance de la population amènerait l’investissement nécessaire pour maintenir la croissance de la dépenses, nous avons de meilleures alternatives maintenant que nous comprenons mieux les limites écologiques de la croissance et combien de personnes la planète peut supporter de manière durable.

Les villes sont déjà congestionnées et les systèmes de transports défaillants. La dernière chose que nous voulons est un investissement massif dans le logement qui mettent les gens à des kilomètres à l’extérieur des villes et les oblige à dépendre de leurs voitures pour le travail etc., en l’absence de réseaux de transport public robuste.

Le Washington Post (31 octobre 2014) considère la théorie de la stagnation séculaire – Voilà pourquoi l’économie a chuté et ne peut se relever. – et a recyclé le graphique que Lawrence Summers avait introduit, qui montre la croissance effective du PIB réel et les diverses (et déclinantes) estimations du PIB potentiel par le Bureau du Budget du Congrès américain alors que la crise sévissait.

Le graphique est reproduit ici :

L’article du Washington Post pense que la signification du graphique est que :

… en l’absence d’une bulle ou d’une relance, il pourrait ne jamais y avoir assez de demande pour nous garder hors de la quasi-récession, voire pire

Et que la « stagnation séculaire pourrait tourner la demande déficiente en offre déficiente » via le processus d’hystérèse.

L’auteur affirme que cela surviendrait :

… parce que les chômeurs de long-terme pourraient devenir inemployables, et que trop peu d’investissements aujourd’hui pourrait créer un goulot d’étranglement qui empêcherait l’économie de croître autant à l’avenir.

C’est exact seulement si nous continuons à dépendre du marché privé pour notre salut.

J’ai écrit dessus auparavant (c’était une partie majeure de ma thèse doctorale en fait). Par exemple, très récemment – La myopie du néolibéralisme et de FMI est évidente pour tous – pour plus de discussions sur ce point.

L’auteur du Washington Post comprend que les économies du monde :

ont besoin … de plus de dépense d’infrastructures, et de moins de pinaillage sur le déficit qui, contrairement à notre reprise économique, n’est pas un problème urgent. Nous avons besoin de réaliser qu’attendre simplement que la croissance nous rattrape est la nouvelle attente pour Godot — et que nous ne pouvons nous l’offrir. [NdT : faire passer le message à François H.]

Exactement, sauf que le déficit fiscal ne peut jamais être vraiment un problème à moins que le gouvernement soit suffisamment stupide et le pousse au-delà des capacités de l’économie à absorber le supplément de dépense nominale.

L’hypothèse de la stagnation séculaire n’évite d’être un non sequitur seulement si nous excluons la plus importante des intuitions de cette analyse — que le gouvernement peut toujours stimuler la croissance à travers une dépense accrue.

Les prétentions de la stagnation séculaire ne prennent de l’ampleur que parce que nous sommes encore sous l’emprise de l’ensorcèlement libéral.

Les chômeurs de long-terme ne sont pas une contrainte sur la croissance si le gouvernement choisit d’intervenir.

Tandis que l’investissement du secteur privé, qui est gouverné par des considérations de profitabilité, peut être insuffisant (pendant et après une récession) pour accroître le potentiel de production suffisamment rapidement pour réabsorber les chômeurs qui ont perdu leurs emplois lors de la récession, une telle situation ne s’applique pas à un gouvernement émetteur de sa devise voulant introduire un Employeur en Dernier Ressort. [NdT : appelé Job Guarantee par W. Mitchell, cf L’Employeur en Dernier Ressort]

L’idée est que l’introduction d’un Employeur en Dernier Ressort crée simultanément la capacité supplémentaire de production requise pour la viabilité du programme.

Les capacités de dépenses des gouvernements émettant leurs devises ne sont pas contraintes par les anticipations de la demande globale future de la même manière que le pessimisme érode les décisions de dépenser des entreprises qui sont guidées par des considérations de profitabilité.

Des recherches où j’étais impliqué pendant de nombreuses années, la majorité des emplois identifiés comme correspondant aux ouvriers peu qualifiés seraient dans les types d’activité à faible intensité de capital, bien que cela varierait selon les types de besoin particulier (équipement de transport, services à la communauté, santé et sécurité publiques, et le divertissement et la culture etc.).

Le résultat est que le gouvernement a tant la capacité réelle que financière pour investir dans et se procurer le capital requis en temps voulus. Le pessimisme, qui contraint l’investissement du secteur privé au début de la reprise, n’entre pas en compte.

Lisez je vous prie mon billet – Un Employeur en Dernier Ressort crée la capacité supplémentaire de production requise – pour plus de discussions sur ce point.

Il est évident que la situation actuelle où la plupart des économies avancées luttent pour restaurer la croissance en se reposant sur les forces auto-correctrices du marché est le même problème que Keynes et Hansen affrontaient dans les années 1930.

Le remède est le même que celui découvert avec le début de la Seconde Guerre Mondiale – la dépense gouvernementale peut remplacer la dépense privé réticente.

Sans intervention fiscale, le marché privé peut être coincé dans des états d’équilibres (où toutes les décisions obtiennent les résultats anticipés) qui comportent des niveaux de chômage élevés.

Aussi les entreprises en viennent à anticiper une croissance très faible et réduisent le taux de création de capacités tandis que les consommateurs prennent des habitudes de grande prudence. La production et le revenu généré résultants renforcent ces anticipations et il n’y a pas de dynamique pour provoquer un changement. Les entreprises ont suffisamment de capacités productives et l’économie se retrouve coincée à un état avec chômage élevé.

Le problème est aggravé en zone euro parce que, en ignorant les contraintes fiscales ridicules imposées par le Pacte de Stabilité et de Croissance, les gouvernements des États membres sont financièrement contraints par le fait qu’ils utilisent une devise étrangère et que la banque centrale (qui émet cette devise) est réticente à souscrire à ces déficits publics. [NdT : La chose est moins claire en vérité : ce serait plutôt certaines banques centrales nationales, en particulier allemande, qui s’y refusent obstinément. Ainsi, Christian Noyer, l’actuel gouverneur de la Banque de France, a affirmé que « La BCE pourrait acheter des emprunts d’État si nécessaire. »/a>]

Les nations émettant leurs devises ne sont pas contraintes du tout de cette manière. Ces contraintes fiscales sont toutes volontairement imposées et pourraient être éliminées immédiatement du sein du système monétaire existant.

Les contraintes de la zone euro sont inhérentes au cadre de leur système monétaire et requerraient des changements au traité — un processus tortueux. Une nation de la zone euro serait mieux avisée d’abandonner l’euro et de réinstaurer sa propre devise — quelque chose qui peut être fait dans un très court laps de temps s’il y avait la volonté politique.

Mais une nation émettant sa devise pourrait immédiatement créer une croissance économique plus forte avec un Employeur en Dernier Ressort accompagnées par d’autres initiatives de dépenses.

Conclusion

L’affirmation que la croissance est due à une stagnation séculaire ne survit que parce que le débat économique est contrôlé par les cercles intellectuels néo-libéraux.

La croissance serait revenue à plus ou moins sa normale après la récession si les gouvernements avaient suffisamment augmenté leurs déficits et n’avaient pas essayé de les réduire prématurément.

Les gouvernements européens devraient dans presque tous les cas avoir des déficits substantiellement supérieurs (le double voire plus dans certains cas) pour répondre aux effets de moyen et long termes de la crise. Si la BCE garantissait toute émission de dette de la zone euro, il n’y aurait pas besoin de cette austérité.

Tout ce que cela signifie est que les gouvernements devraient faire tout leur possible pour éviter les récessions.

Non seulement cette stratégie de politique d’intervention précoce éviterait une perte massive de revenu à court-terme et une hausse brutale du chômage qui accompagne une récession, mais les dommages à plus long terme aux capacités de production de l’économie et la détérioration de la qualité de la population active pourraient aussi être évités.

Un gouvernement national, émettant sa devise peut toujours fournir suffisamment de dépenses agrégées en un temps relativement court pour compenser un effondrement de la dépense non-gouvernementale, qui, si elle est ignorée, mènerait à ces conséquences dommageables à court et long termes.

L’approche « attendre que le marché fasse son travail » est très largement inférieure et ne ruine pas seulement les vies des individus qui sont forcés à en subir les coûts de manière disproportionnée pendant les récessions économiques, mais sape également la prospérité future de leurs enfants et des générations suivantes.

Le néochartalisme et différents modes de production

Une note aux lecteurs réguliers. Certains commentaires récemment portèrent sur le besoin de basculer vers le socialisme et d’abandonner les tendances destructrices du capitalisme. Apparemment, cela signifie que le néochartalisme [NdT : son nom commercial anglo-saxon : Modern Monetary Theory (MMT)] serait quelque peu à côté de la plaque.

Pas du tout. Le néochartalisme fournit une compréhension du fonctionnement des systèmes monétaires indifféremment d’une propriété privée (Capitalisme) des moyens de production (capital), ou d’une propriété publique (Socialisme) ou d’aucune « propriété » du tout (Communisme).

Les mêmes questions surviennent — y compris celles que nous avons discuté dans le billet d’aujourd’hui.

Ce sera tout pour aujourd’hui !

(c) Copyright 2014 William Mitchell. Tout droit réservé.
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L’aveu des taux d’intérêt négatifs

Ce billet veut démystifier un phénomène récent en pleine expansion : les taux d’intérêt négatifs. Comprenons-nous bien : un taux d’intérêt de -3 % par exemple signifie que le prêteur accepte de prêter à l’emprunteur 100 si ce dernier consent à ne rembourser que 97, et garde les 3 restants pour toujours. Dit ainsi, ça parait absurde, et c’est pourtant ce qui se répand. En fait, la chose est beaucoup moins inimaginable qu’il n’y parait et fut prédite par Kalecki dès 1943. Il importe de comprendre dans quel environnement monétaire nous avons basculé

Actuellement, le taux directeur principal de la BCE est à 0,05 %. 0,05 %. Comme le dit Mario Draghi, « en pratique, nous avons atteint le plancher. » Il n’y a plus, tout simplement plus de marge disponible, et nous sommes très loin de pouvoir relancer le crédit lors de la prochaine crise. Souvenons-nous que d’octobre 2008 à mai 2009, pour stimuler l’économie, ce taux directeur s’effondre rapidement de 3,75 % à 1,00 % soit 2,75 points de pourcentage de différence, loin, très loin du 0,05 point restant actuellement. En fait, la seule baisse de novembre 2008 était 10 fois supérieure (0,50 point de pourcentage, on dit aussi 50 points de base), et elle fut immédiatement suivie d’une baisse en décembre de 0,75 point…

Mais il y a encore plus intéressant. L’argument néochartaliste a toujours été de dire que le marché interbancaire est artificiel, délibérément maintenu par l’État, que les taux des prêts interbancaires s’effondreraient à zéro s’il ne les soutenait. En effet, les banques centrales n’utilisent jamais un taux directeur seul. Il y en a généralement trois (deux sinon, très rare) : le premier est celui de référence, l’objectif officiel de la politique monétaire de la banque centrale ; le second est le taux plafond, c’est-à-dire le taux auquel prête la banque centrale aux banques commerciales en urgence pour leur éviter un défaut de paiement ; le troisième est le taux plancher, le taux de rémunération que la banque centrale garantit à toute banque commerciale souhaitant prêter de sa devise et acceptant de la placer chez elle, sa créatrice. Pour plus d’explications avec graphiques illustratifs, cf les pages 41 et suivantes de mon livre Devises, l’irrésistible émergence de la monnaie. Or, pour parvenir à maintenir ce couloir, la BCE a introduit un taux plancher négatif à -0,10 %, il est même à -0,20 % actuellement. Elle s’en explique, et la fin sur la capacité du marché à se soutenir lui-même, hors soutien public, est parfaitement conforme à l’enseignement néochartaliste :

Afin de préserver le bon fonctionnement du marché monétaire sur lequel les banques commerciales se prêtent mutuellement des fonds, ces taux ne peuvent être trop proches l’un de l’autre. Comme le taux de la facilité de dépôt se situait à 0 % et que celui des opérations principales de refinancement était de 0,25 %, une réduction à 0,15 % de ce dernier a conduit à ramener le taux de la facilité de dépôt à − 0,10 % pour maintenir un certain corridor.
[…]
Si une banque détient un volume de monnaie plus élevé que le montant requis au titre des réserves obligatoires et ne souhaite pas prêter des fonds à d’autres banques commerciales, elle a le choix entre deux options : détenir cette monnaie sur un compte ouvert dans les livres de la banque centrale ou la détenir sous forme de numéraire. Mais la détention d’espèces entraîne également certains frais − en raison notamment de la nécessité de stocker les billets dans un lieu très sécurisé. Il est donc peu probable qu’une banque opte pour cette solution. Il est plus vraisemblable que les banques décideront soit de prêter des fonds à d’autres banques soit de payer le taux d’intérêt négatif sur les dépôts.

Rappelons que la théorie justifiant que la politique monétaire soit avant tout confiée à la banque centrale est l’hypothèse d’impétuosité du crédit privé : il serait une telle force motrice qu’il faudrait le plus souvent le restreindre, parfois le relâcher, et qu’en conséquence, tout apport monétaire extérieur serait nécessairement excédentaire : il faudrait restreindre le crédit privé pour laisser place à d’autres financements (théorie dite de l’éviction). Or, ce que nous dit ce taux d’intérêt négatif est que la Banque Centrale Européenne ne parvient pas à relancer les crédits privés, ni même simplement à faire sortir les euros de ses caisses : elle en donne pléthore aux banques commerciales qui préfèrent les laisser sur leurs comptes chez la BCE. Cette dernière est obligée de les menacer de leur en prendre une partie pour espérer les inciter à sortir ces euros… ne serait-ce que pour les prêter à une consœur qui les redépose sur son compte au sein de la BCE. La BCE rogne ainsi l’assouplissement quantitatif qu’elle avait mis et remis en place.

Et ce n’est pas le seul marché qui menace de s’évaporer entre les mains de la banque centrales :

La BCE achètera donc des actifs de façon réduite pour ne pas tuer le marché » […]
Bref, tout semble converger vers un impact « clairement insuffisant », comme le note Christopher Dembik, de ces opérations. « Les 1.000 milliards d’euros évoqués ne sont même pas un objectif possible, c’est simplement une borne haute théorique », ajoute-t-il. L’ennui, c’est que la BCE n’a plus guère de cartouches dans sa gibecière. Il n’en reste finalement qu’un seul : le « QE » souverain ou l’achat massif de dette publique de la zone euro. Dans ce cas, la liquidité serait largement suffisante, mais ici on se trouve face à un refus radical et absolu de l’Allemagne, auquel s’ajoute le problème judiciaire posé par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe.

Le trésor public, et son déficit public, refont surface au-delà de tous les méandres idéologiques. Le financement par déficit public n’est pas excédentaire comme le prétendent les inconditionnels du crédit privé, mais essentiel, c’est la base de tout financement. Mais ce n’est pas le simple rachat de cette dette publique qui la fera circuler au sein de l’économie (sous forme de devises du même montant), ce sera son injection pure et simple, sous forme de déficit public, de montant de devises qui ne soit pas à rembourser, sinon, l’économie demeurera toujours aussi pauvre. La banque centrale japonaise l’illustre à sa manière en essayant de réintroduire cette dette publique selon la première méthode quitte à s’imposer des … intérêts négatifs !

La Banque du Japon a ramassé quelques uns des bons du Trésor à trois mois n° 47, qui se sont échangés à taux négatifs durant les deux derniers jours lors d’une forte demande, disent les acteurs du marché. Les traders disent que la banque veut montrer au marché qu’elle atteindrait ses objectifs d’achats d’actifs — littéralement à n’importe quel prix.1
[…]
« La BdJ ne s’attendait probablement pas à ce que ça arrive, et les taux des bons du Trésor qui restent négatifs devrait être une source d’inquiétude pour eux », dit Shogo Fujita, stratégiste en chef des bons japonais chez Merrill Lynch Japan Securities Co.

La Banque du Japon aussi tente de porter à bout de bras d’autres marchés, et se retrouve à les cannibaliser lentement mais sûrement malgré elle :

La BdJ détient maintenant 1,5 % de la totalité de la capitalisation du marché des actions (l’équivalent d’environ 480 000 milliards de yen) et est sur le point de dépasser La Vie Japonaise comme le plus grand détenteur individuel d’actions japonaises. Et, comme même des achats record par la BdJ ne sont pas assez pour faire le travail, Abe pousse maintenant la réforme GPIF (c-à-d. légiférer que les fonds de pensions japonais achètent beaucoup plus d’actions encore) comme l’un des objectifs principaux de son gouvernement. La farce est est presque complète alors que le ponzi japonais est au bord de l’effondrement.

Les financiers ne sont pas demandeurs de ces yens prêtées par la Banque du Japon : sinon ils consentiraient un taux d’intérêt, plutôt que d’en exiger un. Mais le mythe est trop puissant sur les esprits semble-t-il.

Ce n’est pas plus d’acrobatie financière, même en nous forçant la main, dont nous avons besoin, mais plus d’épargne nous en sauvant. Et pour cela il faut une injection nette de monnaie, pas un prêt, encore moins un prêt à crédit…

Notes :
1. La même expression qu celle utilisée par Mario Draghi au plus fort de la crise duite des dettes souveraines, et qui précéda les OMT permettant le rachat de dettes publiques…

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Où vont les QE : l’histoire secrète.

Traduction d’un billet de Cyniconomics du 3 juin dernier via un article de ZeroHedge. On y voit clairement la découverte presque complète de la passivité du crédit, longtemps clamée par les néochartalistes (cf Wray, 1998, p. 74-96, ou en français, Bersac, 2013, ch. 2.4). Je rappelle pour les néophytes que l’assouplissement quantitatif (quantitative easing en anglais) est un programme d’achat massif de crédits par la banque centrale. Bonne lecture à tous.

Nous ne comprenons pas complètement comment les programmes d’achats massifs d’actifs fonctionnent pour faciliter les conditions du marché.

Bill Dudley, président de la Fed de New York

Je ne pense pas qu’il y ait le moindre doute que l’assouplissement quantitatif a activé les riches et les réactifs. C’était un énorme cadeau… C’était délibéré dans le sens où nous espérions créer un large effet de richesse…1 J’espère que nous serons effectivement capable de dire finalement que l’effet de richesse fut plus également distribué.2 J’en doute.

Richard Fisher, président de la Fed de Dallas

Juste au moment où je pensais que tout allait bien, j’ai découvert que j’avais tort quand je pensais que j’avais raison, c’est toujours la même chose et c’est vraiment la honte, c’est tout.

Phil Collins du groupe Genesis

Parfois les résultats les plus intéressants sont ceux qu’on n’a pas vu venir.

Nous nous sommes récemment plongés dans les statistiques financières à la recherche de la destination finale des dollars des assouplissements quantitatifs (AQ).

Par exemple, nous nous sommes demandés qui se défont de leurs bons qui trouvent une nouvelle demeure dans le bilan de la Fed. Les courtiers passent parfois des bons directement du Trésor vers la Fed, mais achètent-ils les autres bons éligibles pour l’AQ principalement auprès des ménages, des fonds de pensions, des étrangers ou d’autres institutions financières ? Et aussi, les flux financiers peuvent-ils nous aider à estimer combien de dollars (s’il y en a) l’AQ ajoute aux achats ?

Nous ne nous attendions pas à des réponses claires, et nous avons été surpris de tomber sur ça :

Il va sans dire que ce graphique soulève un tas de questions, comme :

  • La Fed ne s’attendait-elle pas à compléter les autres types de crédits bancaires ?
  • Que pensent-ils de données suggérant qu’il n’a que remplacé les sources privées de crédits ?
  • Ont-ils d’autres explications pour les résultats du graphique ?

Malheureusement notre ligne directe avec l’immeuble de la Fed ne fonctionne pas cette semaine, ce qui nous a empêché de répondre à ces questions. Nous en sommes réduits à nos propres conclusions.

D’où vient « l’effet losange » ?

Notre principal apport est que les réserves surnuméraires créées par AQ ne sont pas tant une addition aux bilans bancaires qu’une substitution. L’hypothèse de l’addition est celle que nous entendons habituellement. Elle mène souvent à des commentaires confus, comme l’idée erronée que les banques « démultiplient » ou peuvent « prêter aux autres » les réserves. (Nous avons discutés ces sophismes ici.) Mais même sans les commentaires confus, l’hypothèse de l’addition ne tient tout simplement pas.

Selon les statistiques de flux financiers, il est plus juste de dire que les réserves surnuméraires de l’AQ remplacent simplement les autres formes d’expansions du bilan. C’est l’hypothèse de la substitution. Elle est cohérente avec le fait que les banques peuvent neutraliser les effets de l’AQ avec des produits dérivés et d’autres ajustement des portefeuilles. Elles peuvent réarranger l’exposition pour mimer un bilan de même taille et risque qui ne regorge pas de réserves. (Cf cette discussion connexe par le blogueur Tyler Durden.)

Voyez-vous même :

Votre banquier sait déjà combien de tranches de viande il veut dans son sandwich. Lorsque la Fed se pointe avec un gros paquet de la part de la logistique, ça lui épargne un trajet. Il fait toujours les mêmes sandwichs, mais ils sont garnis principalement par des banquiers centraux, et il les ajuste à son goût en variant les condiments.

Bon, l’ensemble est plus compliqué que cela, principalement parce que les réserves se déplacent entre les banques. Par exemple, les données montrent qu’un gros montant des réserves du QE s’accumule dans les bureaux américains de banques étrangères, où elles apparaissent être financées par des prêteurs étrangers. On peut penser ces réserves comme un moyen de recycler les déficits extérieurs américains dans des actifs en dollar US. En d’autres termes, l’AQ semble encourager les étrangers à échanger d’autres types d’actifs en dollar pour des réserves chez la Fed, confirmant l’hypothèse de substitution.

Plus encore, les réserves peuvent migrer depuis les banques les plus solides vers les banques les plus endettées qui essaient d’améliorer leur ratios de capitaux en diminuant les actifs pondérés selon leurs risques. Cela, aussi, génère probablement des substitutions dans les bilans financiers plutôt que des additions.

Les autres pratiques bancaires peuvent aussi expliquer en partie l’effet losange, mais nous ne pouvons pas tout savoir avec les données disponibles. Par exemple, il est impossible de déterminer combien les banques bénéficient de délits d’initiés pour l’AQ en achetant des bons juste avant que ne commence les achats d’actifs de la Fed (bien que nous envisageons des indices dans l’appendice, voire ci-dessus)

Bilan

Quelle que soit l’interprétation, notre graphqiue s’accorde bien avec les commentaires de Dudley et Fisher ci-dessus. Ils disent qu’il y a beaucoup de choses que la Fed ne comprend pas, et que l’AQ a peu d’objet autre que fournir un cadeau massif aux riches traders et investisseurs.

Revenons à notre question concernant la destination des dollars des AQ, la réponse est « pas loin ». Mis à part gonfler les prix des actifs et encourager quelques achats de luxe occasionnels, ils ne semblent pas s’échapper du secteur financier. Des liquidités qui auraient sinon été financées par des institutions privées sont à la place fournies par la Fed, et — comme l’aurait dit Phil Collins — c’est tout.

(Cliquez ici pour un appendice à cet article. De même, ne manquez pas nos recherches connexes, dont « Is This What a Credit Bubble Looks Like » et « 3 Underappreciated Indicators to Guide You Through a Debt-Saturated Economy ».)


Notes du traducteur :
1. L’effet de richesse est l’effet psychologique, lorsque la valeur de son épargne, au sens large, augmente, qui pousse à consommer plus, donc à générer plus d’activité économique. Exemple : si le prix de l’immobilier augmente, il est possible de contracter un prêt hypothécaire sur la valeur supplémentaire de cette maison pour consommer. Ou encore, si les actions montent, il est possible d’en vendre pour consommer. L’effet de richesse fut particulièrement mis en avant par Alan Greenspan à la tête de la Fed pendant la bulle internet, pour expliquer que l’économie croisse et fournisse des surplus budgétaires publics. Cette « panacée » est un fantasme financiariste.

2. Cf la théorie du ruissellement, trickle down economics en anglais. L’espoir largement vain qu’en enrichissant les riches, les pauvres récolteront plus que leurs miettes. Très en vogue sous Reagan, devenu toujours plus embarrassant pour les officiels depuis…

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Profiter de la crise : Pourquoi les capitalistes ne veulent pas d’une reprise, et ce que cela signifie pour les États-Unis

L’article Profiter de la crise : Pourquoi les capitalistes ne veulent pas d’une reprise, et ce que cela signifie pour les États-Unis, de Jonathan Nitzan et Shimshon Bichler, est particulièrement intéressant, il est aussi extrêmement proche des conclusions de Michal Kalecki dans Aspects Politiques du Plein Emploi. Seul un soulèvement populaire, via les élections, nous sortira de cette folie. Je le traduis ici en intégralité.
[Édition du 12 mai : Cette traduction est maintenant disponible sur les archives de Nitzan et Bichler.]

Pourrait-il être vrai que les capitalistes préfèrent la crise à la croissance ? À première vue, l’idée semble totalement idiote. Selon le B-A-BA de l’économie, tout le monde aime la croissance, particulièrement les capitalistes. Profit et croissance vont la main dans la main. Quand les capitalistes profitent, l’investissement réel augmente et l’économie réelle prospère, et lorsque l’économie fuse les profits des capitalistes s’envolent. La croissance est la voie des capitalistes.

Vraiment ?

Quelles sont les motivations des capitalistes ?

La réponse dépend de ce qui motive les capitalistes. Les théories économiques convenues racontent que les capitalistes sont des créatures hédonistes. Comme tous les autres « agents économiques » — depuis les cadres pressés et les ouvriers laborieux jusqu’aux criminels actifs et aux bénéficiaires d’allocations – leur but ultime est l’utilité maximale. Afin d’atteindre ce but, ils ont besoin de maximiser leurs profits et intérêts ; et ce revenu — comme tous les autres revenus — dépend de la croissance économique. Conclusion : les capitalistes en quête d’utilité ont toutes les raisons d’adorer les expansions et de haïr les crises.

Mais, justement, les capitalistes sont-ils réellement motivés par l’utilité ? Est-il réaliste de croire que les grandes corporations américaines sont guidées par le plaisir hédoniste de leurs propriétaires — ou avons-nous besoin d’un autre point de départ ?

Essayons ceci : de nos jours, le premier objectif des capitalistes et entreprises principaux n’est pas l’utilité absolue mais le pouvoir relatif. Leur vrai objectif n’est pas de maximiser leur plaisir hédoniste, mais de « battre la moyenne. » Leur but ultime n’est pas de consommer plus de biens et de services (bien que ça arrive aussi), mais d’accroître leur pouvoir sur les autres. Et la mesure clé de ce pouvoir est leur proportion des revenus et des actifs.

Notons que les capitalistes n’ont pas le choix sur ce point. « Battre la moyenne » n’est pas une préférence subjective mais une règle intangible, dictée et imposée par le nature conflictuelle du système. Le capitalisme jette les capitalistes contre les autres groupes dans la société — ainsi que les uns contre les autres. Et dans cette luttes aux nombreuses facettes pour un plus grand pouvoir, l’étalon de mesure est toujours relatif. Les capitalistes — et les entreprises à travers lesquels ils opèrent — sont contraintes et conditionnés à accumuler différentiellement ; à augmenter non leur utilité personnelle mais leurs gains relatifs. Qu’ils soient des propriétaires privés comme Warren Buffet ou des investisseurs institutionnels comme Bill Gross, ils cherchent tous non à performer mais à sur-performer — et leur surperformance signifie re-distribution. Les capitalistes qui battent la moyenne redistribuent le revenu et les actifs en leur faveur ; cette redistribution augmente leur part du gâteau ; et une plus grosse part du gâteau signifie plus de pouvoir emmagasiné contre les autres. En dernière analyse, les capitalistes accumulent non un plaisir hédoniste mais un pouvoir différentiel.

Maintenant, si vous regardez les capitalistes avec les lunettes du pouvoir relatif, la notion qu’ils devraient adorer la croissance et aspirer à une reprise n’est plus aussi évidente. En fait, l’exact opposé semble être vrai. Pour que n’importe quel groupe augmente sa part relative de pouvoir dans une société, ce groupe doit être capable de saboter stratégiquement les autres dans cette société. Cette règle dérive de la logique même des relations de pouvoir. Elle signifie que les capitalistes, cherchant à augmenter leur revenu-relatif-comprendre-pouvoir, doivent menacer ou miner le reste de la société. Et l’une des armes clés qu’ils utilisent dans cette lutte pour le pouvoir — parfois consciemment, mais habituellement par défaut — est le chômage.

Le chômage affecte la redistribution

Le chômage affecte la redistribution principalement par son impact sur les prix et salaires relatifs. Si un chômage accru cause une diminution du ratio prix par unité de salaire, les capitalistes sont distancés dans la lutte pour la redistribution, et cette retraite est certaine de les rendre désireux d’une reprise. Mais si l’opposé s’avère vrai — c’est-à-dire si un chômage accru aide à augmenter le ratio prix/salaire — les capitalistes auront une bonne raison d’adorer la crise et de s’accorder la stagnation.

En principe, les deux scénarios sont possibles. Mais comme la figure 1 le montre, aux États-Unis le deuxième prévaut : le chômage redistribue le revenu systématiquement en faveur des capitalistes. Le graphique oppose la part des profits avant impôt et les intérêts nets du revenu domestique d’une part avec le taux de chômage de l’autre (les deux séries sont lissées par une moyenne mobile sur cinq années). Notons que le taux de chômage est retardé de trois ans, dans le sens où chaque observation montre la situation prévalant trois ans plus tôt.

Ce graphique ne convient pas aux idées reçues. La science économique dominante nous raconte que les deux séries devraient être inversement corrélées ; que la part des capitalistes devraient s’accroître avec l’expansion lorsque le chômage diminue et baisser en récession lorsque le chômage augmente. Mais ce n’est pas le cas aux États-Unis. Dans ce pays, la corrélation est positive, et non négative. La part des capitalistes bouge contracycliquement : elle augmente lors des récessions et baisse lors des expansions — exactement l’opposé de ce que les conventions économiques nous auraient amené à croire. Les maths sont simples : pour chaque augmentation de 1 % du chômage, les capitalistes peuvent s’attendre à ce que leur part du revenu trois ans plus tard bondisse de 0,8 %. Il va sans dire que cette équation est une très mauvaise nouvelle pour la plupart des Américains — précisément parce qu’elle est une si bonne nouvelle pour les capitalistes du pays.

Remarquablement, la corrélation positive montrée dans la figure 1 ne tient pas seulement durant le cycle de court-terme, mais aussi à long terme. Durant l’expansion des années 1940, lorsque le chômage était très faible, les capitalistes s’approprièrent une part relativement faible du revenu domestique. Mais aussitôt que l’expansion faiblit, la croissance décélérait et la stagnation commençait à s’insinuer, la part du capital commença à partir à la hausse. Le pic du pouvoir du capital, mesuré par sa part du revenu global, survint au début des années 1990, lorsque le chômage était à son plus haut d’après-guerre. La globalisation néolibérale qui s’ensuivit apporta un chômage plus faible et une plus petite part pour le capital, mais pas pour longtemps. À la fin des années 2000, la tendance s’est à nouveau renversée, avec le chômage qui s’élève en tandem avec l’augmentation de la part distributive du capital. Regardant l’avenir, les capitalistes ont des raisons de demeurer ravis par la crise : avec des taux de chômage à nouveau proche des sommets d’après-guerre, leur part du revenu a plus de place pour augmenter dans les années à venir.

Le pouvoir des capitalistes peut aussi être examiné du point de vue du notoire 1 % supérieur. La plupart des commentateurs souligne les problèmes « sociaux » et « politiques » créés par la richesse disproportionnée de ce groupe, mais cette emphase met le monde sur la tête. La redistribution n’est pas un malheureux effet secondaire de la croissance et de la stagnation, mais la principale force qui les conduit.

La figure 2 montre la relation sur un siècle entre la part du revenu du 1 % supérieur et la croissance annuelle de l’emploi américain (les deux séries sont lissées par des moyennes mobiles de dix années). Comme le montre clairement le graphique, les gains distributifs de ce groupe ne sont pas stimulés par la croissance, mais par la stagnation. La relation globale est clairement négative. Lorsque la stagnation prend place et la croissance de l’emploi décélère, la part du revenu du 1 % supérieur augmente en réalité — et inversement durant une expansion prolongée.

Historiquement, cette relation négative peut être divisée en trois périodes distinctes, indiquées par la ligne en pointillée dessinée librement à travers la série de la croissance de l’emploi. La première période est, du tournant du vingtième siècle jusqu’aux années 1930, les dénommées Années Folles [NdT : « Gilded Age » c’est-à-dire Années Dorées]. L’inégalité des revenus s’accroît et la croissance de l’emploi s’effondre.

La seconde période, de la Grande Dépression jusqu’au début des années 1980, est marquée par l’État providence keynésien. De plus fortes taxation et dépenses publiques rendent la distribution plus égale, tandis que la croissance de l’emploi accélère. Notons la massive accélération de la croissance de l’emploi durant la Seconde Guerre Mondiale et sa décélération suivante apportée par la démobilisation d’après-guerre. À l’évidence ces épisodes mouvementés n’avaient aucun rapport avec l’inégalité des revenus, mais ils n’ont pas altéré la tendance globale à la hausse.

La troisième période, du début des années 1980 jusqu’à nos jours, est marquée par le néolibéralisme. Durant cette période, le monétarisme assume le commandement, les inégalités s’élèvent et la croissance de l’emploi s’effondre. Le taux d’emploi actuel oscille autour de zéro tandis que le 1 % supérieur s’approprie 20 pour cent de tout le revenu — similaire au nombre enregistré lors de la Grande Dépression.

Alors que signifie ces faits pour l’Amérique ?

Premièrement, ils rendent apparents les lignes rouges. Le vieux slogan « Ce qui est bon pour GM [NdT : General Motors] est bon pour l’Amérique » sonne maintenant creux. Les capitalistes cherchent non l’utilité à travers la consommation mais le pouvoir à travers la redistribution. Et ils atteignent leur but non en augmentant l’investissement et en alimentant la croissance, mais en permettant au chômage d’augmenter et aux emplois de devenir rares. Clairement, nous ne sommes pas « tous dans le même bateau ». Il y a une lutte distributionnelle pour le pouvoir, et cette lutte n’est pas un problème simplement « sociologique ». Elle est le centre de notre économie politique, et nous avons besoin d’un nouveau cadre conceptuel pour le comprendre.

Deuxièmement, la politique macroéconomique, nouvelle comme ancienne, ne peut compenser les conséquences globales de cette lutte distributionnelle. Et de loin. Jusqu’à la fin des années 1970, le déficit budgétaire était faible, cependant l’Amérique croissait. Et pourquoi ? Parce que la taxation progressive, les paiements de transferts [NdT : allocations, subventions, …] et les programmes sociaux rendaient la distribution du revenu beaucoup moins inégale. Dès le début des années 1980, la relation s’est inversée. Alors que le déficit budgétaire gonflait et que les taux d’intérêts baissèrent, la croissance économique décélérait. De nouvelles méthodes de redistribution ont causé une croissance de la part du 1 % supérieur, faisant de la stagnation la nouvelle norme.

Troisièmement, et finalement, Washington ne peut plus se cacher dans les buissons. D’un côté, la concentration du revenu et des actifs de l’Amérique, stimulée par de vastes sauvetages post-crise et un assouplissement quantitatif massif, est maintenant à des niveaux records. D’un autre côté, le chômage de long-terme demeure à des records d’après-guerre tandis que la croissance de l’emploi est au point mort. Un jour, cette situation finira par s’inverser. La seule question est si elle sera renversée par une nouvelle trajectoire politique ou à travers la calamité d’une crise systémique.

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Lord Turner se positionne contre le tabou de la création de nos devises

[Mise-à-jour du 8 mars 2014 : Turner.OP 87, combinant le discours et les diagrammes du diaporama, fut réalisé pour le Group of 30 — un panel de profils financiers de très hauts niveau, confirmés — m’a été aimablement transmis par Bruno Théret. Qu’il en soit ici remercié.]

Irrésistiblement, les pensées monétaires actuelles convergent vers le néochartalisme et nous en avons un très bel exemple avec le discours d’Adair Turner le 6 février 2013 à la Cass Business School. Depuis septembre 2008, il était le dernier président de la Financial Services Authority abolie en mars 2013 (une partie ayant été gardée au sein de la nouvelle Financial Conduct Authority). Jonathan Adair Turner fut président de la Confédération de l’Industrie Britannique (CBI) et ennobli baron Turner d’Ecchiswell en 2005.

Petite visite guidée de son discours (Son diaporama est également disponible.), avec ses forces et ses faiblesses.

La première chose à noter est la raison pour laquelle Turner se positionne en faveur de la création monétaire pure : « Parce que l’analyse de la totalité des options (y compris le financement monétaire manifeste) peut aider clarifier les concepts de base et à identifier les inconvénients et risques potentiels des autres outils de politiques moins extrêmes actuellement déployés » (p. 2 du discours). Courageusement, il défend la création monétaire pure et s’appuie pour cela sur plusieurs choses. La première, la principale, est l’article par Milton Friedman de 1948 A Monetary and Fiscal Framework for Economic Stability, article que mes lecteurs connaissent bien puisque j’en ai fourni une large partie sur ce blog bien avant que Turner en fasse son discours et l’ai traduit en intégralité et commenté, en introduction et conclusion, dans l’annexe 6.2 de mon livre. Comme moi, il repousse l’interdiction du crédit souhaitée par Milton Friedman car les avantage de cette théorie peuvent être obtenues à moindre coût social (cf le chapitre 4.2.3 de mon livre en particulier). Turner s’appuie encore sur deux autres travaux de libéraux moins connus : Irving Fisher et Henry Simmons. Or, ces deux travaux datent de 1936, c’est-à-dire du nadir de l’autorité libérale sur les esprits. Friedman parcourut ensuite le chemin exactement inverse après-guerre : partant d’ une acceptation de la devise de l’État contre le trop instable crédit privé procyclique en 1948 vers le monétarisme reprenant les thèses de Fisher que ce dernier avaient abandonnées à cause de la Grande Dépression (Cf ce billet sur les avatars de la théorie « de Friedman »).

Toutefois, et bien qu’il explique que ce sont précisément les déficits publics qui nous empêchent de sombrer dans une nouvelle Grande Dépression, il souligne à quel point le « tabou » (il utilise ce terme à 10 reprises) est encore persistant : « Même simplement mentionner la possibilité d’un financement monétaire manifeste [NdT : FMM, « Overt Monetary Finance », OMF, ce que j’appelle création monétaire pure.] est presque briser un tabou. Lorsque quelques uns de mes commentaires l’automne dernier furent interprétés comme suggérant que le FMM devrait être considéré, quelques articles de presses expliquèrent que cela mènerait inévitablement à l’hyper-inflation. » puis il mentionne les habituelles « expériences de l’Allemagne de 1923 ou du Zimbabwe ces dernières années. » (p. 3)

Du coup, Turner louvoie parfois laborieusement. Il fait immanquablement penser à Paul Samuelson pondérant si le mythe du déficit zéro en vaut la peine avant de finir par reconnaître que non. Petit florilège :

« Même lorsqu’il est effectivement proposé, le financement monétaire manifeste est la politique qui n’ose pas dire son nom.
Le FMM maintient donc son statu de tabou – et il y a de bonnes raisons d’économie politique
[NdT : l’ancien nom de la « science économique »…] pour lesquelles il en est ainsi. Mais il est également vrai qu’il […] pourrait être dangereux de rendre le tabou trop absolu. (p. 30). Et quelques pages plus loin, p. 37 : « Mais bien que souligner cela pourrait ajouter à la clarté intellectuelle, cela peut aussi compliquer des débats politiques tendus. Dans ce cas, continuer avec une politique qui n’ose pas dire son nom peut être l’approche la plus sensée. ». En fait, il s’agit peut-être moins de reprendre le contrôle de la situation pour assainir le débat, que de se résoudre à contre-cœur à cet assainissement pour garder le contrôle de la situation — la confiance règne laborieusement — , p. 3 : « parce que si nous ne débattons pas à l’avance de comment nous pourrions déployer le FMM dans des circonstances extrêmes, tandis que nous maintenons des disciplines rigides de règles et d’autorités indépendantes qui sont requises pour nous garder des risques inflationnistes, nous accroîtrons le danger d’utiliser finalement cette option d’une manière indisciplinée et dangereusement inflationniste. ». Enfin, comme Samuelson à nouveau, il s’appuie sur les leçons de l’histoire et renverse l’argument extrêmement spécieux de l’hyper-inflation ayant tué la République de Weimar, p. 34 :

  • Si Herbert Hoover avait su en 1931 que le FMM était possible, la Grande Dépression des É.-U. aurait été moins sévère.
  • Si l’Allemagne du chancelier Brüning avait su alors que c’était possible l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe dans les années 1930 aurait été moins horrible. Les percées électorales de Hitler de 2,6 % des votes aux élections de mai 1928 à 37,4 % aux élections de juillet 1932 étaient accomplis avec en toile de fond d’une chute rapide des prix et non de l’inflation.
  • Et bien que l’expérience déflationniste du Japon de ces 20 dernières années fut bien moins sévère que celles des années 1930, (conséquence, explique Koo, des déficits fiscaux qui étaient efficaces malgré qu’ils soient financés) il y a un solide dossier affirmant que Bernanke avait raison et que si le Japon avait déployé le FMM il y a 10 ou 15 ans, il serait en bien meilleur position aujourd’hui, avec un niveau des prix rehaussé, un niveau de PIB réel plus élevé, et une plus faible fardeau de dette publique en % du PIB, mais avec une inflation toujours à de faibles niveaux quoique positifs. Et il est possible qu’il n’y ait aucun autre levier politique pour obtenir cela.

Je traite ces trois exemples, avec citations et graphiques, dans mon livre : principalement aux chapitres 3.5.1, 3.5.3 et 2.6.3. Notons qu’ils pouvait tous savoir que le FMM était possible, depuis au plus tard l’édition anglophone de Théorie étatique de la monnaie de Knapp, préfacée par Keynes, de 1924, pour les anglophones, et depuis 1905, date de l’édition originelle allemande pour Brüning. Knapp était en effet un Allemand ! Cf chapitre 3.4 du livre notamment. D’ailleurs, ils pouvaient tous le savoir depuis la première édition de Wealth of Nations d’Adam Smith, s’ils étaient des lecteurs attentifs, cf p. 18 du livre…
Le passage concernant les « déficits fiscaux qui étaient efficaces malgré qu’ils soient financés » est absolument délicieux : comment mieux résumer le sac de nœuds intellectuel que génère le tabou libéral contre le concept de monnaie ? N’ai-je pas moi-même utilisé cette (anti)logique pour titrer un de mes anciens billets « Ne pas financer pour éviter de ne pas financer » ? C’est fou ce que le déficit public finance bien une économie lorsqu’il est financé, en effet.

Concluons avec le principal défaut du texte de Turner, qui l’empêche d’atteindre le niveau néochartaliste de compréhension monétaire : il n’a pas compris ce qu’expliquait Michal Kalecki dans Les Aspects Politiques du Plein Emploi (intégralement disponible et commenté au chapitre 6.1 de mon livre) :

À la page 25, Turner approuve Bernanke qui proposa « une réduction d’impôt pour les ménages et les entreprises qui serait explicitement couplé à des achats graduels de dette gouvernemental par la Banque du Japon, de manière à ce que la réduction d’impôt soit de fait financé par de la création monétaire ». Il ajoute même à la page suivante que l’assouplissement quantitatif « pourrait tourner post facto à du financement monétaire (mais peut-être pas manifeste). ». Ce jeu entre « dette publique réelle » et « dette publique fictive » (Mais peut-on disjoindre ainsi l’unique débiteur Trésor public ?) avait déjà été proposé par Martin Wolf. Ajoutons encore que l’assouplissement quantitatif rend encore plus « manifeste » bien que pas parfaitement explicite, la création monétaire. Kalecki expliquait dès 1943 (en plein étalon-or !) que les liens organiques institutionnels entre Trésor public et Banque centrale faisait que, fonctionnellement, le Trésor « payait avec sa dette publique » et que la banque centrale se chargeait de satisfaire aux critères administratifs en convertissant cette dette en devises et inversement à volonté. Ainsi Turner écrit à contre-sens page 40 : « Les mutliplicateurs fiscaux sont probablement plus élevés lorsque les taux d’intérêts sont au plancher zéro, et lorsque les autorités monétaires se sont déjà engagées à une politique accommodante dans le futur… mais la soutenabilité à long terme de la dette doit être reconnue comme une contrainte significative. ».

Comme si la banque centrale ne maîtrisait les taux sur la dette publique que depuis les assouplissements quantitatifs, au contraire ! Que d’énergie perdue pour tourner autour d’un tabou. Lorsque la communauté politique cessera de tenir ses billets en main en se disant « Ils n’auraient quand même pas osé fabriquer cela avec une planche à billet ? Non, non : il y a trop peu d’inflation pour que ce soit le cas. », alors, enfin, nous pourrons nous poser la vraie question intelligente du débat monétaire : « Combien de billets doit imprimer la planche, et pour quels objectifs, avec quels effets ? ». Nous y arriverons. La monnaie a toujours perturbé les esprits, depuis toujours nombreux sont ceux qui ont voulu la résumer à du troc, mais elle émerge, irrésistiblement, n’en déplaise à tous ceux qui veulent rester en enfance. Soyons adultes et assumons le réel, ça nous éviter d’avoir à se débattre en plus avec les fantômes de nos tabous.

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La nouvelle bulle théorique libérale : le market monetarism

Chez les libéraux, il est en passe (ou est déjà ?) le nouveau courant de pensée à la mode : le monétarisme de marché, market monetarism chez les anglophones, dont le fondateur et la principale figure est Scott Sumner, économiste professeur à l’université de Bentley et diplômé de l’École de Chicago, l’école de Friedman le premier monétariste. Je me sens obligé de répondre à cette école peu connue pour deux raisons. La première est que, comme Friedman avait concocté une resucée de la théorie quantitative de Fisher pour faire pièce au chartalisme très laborieusement mis en place par Keynes, de la même manière Sumner a concocté une resucée de Friedman qui permet aux libéraux de faire croire à une évolution de leur pensée qui les dispenserait des enseignements néochartalistes, ces derniers ne montant en puissance que laborieusement également (Mais nous aussi, nous décrocherons des Trente Glorieuses, j’en suis convaincu. J’espère seulement que ça prendra moins que la quinzaine d’années entre la publication du Treatise on Money de Keynes et l’avènement d’un keynésianisme suffisamment évolué pour donner ces Trente Glorieuses. Surtout, j’espère que nous éviterons les désastres survenus durant cette quinzaine…). Enfin, deuxième raison, Sumner a ouvertement prétendu réfuter le néochartalisme (sauf mention contraire, les citations suivantes sont issues de cet article), et ce avec une rigueur intellectuelle particulièrement faible (pour rester poli). Donc, je ne peux me contenter du silence face à la propagande des monétaristes de marché qui laboure les esprits. Commençons par le cœur du désaccord :

Mais voici le talon d’Achille du néochartalisme. Ni les banques ni le public ne veut particulièrement détenir deux fois plus de monnaie de base lorsque les taux d’intérêt à 5 %, parce qu’il y a un coût d’opportunité élevé. Aussi clament-ils que cela conduirait les taux d’intérêts à zéro, niveau auquel les gens et/ou les banques voudraient thésauriser le surcroît de monnaie de base. Pourquoi pas. Mais ensuite ? Vous avez une économie très au-delà de son équilibre wicksellien.
Les néochartalistes aiment discuter de cas où de larges injections à la base coïncidaient effectivement avec des taux d’intérêts proches de zéro — les ÉUA en 1932 ou en 2009, le Japon de la fin des années 1990 et du début des années 2000. Mais elles étaient toutes des économies sévèrement déprimées et/ou souffrant de déflation. Je trouve difficile de croire que vous pourriez amoindrir les taux depuis 5 % jusqu’à 0 % dans une économie saine sans déclencher une explosion de la demande globale, particulièrement si l’économie éprouvait déjà des niveaux normaux de PIB nominal, une croissance normal du PIB nominal, et des niveaux normaux de chômage.

Ce simple passage, (tiré, nous l’avons dit, de l’article où il prétend réfuter le néochartalisme), prouve suffisamment déjà, non seulement à quel point ses idées sur le néochartalisme sont confuses et mêmes fausses, mais encore pourquoi il ne comprend toujours pas la monnaie.

Rappelons que l’argumentation néochartaliste quant à la relation entre les crédits privés et la devise publique est que le crédit privé ne fait qu’optimiser la gestion des devises en circulation au prix d’une instabilité financière, qu’inexorablement il s’épuise, et que seule la devise publique injectée sous forme de déficit public (et non prêtée temporairement par la banque centrale) peut relancer l’activité de manière pérenne.

Commençons par le détail technique, qui montre déjà beaucoup la spéciosité du personnage. Jamais les néochartalistes officiels (Wray, Mitchell, Mosler, et tous ceux qui les ont lu et sont capables de les citer) n’ont nié que la banque centrale pouvait choisir un taux directeur selon sa préférence, ni que ce taux servait de taux d’intérêt de référence au secteur bancaire et à ses prêts. Ce que nous nions, c’est que la banque centrale détermine le volume des prêts par le volume de devises qu’elle injecte par rachats d’actifs. Nous constatons et affirmons qu’au contraire, elle ne le fait qu’indirectement : les banques commerciales déterminent quel est le volume de prêts jugés rentables (suffisamment bon rapport bénéfice/coût&risque) en fonction du taux directeur lui-même fixé par la banque centrale (Cf, par exemple, Larry Randall WRAY, Understanding Modern Money, Edward Elgar, 1998, p. 110-111). Une fois comprise cette subtilité, les simili-objections de Scott Sumner s’effondrent : Oui, plus on abaisse le taux directeur, plus le coût pour une banque pour prêter faiblit, donc plus elle peut prêter puisque des propositions de prêts auparavant trop coûteuses/risquées deviennent alors suffisamment rentables. Oui, cela augmente la demande globale (le nombre de devises, prêts, etc. essayant d’acheter des biens et services). Oui, une manière pour la banque centrale d’abaisser le taux directeur est d’injecter par rachats dans le marché interbancaire substantiellement plus de devises que les banques n’en ont besoin pour solder leurs comptes : elles chercheront à se prêter l’excédent pour gagner des intérêts dessus, mais aucune d’elle n’ayant d’intérêt à emprunter ces réserves, elles sous-enchériront jusqu’à atteindre 0 % d’intérêt (ou presque, puisqu’à ce niveau, il n’y a plus d’intérêt, justement pour elles, à faire l’effort administratif de proposer et contracter ce prêt.). Mais non, cela ne signifie pas qu’il y ait un lien direct entre le montant de ces réserves (les économistes appellent ainsi les devises injectées par rachats de la banque centrale dans le milieu interbancaire et détenues sur les comptes des banques commerciales au sein de la banque centrale) et le volume des prêts, car Sumner confond l’action du taux directeur avec l’inaction du volume de la base monétaire. En effet, nous aurions obtenu exactement le même résultat si la banque centrale avait fixé son taux directeur à zéro, c’est-à-dire avait injectée par rachats ni plus ni moins que le nombre de réserves requises par les banques pour solder tous leurs comptes, mais à taux 0. Le coût d’emprunt pour ces banques serait le même, donc serait aussi le même le nombre de prêts qu’elles jugent suffisamment intéressants pour être contractés. Est-ce qu’il y a dans tout cela un fabuleux secret pour qu’une économie en dépression ayant peur de prêter se mette rapidement à faire des prêts à tout va ? Nullement. Scott Sumner est incapable de fournir une contre-explication au noyau dur du néochartalisme résumé ci-dessus : lorsque l’économie est en dépression économique, et que le rachat d’actif par la banque centrale est incapable de relancer le crédit, Sumner ne répond plus, sa théorie est à un coup, soit elle nous prémunit contre la dépression, soit nous sommes piégés dedans !

Pour rappel, nous avions vu dans Le non-multiplicateur monétaire et dans La lenteur de la circulation de la monnaie, que justement, le simple fait de détenir un actif sous forme de dette gouvernementale (la dette la plus rachetée par la banque centrale pour injecter des réserves dans le marché interbancaire) ou sous forme de devises directement n’avait pas d’influence sur le PIB… Mentionnons encore les billets écrits sur les échecs des assouplissements quantitatifs (exactement la même chose) c’est-à-dire la passivité du crédit face à ces rachats, comme l’ont montré le Japon, la BRI, la Fed

Ensuite, Sumner continue son grand n’importe quoi : « Voilà la faille du néochartalisme ; ce n’est pas les actifs financiers nets qui comptent, mais la devise. » C’est vraiment énorme. C’est encore plus énorme dans mon cas, où je cherchais tellement à attirer l’attention générale sur la différence de la monnaie d’un État central souverain par rapport au crédit privé, que j’ai renommé les nombreuses périphrases plus ou moins appropriées par le terme devise que j’ai mis en tête de mon livre et étalé en nombreux exemplaires recto-verso sur la couverture. Au contraire, ce qui fait la différence entre la richesse et la pauvreté, au moins du point de vue financier, ce sont les « actifs financiers nets », c’est-à-dire ce qu’on possède et qu’on n’a pas à rembourser, et non le fait que notre emprunt soit converti en billets auprès du distributeur automatique plutôt qu’utilisé directement par virement bancaire ou carte de crédit. C’est en vérité facile à comprendre ; que chacun se pose la question suivante : Quelle option me ferait sentir le plus un surcroît de richesse, posséder le décuple de mon solde sur mon compte en banque, ou voir mon compte en banque vidé et mis en billets dans mes mains ? Si vous avez un doute, demandez à tous ceux qui vivent leurs fins de mois avec angoisse parce qu’il ne reste que quelques dizaines d’euros sur leur compte ou dans leur poche…

Enfin Scott Sumner avoue franchement qu’en fait, selon lui, la devise n’a aucune importance sur la richesse, ou du moins sur l’emploi, qu’elle n’affecte que les variables nominales (le prix des choses, et non les proportions respectives de ces prix, ni le nombre ou la qualité des biens et services échangés), lors de son « quiz » final :

Sumner clame qu’une croissance de 5 % du PIB nominal mènerait à environ 5 % de croissance du PIB nominal, 5 % de taux d’intérêt, et 5 % de chômage. Où mènerait un objectif de 3 % du PIB nominal ?
Réponse : Environ 3 % de croissance du PIB nominal, environ 3 % de taux d’intérêt, et environ 5 % de chômeurs.

Pour rappel, Scott Sumner n’innove pas, avec ces inepties. Milton Friedman fondait ses élucubrations sur exactement les mêmes erreurs d’analyse. Voici une citation clamant que la monnaie n’a pas d’importance, que seules les ressources réelles comptent :

La théorie quantitative de la monnaie [NdA : Le nom de la théorie de Fisher que Friedman a reprise.] tient pour garantie premièrement, que ce qui importe ultimement aux détenteurs de monnaie est la quantité réelle plutôt que la quantité nominale qu’ils détiennent et, deuxièmement, qu’il existe une quantité réelle de monnaie plutôt stable que les gens souhaitent détenir étant données les circonstances.

Friedman Milton, Schwartz Anna Jacobson, Monetary Trends in the United States and the United Kingdom, The University of Chicago Press, 1982, xxxi + 664 p., p. 18

Et en voici une proclamant que la monnaie est vraiment terriblement importante (Notons au passage l’inversion de la vérité, en jouant aussi sur les ambiguïtés du terme monnaie : les libéraux qui continuent à clamer que la monnaie n’est qu’un voile en définitive se font passer pour les vrais défenseurs de la monnaie contre les keynésiens qui clament que l’économie ne se sort pas seule de la dépression et qu’il faut des déficits publics, c’est-à-dire des injections nettes de devises…) :

La crise de 29 offre le témoignage dramatique du pouvoir de la monnaie, contrairement à ce que pensait Keynes et ses disciples.

Friedman Milton, Inflation et systèmes monétaires, Calmann-Lévy, Paris, 1985, 380 p., p. 36

Et enfin en voici une affirmant qu’en fait, Milton Friedman n’y connait à peu près rien et qu’il ne propose que de laisser faire le marché, en espérant qu’il réussira tout seul à empiler les dettes sur des dettes sans s’effondrer en dépression économique comme à son habitude : « notre compréhension présente des relations entre la monnaie, les prix et la production est si maigre, il y a tant de flottement dans ces relations » (Friedman Milton, The Counter-Revolution in Monetary Theory, 1970, in Monetarist Economics, 1991, 188 p., p. 18)

Toute l’histoire autour de ces défauts de paiements soudain et de la peur de prêter aurait été infiniment d’emblée plus claire si ces libéraux avaient accepté de distinguer d’une part la devise — c’est-à-dire la monnaie au sens strict : le billet, la pièce, ou toute dette dont le paiement est garanti par l’émetteur de ces billets et/ou pièces) — qui ne peut pas faire défaut, et d’autre part le crédit qui ne fait que promettre un paiement en cette devise, et n’est donc pas plus fiable que la capacité de l’émetteur de ce crédit à se procurer les devises pour les verser comme promis. Un autre économiste de Chicago, avec un Nobel, Robert Lucas, notait que le marché, lui, fait très bien la distinction :

Les marchés financiers sont pris dans une « fuite vers la qualité » analogue à la « fuite vers la devise » [NdT : Il s’agit bien du terme choisi par Lucas, currency, et non money ou credit.] qui a paralysé l’économie dans les années 1930. Tout le monde veut détenir des actifs issus par le gouvernement ou garantis par le gouvernement, pour des raisons tant de liquidité que de sécurité. Les individus ont essayé de le faire en vendant leurs autres titres, mais sans augmentation de l’offre de titres de « qualité » ces tentatives ne peuvent rien faire d’autre que diminuer le prix des autres actifs.

Tant qu’on refuse de reconnaître la différence entre un actif qu’on a à rembourser et un actif qu’on détient a priori définitivement, on croît que le marché résorbe une grande dépression en deux semaines, et que, nous affirme Scott Sumner, le déficit public est inutile, et prouve au mieux l’incompétence (et non l’incapacité) de la banque centrale qui ferait mieux de relancer l’endettement de l’économie.

La seule innovation de Scott Sumner que j’ai pu trouver et qui justifierait une nouvelle appellation de la théorie de Fisher-Friedman est le marché des futures sur le PIB nominal. C’est très technique, alors pour résumer afin de conclure un billet déjà long, il n’y a là qu’une technique élaborée d’assouplissement quantitatif décidé par les spéculations du marché ad hoc créé pour guider la banque centrale. Comme d’habitude, ça ne fonctionnera que dans la mesure où ces spéculations bénéficieront à des spéculateurs qui dépenseront ces revenus dans l’économie. Un paille, si le train de vie de Wall Street suffisait à rendre prospère tout les États-Unis, ça fait longtemps qu’on en aurait vu les effets… Toutefois, dans le cas de ce marché novateur, il se pourrait qu’il soit suffisamment hors contrôle pour que suffisamment de monde obtiennent suffisamment de bénéfices spéculatifs, pour que ce soit une sorte de croisement entre le revenu de base et Gordon Gecko, un revenu de base moyennant un peu de poker… Bien évidemment, l’accroissement de la base monétaire ne se traduira toujours pas en la si attendue flopée de nouveaux prêts ; comme le taux directeur en deviendra erratique, et que ce dernier a, lui, une influence sur le volume des prêts, il y aura une influence indirecte de cette politique sur le volume des prêts, mais qui sera erratique selon toute vraisemblance (l’objectif de croissance de 5 % a des chances d’être suffisamment au-dessus de la croissance des besoins des financiers en base monétaire pour que l’effet soit nul. Sinon, il y aura des sautes brutales au niveau du taux directeur de pénalité pour prêt d’urgence, et cela aussi souvent que le taux fixe de croissance garrotera les besoins de refinancement des banquiers…

Pour ceux qui veulent poursuivre, je recommande notamment cet article de L. R. Wray réfutant le monétarisme de marché et, lui aussi, Scott Sumner.

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La fausse bonne idée de la monnaie fondante

Lors de ce billet, nous analyserons une technique monétaire qui revient dans les débats monétaires de mois en mois tel un serpent de mer : la rémunération négative des dépôts. — Rappelons aux néophytes qu’afin d’empêcher le taux des prêts bancaires de descendre trop bas, la BCE et beaucoup d’autres banques centrales, rémunèrent les dépôts en leurs seins, ainsi il est plus intéressant de simplement garder son argent au sein de la banque centrale que de les prêter à un taux moindre. — Comme le rappelle le journaliste de La Tribune, cela fait des mois que la BCE se dit prête à le faire et l’agite afin de « prouver » qu’elle n’a pas épuisé ses munitions ; ainsi par la bouche de membres du Bureau Exécutif le 13 juin 2013 et déjà le 19 février 2012.

La déclaration par Yves Mersch du 13 juin 2013 est intéressante parce qu’elle est un aveu voilé de plusieurs échec. Le passage suivant en condense la quintessence :

La faiblesse de l’activité économique présente ou attendue est certainement un facteur important de la dynamique déprimant les prêts du secteur privé dans l’économie de la zone euro. Le besoin de se désendetter pour une série de banques, entreprises et ménages pèse aussi sur la dynamique de croissance. En plus de cela certains emprunteurs font toujours face à des coûts élevés de financement, qui diffèrent fortement à travers la zone euro. Bien que la fragmentation côté financier se soit atténuée, cela ne peut être dit de l’activité à l’économie réelle. […]
Aussi si « fragmentation » est le mot unique caractérisant la principale menace contre notre politique monétaire tournée vers la stabilisation, l’une de nos réponses les plus réussies peut être résumée en trois lettres : OMT. Elles sont les initiales de Outright Monetary Transactions (Transactions Monétaires Directes). Les OMT maintiennent la motivation des pays respectifs pour la consolidations et les nécessaires réformes structurelles. Cette capacité à « préserver les incitations » des OMT résulte tant des conditions que du fait de l’élimination de la composante « panique » excessive des écarts des rendements obligataires, les marchés de capitaux leur fonction de discipline en fixant les prix des dettes souveraines.

En clair, lorsque la tempête est arrivée en 2008, chaque système financier s’est raccroché à son État pour être sauvé, d’où une fragmentation énorme puisque sauver ses euros ne signifiait pas la même chose pour tout le monde (certains euros n’étaient qu’aussi bons que l’État grec, d’autre que l’État espagnol, d’autre l’État portugais, irlandais, allemand, etc.). Comme il a bien fallu constater l’échec du marché privé à stabiliser la zone euro (c’est normal, le crédit privé est passif : il amplifie tant l’euphorie que la panique et n’est donc pas moteur.). C’est donc à la banque centrale, c’est-à-dire l’État, de rattraper le marché privé qui plonge vers l’abîme ; la technique consiste toujours, dans les grandes lignes, à le surveiller comme du lait sur le feu et à monétiser à volonté ses actifs pour s’assurer qu’il solde ses comptes ainsi qu’à stopper, par saisie voire faillite, les institutions qui commenceraient à abuser et à dégénérer dans le Ponzi incontrôlable. Trois acteurs sont en présence : le secteur public, le secteur financier, et le secteur privé non-financier.
Le secteur financier obtint son LTRO, etc. de manière à pouvoir solder ses comptes. D’où sa « défragmentation » : tous les euros financiers se valent parce que la BCE se charge de les maintenir à parité, de convertir les uns en les autres en servant d’intermédiaire entre leurs prêts à tous.
Pour les États, ça se gâte : la BCE monétise aussi leurs dettes, via les OMT, qu’elle reconnait volontiers comme son outil le plus puissant en la matière, mais refuse de comprendre les stabilisateurs automatiques. Remarquons bien l’absurdité de la technique : au nom de la nécessaire pérennité des marchés en devise euro, la BCE décrète, d’autorité, que le taux d’intérêt de telle dette publique d’un État membre ne dépassera pas tel seuil, et monétise en conséquence comme toute bonne banque centrale standard, le chantage en devient grotesque : l’État doit faire de l’austérité non pas en raison des marchés financiers, mais en raison du degré de sadisme de la banque centrale qui n’existe que grâce à sa souveraineté (On a déjà vu de nombreux États dans l’histoire sans banque centrale, mais jamais de banque centrale sans État…) ! L’austérité est fonction du degré de « panique » (les guillemets sont d’origine) décidé par la BCE pour cet État. Ce qui nous mène directement au troisième secteur : le privé non-financier. Nous !
Alors que font-ils pour nous ? pour que nous ayons aussi les euros indispensables à notre fonctionnement qu’ils le sont au leur ? Rien. Si : ils nous coupent les vivre, par des conditions toujours plus restrictives de prêts (la « fragmentation » de « l’activité à l’économie »), et par l’austérité budgétaire de l’autre (les « conditions » de la BCE). C’est trop de générosité, non vraiment, merci. C’est exactement ce qui se passe au États-Unis aussi.

Cela devient encore un peu plus ironique lorsqu’il affirme que « l’inflation s’est établie à 1,4 % en mai. Notre définition de la stabilité des prix est un taux d’inflation positif inférieur à 2 pour cent. » En effet, comme on peut le voir sur le site officiel de la BCE, l’objectif officiel est un taux « inférieur mais proche de 2 % », donc, l’objectif de la BCE a été subrepticement assoupli par omission dans la déclaration d’Yves Mersch. Pire encore, durant toute cette année, l’inflation n’a cessé de dégringoler (graphique de gauche dans le lien précédent)… Le Titanic coule, que l’orchestre continue à jouer la musique. Ce n’est pas grave : il y a suffisamment de canots de sauvetages pour la finance, et le peuple en a même quelques uns pour y mettre un peu de son État et ainsi mieux accepter (« préserver les incitations ») de couler avec le gros des soutes du navire.

Quant à l’alternative de la rémunération négative des dépôts, Yves Mersch n’en glisse que « quelques mots », en substance qu’au lieu de détenir des crédits sur ses comptes à la banque centrale, on « basculerait simplement vers le liquide ». Je discuterai après la question d’étendre ce système au liquide, c’est-à-dire aux billets et pièces, eux-mêmes.

La déclaration par Benoît Cœuré du 19 février 2012 est aussi peu pertinent pour le présent problème des taux négatifs de rémunération des dépôts. Il affirme en effet qu’« il est probable que des taux d’intérêts significativement négatifs seraient requis pour déclencher un basculement des réserves vers l’investissement en billets. Donc, il semble y avoir une marge de manœuvre technique. ». En d’autres termes, si la BCE taxe les dépôts (c’est ça, une rémunération négative), les financiers préféreront « investir en billets ». Qu’ils choisissent les billets, c’est évident : ils ne sont pas taxés, mais qu’ils investissent plutôt que de les thésauriser comme leurs réserves (lignes de crédits sur un compte chez la banque centrale) auparavant, voilà qui nécessite explication pour ne pas seulement ressembler à de la pensée magique. Investir ? en quoi ? Des coffres-forts pour thésauriser cet énorme supplément de billets ? Oui, sans doute. Plus de gardiens et, allez, de la construction pour agrandir les entrepôts. C’est ça la munition secrète de la BCE pour relancer la vaste économie ?
Mais il y a pire, dans la précédente explication, nous avons supposé que les financiers accepteraient de convertir leurs réserves en billets. Cela n’est même pas sûr. C’est même improbable ! En effet, benoît Cœuré semble ne pas comprendre « le point le plus crucial du système », qui est pour la banque centrale, d’échanger à volonté ses devises contre de la dette, la dette publique tout particulièrement, et réciproquement, et ce à volonté, afin de fixer les taux d’intérêts à son objectif de taux directeur. Donc, le plus probable est que les financiers rééchangent tout simplement leurs réserves auprès de la banque centrale afin d’éviter d’avoir à payer le taux négatif. Ce qu’il faudrait, c’est vérifier sur un exemple concret d’application, Mersch comme Cœuré ne s’engageant que très peu en cette direction. C’est effectivement ce qui se passe avec par exemple la Suède en 2009 ! Je vous met directement l’extrait clé, c’est-à-dire le seul passage où le suédois parle des taux négatifs (Et nous comprenons déjà bien que ça n’en mériterait normalement pas plus. p. 5) :

Le 1er juillet 2009, la Riksbank [NdT : banque centrale suédoise] décida de réduire le taux repo [NdT : taux directeur] à 0,25 pour cent et de retenir un corridor [NdT : composé de deux taux directeurs, généralement distincts du taux directeur de référence, l’un plancher, l’autre plafond, pour prendre en tenaille les taux d’intérêt] de plus/moins 0,50 pour cent. Il s’ensuit un taux de rémunération des dépôts de moins 0,25 pour cent. Comme la Riksbank mène des opérations d’affinage [fine-tuning] tous les jours, seules de petites sommes restent à transférer sur les dépôts lorsque le système de paiement se ferme chaque jour. Le taux de rémunération négatif des dépôt donne aux banques une incitation supplémentaire à participer au processus d’affinage ou à se prêter la monnaie les unes aux autres si l’une d’elle a un déficit à la fin de la journée.

Mais Benoît Cœuré mentionne encore un autre cas, celui de la monnaie fondante, où même les billets sont grignotés par des intérêts à payer. C’est la monnaie fondante de Silvio Gesell, celui que mentionne le grand chartaliste John Maynard Keynes dans son célébrissime Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie : Afin d’inciter les gens à dépenser et à faire fonctionner l’activité plutôt que de thésauriser, même simplement détenir des billets ou des pièces vous coûtent. Vous consacrez une portion de vos billets à payer les intérêts de ceux qui vous restent : votre monnaie fond. Certains y voient la Terre promise.

Commençons tout de suite par supposer que la banque n’offre aucun substitut, encore moins à volonté, à un taux d’intérêt plus positif que son taux de fonte. Sinon, le taux de fonte ne sert qu’à inciter à échanger ses billets contre les actifs à ce taux, comme vu lors de l’exemple suédois. Donc, pas de quartier, tous les actifs financiers coûtent au minimum le taux de fonte. Que se passe-t-il ? Sommes-nous tirés enfin de notre marasme économique ?

La monnaie fondante effectivement détériorerait les finances de tout le monde, et il y aurait une fuite depuis la monnaie vers les biens réels. Pour éviter de saigner à blanc l’économie, il faudrait un déficit public régulier (une dépense nette en devise, de la part de l’État créateur de cette devise), pour ne serait-ce que compenser la fonte. La fonte réduirait le besoin de déficit public puisque ce dernier aurait moins d’épargne à financer. Mais en contrepartie, l’économie ne pourrait plus épargner, et serait incité à investir dans n’importe quoi (valeurs technologiques, immobilier, matières premières, etc.), de désespoir de voir son épargne disparaître avec le temps.
La monnaie fondante procède fondamentalement une attitude régressive : elle cherche à retourner au troc. Ne serait-ce que pour éviter la disparition complète de cette monnaie, il faudrait de réguliers déficits publics. Le système serait donc le suivant : on réduit quelque peu le besoin de déficit public en rendant difficile, impossible à terme, l’épargne des gens. Autant on peut accepter l’idée de taxer plus les revenus du capital, afin de défavoriser les rentiers, et même de procéder à un ISF, comme on le fait déjà, autant il semble déraisonnable de créer un ISF universel et d’amputer l’économie de cette source de financement de son épargne.
Ce serait en somme, une nouvelle manière détournée de s’orienter vers un Chypre généralisé, avec le succès que l’on sait. Ah ! l’increvable atavisme qui veut penser la monnaie comme du troc !

Il n’y a nul hasard à ce que Keynes, connaisseur de Gesell, ait préféré le déficit public, solution tellement plus élégante, à la fonte de la monnaie. N’en déplaise aux geselliens, les gens, en ce moment, ont clairement plus besoin qu’on leur facilite la vie plutôt qu’on leur rajoute des contraintes supplémentaires à affronter. L’intuition du journaliste de La Tribune est la bonne…

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Ils approchent de la solution

La nouvelle commence à se répandre sur internet : Jan in ‘t Veld, chef de l’analyse économique par modélisation, a publié un rapport sur les conséquences de l’austérité en Europe. Mes lecteurs savent ce que je pense de la modélisation économique : Elle n’est utile qu’à la marge est n’est qu’aussi bonne que ce qu’on met dedans, c’est-à-dire qu’elle est beaucoup plus l’accomplissement, le couronnement d’une analyse réussie qu’une méthode pour comprendre et analyser la réalité économique. Ce rapport tente de modéliser les effets des divers plans d’austérité sur la croissance des pays de la zone euro.

Je vous épargne les détails techniques et vais directement aux conclusions.

Les simulations présentées ici montrent que des effets de débordements de plusieurs consolidations simultanées dans tous les pays de la zone euro ont exacerbé la récession chez les pays vulnérables et sous programme. Tandis que les multiplicateurs d’impact sont entre 0,5 et 1, selon le degré d’ouverture, les débordements négatifs peuvent ajouter entre 1,5 et 2,5 spa aux effets négatifs sur la croissance.

Autrement dit, lorsqu’on enlevait un euro de budget public au nom de l’austérité, l’activité perdait en moyenne 0,5 euro à 1 euro directement, et en plus, elle réduisait l’activité des voisins de 1,5 à 2,5 euros en standard de pouvoir d’achat (pouvoir d’achat constant malgré les variations de prix en chaque pays). Ils approchent de la solution, au sein de la Commission européenne. En effet, tout néochartaliste sait que seul le déficit public finance en définit l’économie, mais qu’il y a deux moyens de pallier son manque : le crédit et le surplus extérieur, c’est-à-dire en soldant toujours plus de transactions par devise du déficit public, ou en les prenant à l’étranger. Jusqu’en 2008, les officiels nous vantaient le crédit bancaire. Jusqu’à maintenant, privés du crédit bancaire, ils s’étaient mis à vanter les surplus commerciaux, à l’allemande. Maintenant qu’ils sont bien obligés de « découvrir » que ça aussi ne peut au plus que pallier le manque de déficit public, mais certainement pas le guérir, il ne leur reste plus qu’à l’admettre et l’embrasser, ce déficit public ! Cette fois, ils semblent avoir compris, ils n’ont plus qu’à conclure.

L’impact sur le PIB serait beaucoup plus faible si la crédibilité était atteinte plus tôt, à l’opposé de l’apprentissage graduel dans ces scénarios, mais les effets seraient encore plus grands si les consolidations avaient été plus orientées vers des mesures sur les dépenses.

Espoirs douchés. Pour Jan in ‘t Veld, si l’austérité amène la récession, c’est qu’elle dépend de la crédibilité, c’est-à-dire des marchés. Or, la crédibilité, c’est la banque centrale qui seule peut s’en charger, aussi bien dans tous les pays souverains qu’au sein de la zone euro. Autre point : il est plus nocif encore pour la croissance de réduire les dépenses, dernière ressources des plus pauvres, que d’accroître les impôts, qui se traduira pour partie par moins de consommation et donc d’activité, mais aussi moins d’épargne. Un détail puisque l’austérité finira par éliminer toute activité, il suffit de taxer jusqu’à rembourser la dette publique pour cela.

La découverte de larges effets négatifs sur la production et de débordements négatifs substantiels n’implique évidemment pas que les consolidations fiscales auraient dû être évitées. Les pays fortement endettés font face à la pression des marchés financiers, ou dans certains cas, ont complètement perdu l’accès aux marchés, et un rythme plus lent de consolidation aurait pu créer des paniques générales de défauts souverains. De telles anticipations de défaut pourraient mener à des résultats de croissance pires que la consolidation elle-même (Corsetti et al. (2012), Roeger et in ‘t Veld (2013)).
La question cruciale est celle du rythme approprié pour les consolidations.

Espoirs déçus. Certes, certes, je joue la comédie, un peu voire beaucoup, et je savais que les libéraux ne manqueraient pas d’être fidèles à leurs désastres habituels. Toutefois, après avoir remarqué que la croissance disparaissait avec l’austérité, et que le rythme de l’austérité ne change à peu près rien, tout ce qu’ils concluent, c’est qu’il doit bien y avoir un bon moment dans tout cela pour appliquer leur austérité. Je leur réponds que n’importe quel moment peut être jugé bon pour de l’austérité, et que l’austérité se chargera de le rendre mauvais a posteriori.
Alors, il n’y a aucun espoir qu’ils ne comprennent sans prendre le temps de lire intégralement un ouvrage de néochartalisme ?

Les effets négatifs par débordement des consolidations dans les pays de surplus soulèvent la question de savoir si un stimulus temporaire des pays notés AAA pourrait aider le processus de rééquilibrage dans la zone euro. Bien que l’impact sur les balances courantes est modeste et qu’il n’est clairement pas un substitut à des réformes dans les pays en déficit, cela soutiendrait la croissance dans les pays du cœur et les débordements vers la périphérie faciliterait leur ajustement.

Ah si. Un petit espoir : la question de la relance fiscale n’est pas complètement oblitérée : Ce serait quand même bien de pouvoir en faire, se dit-on. Mais ce n’est vraiment qu’une suggestion finale, et non la fin du dogme de l’austérité comme le croient beaucoup. Chez les officiels, on se cramponne à la doctrine officielle, et on en reconnait pas son échec, au plus la ausi-impossibilité d’un mieux, n’en déplaise au journaliste de l’Humanité…

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Je ne sais pas ce que signifie « une bulle » (Eugène Fama, Nobel d’économie 2013)

Dans mon livre, je cite John Cochrane, professeur à l’Université de Chicago (l’École de Milton Friedman), déniant la possibilité d’une bulle, dans un entretien accordé à John Cassidy pour le New Yorker. Or, dans cet entretien-ci, c’est Eugene Fama, l’un des Nobels d’économie 2013, qui nous livre ce genre de perles que je vous traduis et commente. De quoi prendre le pouls de la pensée économique néolibérale six ans après la crise de 2007 (ou trois ans seulement pour le présent entretien, mais je n’ai trouvé échos d’aucune rétractation de sa part, encore moins une rétractation ayant justifié l’attribution du Nobel…). Le degré de confusion, de légèreté et d’incompétence fait peur.

Beaucoup de personnes expliquerait que, dans ce cas, l’inefficience était avant tout celle des marchés du crédit, pas des marchés d’actions — qu’il y avait une bulle de crédit qui a gonflé et a fini par éclater.
Je ne sais même pas ce que ça signifie. Les crédits que les gens obtiennent doivent bien venir de quelque part. Est-ce qu’une bulle de crédit signifie que les gens épargnent trop pendant cette période ? Je ne sais pas ce qu’une bulle de crédit signifie. Je ne sais même pas ce qu’une bulle signifie. Ces mots sont devenus populaires. Je ne pense pas qu’ils aient le moindre sens.

Je suppose que la plupart des gens définirait une bulle comme une longue période pendant laquelle les prix des actifs s’éloignent très significativement des fondamentaux économiques.
C’est ce que je pense que ce serait, mais ça signifie que quelqu’un a dû faire beaucoup d’argent en pariant sur cela, si vous pouvez l’identifier. C’est facile de dire que les prix ont baissé, qu’il a dû y avoir une bulle, après coup. Je pense que la plupart des bulles sont des illusions rétrospectives. Maintenant après les faits vous trouvez toujours des gens qui ont dit avant le fait que les prix sont trop élevés. Les gens disent toujours que les prix sont trop élevés. Quand il apparait qu’ils ont raison, nous les bénissons. Lorsqu’il apparait qu’ils ont tort, nous les ignorons. Ils ont typiquement raison et tort environ la moitié du temps.

Êtes-vous en train de dire que les bulles ne peuvent pas exister ?
Elles doivent être des phénomènes prédictibles. Je ne pense pas que quoi que ce soit de tout cela n’était particulièrement prédictible. […]

Alors quelle est votre explication de ce qui est arrivé ?
Ce qui est arrivé est que nous sommes passés au travers d’une grosse récession, les gens n’ont pas pu rembourser leurs hypothèques, et, bien sûr, ceux avec les hypothèques les plus risquées étaient ceux qui ne seraient le plus probablement pas capables de le faire. En conséquence, nous avons eu une soi-disant crise du crédit hypothécaire. Ce n’était pas réellement une crise du crédit. C’était une crise économique.

Mais le début de la crise du crédit a certainement précédé la récession ?
Je ne le pense pas. Comment aurait-elle pu ? Les gens ne partent pas de leurs maisons à moins qu’ils ne puissent plus payer. C’est une indication que nous sommes dans une récession.

Donc vous dites que la récession précède août 2007, lorsque le marché des obligations subprimes avait gelé ?
Ouais. C’était obligé, obligé d’apparaitre parmi les gens qui ont des hypothèques. Personne ne faisant de la recherche sur les hypothèques — nous en avons beaucoup ici — n’est en désaccord avec ça.

Alors qu’est-ce qui a causé la récession si ce n’était pas la crise financière ?
(Rires) C’est à ça que la pensée économique se casse toujours les dents. Nous ne savons pas ce qui cause les récessions. Maintenant, je ne suis pas un macroéconomiste donc je ne m’en porte pas plus mal. (Rires à nouveau) Nous ne l’avons jamais su. Les débats continuent jusqu’à aujourd’hui sur ce qui avait causé la Grande Dépression. La science économique n’est pas très bonne pour expliquer les oscillations de l’activité économique. […]

Mais qu’il y a-t-il derrière cette volatilité ?
(Rires) À nouveau, c’est l’activité économique, la partie que nous ne comprenons pas. Aussi le fait que nous ne la comprenons pas signifie qu’il y a beaucoup d’incertitudes sur combien la situation est mauvaise réellement. Ça crée toute sorte de volatilité des prix financiers, et les obligations ne sont plus une forme viable de financement.

Tout cela est cohérent avec l’hypothèse d’efficience des marchés ?
Oui. C’est exactement ainsi qu’on s’attend à ce que les marchés fonctionnent. […]

Il y avait quelques personnes autour de nous qui disaient que c’était une bulle insoutenable…
Exact. Par exemple, Robert (Schiller) le dit depuis 1996.

Oui, mais il a aussi dit en 2004 et 2005 que c’était une bulle immobilière.
O.K., correct. Voici une question pour retourner cela. Pouvez-vous avoir une bulle sur tous les marchés d’actifs au même moment ? Est-ce que ça a le moindre sens ? Peut-être dans la vision du monde de l’esprit de quelqu’un, mais j’ai un réel problème avec ça. […]

Des gens peuvent dire qu’une des grandes leçons de cette crise est que la théorie de Modigliani-Miller ne tient pas. Dans ce cas, la manière dont les choses sont financées importe. Les gens et les firmes ont trop de dettes.
Bien, dans le monde de Modigliani-Miller il n’y a aucun coût de transaction. Mais les grosses faillites ont des coûts de transactions, tandis que si vous avez une structure de capital moins endettée à crédit levered »] vous ne faites pas faillite. L’effet de levier est un problème…

L’expérience que nous n’avons jamais mené est, supposons que le gouvernement se retire et laisse ces institutions faillir. Combien de temps cela aurait-il pris de tout démêler et de trouver une solution ? Je suppose que nous parlons d’une semaine ou deux. Mais les problèmes générés par l’action gouvernementale — ceux-là resteront avec nous durant l’avenir prévisible. Maintenant, peut-être qu’il aurait été terrible que le gouvernement n’intervienne pas, mais nous ne le saurons jamais. Je pense que nous aurions pu résoudre cela en une semaine ou deux.

Donc vous les auriez simplement laissés…
Les laisser faire tous faillite. (Rires)

Récapitulons les propos de notre Nobel d’économie.
Dans sa « vision du monde de son esprit », Eugene Fama est incapable de remettre en cause le Marché : Même si on lui prédit la crise, il s’en moque, comme de Robert Schiller qui était en avance tant pour la bulle internet que pour la bulle des subprimes. Il se moque du FBI qui avertissait d’une « épidémie de fraudes subprimes dès 2004. Il est incapable de comprendre l’existence de grosses bulles simultanées comme l’ont fait White et Master, c’est-à-dire incapable de penser une économie ayant globalement dérivé en bulle comme l’ont fait Minsky ou Keynes. Il voit le problème — il dit lui-même que la qualité des structures financières se dégradait lors d’une récession et qu’il fallait donc moins investir (ce qui précipite une récession… le serpent se mord la queue) — il voit les conséquences, en terme de crise économique. Mais il se refuse à toucher une économie qu’il dit être incapable de comprendre (et au passage il fait silence sur toute la pensée hétérodoxe qui a bien mieux réussi, excellemment pour certains, à expliquer les phénomènes de bulles, de récession et de dépression), comme si l’inconnu du Marché, et lui seul, était nécessairement bon, bienveillant et merveilleux. Il est parfaitement ravi par le fonctionnement du marché même si cela entraîne une faillite généralisée. Et il est pour. Parce qu’il croit que la faillite se résorbe en une semaine ou deux. Sauvée par on ne sait quels investisseurs non en faillite suffisamment courageux pour ne pas écouter son conseil précédent de moins investir en cas de gros temps économique. Bien évidemment, il ne comprend pas ce qui a causé la Grande Dépression des années 1930. Ni que ses préconisations en assureraient une nouvelle. Et de tout cela il rit. Beaucoup. Eugene Fama, l’imbécile heureux, à l’influence dévastatrice (il fut beaucoup invoqué pour justifier les dérégulations).

Même son explication de récession précédant et créant la crise financière ne tient pas (pourtant, c’était son argument le plus construit). Voici un graphique indiquant en rouge le taux de défaut sur les hypothèques américaines, et en vert la croissance d’un trimestre à l’autre du PIB nominal.

Défauts hypothécaires américains

Le graphique s’étale sur toute la durée disponible pour la série concernant le taux de défaut. Nous pouvons comparer deux récessions. Celle suivant la bulle internet en 2001, et celles des prêts hypothécaires subprimes à partir de mi-2007. Remarquons qu’en 2001, la bulle porte sur le marché des actions (en particulier le Nasdaq), et que c’est à peine si le taux de défaut augmente, et il est encore très loin de ce qu’il était en 1991. En revanche, pour la crise des subprimes, la courbe n’a pas du tout la même allure : avant l’entrée officielle en récession le taux de défaut a retrouvé son niveau de 1991 très rapidement, et il n’attend pas une croissance nulle ou négative du PIB pour monter. Il semble que ce soit effectivement à partir de 2004 que la courbe rouge des défauts reprend son ascension, avec l’« épidémie » de fraudes, puis elle accélère lorsque cette croissance se réduit à environ 1 % en 2006.
Non seulement ça ne cadre pas avec l’explication d’Eugene Fama selon laquelle les récessions précèdent et génèrent les défauts hypothécaires, mais cela cadre parfaitement avec la thèse traditionnelle entre autre des keynésiens (qui ont fait leur fortune en expliquant la Grande Dépression…) d’une structure financière initialement robuste mais qui se fragilise progressivement à mesure que l’endettement s’accroit et que les crédits servent à payer les crédits. Comme sur un bas filé, la seconde récession accélère prodigieusement (le taux en rouge quadruple entre son plancher pré-crise et son pic de crise) le déchirement d’un tissu économique déjà trop fragilisé. Inutile de contracter le PIB, une simple décélération suffit, là ou une croissance nulle n’y suffisait toujours pas).

Bref, comme le dit Michael Burry, pour aider Fama à « identifier » un parieur qui a beaucoup gagné (quoique presque malgré ses investisseurs qui le croyaient fou, et sont restés ingrats même après coup.), dans Le Casse du siècle (p. 247, Lewis Michael, édition Sonatine, 2010, 321 p.) : « Vous pouviez voir que tous ces contrats étaient à bout de souffle à mesure que la date de révision du taux d’intérêt approchait et le nouveau taux n’a fait qu’accroître l’étendue de la débâcle. J’étais dans un état d’incrédulité permanent. J’aurais cru que quelqu’un verrait ce qui allait se passer avant juin 2007. S’il a vraiment fallu attendre le rapport des remboursements de juin pour qu’ils comprennent soudain, eh bien, ça me pousse à me demander ce que les soi-disant analystes de Wal Street font de leurs journées. ». Passage qui traduit très bien à quel point le jeu pervers de l’anticipation réciproque propre à la spéculation financière peut avoir comme puissance hallucinogène, comme capacité à générer des bulles, qui sont à bien des égards la matière première de la haute finance. Ajoutons encore que Michael Burry est un autiste léger, qui est devenu monomaniaque des guitares après avoir été dégoûté de l’être concernant les prêts hypothécaires et leurs produits financiers dérivés. Cela pose de profondes questions sur qui est autiste et qui ne l’est pas…

Voici encore quelques perles nous en disant plus sur l’esprit de Chicago, sur Eugène Fama que le Comité Nobel a voulu mettre à l’honneur.

J’ai parlé à Becker. Son point de vue est que ce qui reste caractéristique de Chicago est son degré de scepticisme contre le gouvernement.
Exact — c’est vrai même de Dick (Thaler). Je pense que c’est seulement une attitude rationnelle. (Rires) Ça prend du temps aux gens pour réaliser que les officiels gouvernementaux sont des individus égoïstes, et que l’implication gouvernementale dans l’activité économique est particulièrement pernicieuse parce que le gouvernement ne peut pas faillir. Les revenus doivent couvrir les coûts — le gouvernement n’est pas sujet à cette contrainte. […]

Et Larry Summers?
Quelle autre position pouvait-il prendre en gardant son poste ? Et il aime le poste. […]

Quelles leçons avez-vous apprises de ce qui est arrivé ?
Eh bien, je pense que la chose qui donne le plus à penser que les économistes se sont peut-être, comme la population dans son ensemble, pris à croire que des évènements aussi énormes ne pourraient plus survenir — qu’une récession aussi grosse ne pourrait plus advenir. Il y aura beaucoup de travail pour essayer de comprendre ce qui est arrivé et pourquoi c’est arrivé, mais nous avons fait cela avec la Grande Dépression depuis qu’elle advint, et nous n’avons pas réellement trouvé le fond de l’affaire. Aussi je n’ai pas l’intention de poursuivre ce but. J’ai fait de la macroéconomie, mais je (l’)ai abandonné il y a longtemps. […]

Donc vous pensez aussi toujours que le marché est extrêmement efficient globalement ?
Oui. Et si ça ne l’était pas, il serait impossible de le dire.

Pour le profane, les gens qui n’en savent pas beaucoup concernant la théorie économique, est-ce l’idée fondamentale de l’hypothèse d’efficience des marchés — qu’on ne peut pas battre le marché ?
Exact — c’est l’idée en pratique. Quelles que soient les recherches qui sont menées, celle-là a toujours l’air bonne.

Il est pathétique de constater qu’Eugène Fama ne se porte pas plus mal que la pensée macroéconomique libérale soit aussi extrêmement indigente simplement parce qu’il a jeté l’éponge, qu’il a cessé d’essayer de résoudre ce problème crucial. Mais Fama aurait-il gardé son poste dans son Université où toutes les recherches concluent à l’indépassabilité des marchés ? Et Fama aime son poste. Peut-être devrait-il songer que cette philosophie utilitariste est trop étriquée pour tout expliquer ?

Je vois dans tout cela le point d’orgue de la pensée libérale, ce qui a fini par attribuer le Nobel à Fama : la prétendue impossibilité de surpasser le marché. Notons encore que le Nobel d’économie fut aussi attribué en 2013 à Robert Schiller, qui a démonté cette hypothèse d’efficience des marchés si chère à Eugène Fama. Ce n’est pas la première fois que le comité Nobel d’économie est embarrassé et cherche à ménager la chèvre et le chou pour s’en sortir, et il leur fallait laisser passer au minimum la crise des subprimes avant de récompenser par le Prix suprême un néolibéral aussi important que Fama

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La lenteur de la circulation de la monnaie

Suite au billet sur le non-multiplicateur monétaire, à un autre élément fondamental dans la théorie monétariste (dans sa version ciblage d’inflation pour être précis, il semble que la Fed et la Banque d’Angleterre se dirigent vers le market monetarism, encore une autre version, tandis que la BCE se dirige vers le néant) qui est censée présider pour le meilleur à nos destinés. Petit rappel :

Friedman a tenté, et largement réussi, de réhabiliter la théorie quantitative de la monnaie, qui remonterait jusqu’à Copernic, et qui est résumé par l’équation suivante, beaucoup plus tardive et due à Irving Fischer :

M.V = P.T

Avec M, la quantité de monnaie (dont de nombreux crédits) en circulation, P le niveau général des prix, T le nombre de transactions effectuées par l’économie et V, la vitesse de circulation de la monnaie. Cette équation nous dit que sont égaux les deux produits suivants : d’une part, le nombre de transactions multiplié par la valeur moyenne de ces transactions, et d’autre part, la masse des moyens de paiements (cash ou différés voire compensés via le crédit) multiplié par leur « vitesse de circulation ».
Ainsi définie, la relation ne peut pas être prise en défaut. Pas plus que si l’on décide de (sur)nommer quelque chose d’une certaine manière. Sauf que, de même qu’un surnom peut se perdre à force de ne se rattacher à rien de vivace, de même c’est à partir du moment où on essaie d’utiliser cette équation que les choses se gâtent.

P et T sont encore aisément traitables : il suffit de calculer la somme de toutes les ventes pour avoir le même produit P.T. En statistique habituelle, P.T s’appelle le PIB.

M et V sont beaucoup plus problématiques. Le multiplicateur monétaire M n’est pas fiable, comme nous l’avons vu, car il peut varier au point de ne plus rien multiplier. Il est simplement plaqué sur le réel, mais le réel en-dessous est trop mouvant pour que M puisse être parfaitement contrôlé par la banque centrale. En particulier, si le désir de faire de nouveaux crédits n’est plus là, alors il ne sert à rien de rajouter de la « base monétaire » (des devises nationales, du liquide, en clair) à ces crédits imaginaires.

Un problème d’autant plus épineux que le contrôle de la masse monétaire est nécessaire pour pouvoir compenser V. Petite citation de M. Friedman sur l’incapacité de V à stabiliser une crise monétaire :

la vitesse tend à augmenter durant la phase d’expansion du cycle et à baisser durant la phase de contraction.

Friedman Milton, Schwartz Anna Jacobson, The Great Contraction, Princeton University Press, 1965 (1963), 150 p., p. 6

Ou pour le dire simplement : la vitesse de circulation de la monnaie ne stabilise pas l’économie mais au contraire amplifie ses mouvements, tant à la baisse qu’à la hausse. Autrement dit, selon les monétaristes eux-mêmes, il est d’autant plus nécessaire de maîtriser la masse monétaire que la vitesse de la monnaie ne fera qu’amplifier le problème.

Voici les séries utilisées pour calculer « la vitesse de la monnaie » :

Agrégats Monétaires et PIB aux États-Unis

Le calcul de la vitesse de la monnaie est très simple et consiste à diviser le PIB par l’agrégat monétaire considéré. On peut voir en effet le PIB comme une somme de transactions réalisables plus ou moins à crédit. Bien que la Fed de St Louis ne fournisse pas de vitesse de la monnaie pour la base monétaire, je l’ai calculé avec la même méthode qu’elle utilise pour les autres :

Vitesse de la Monnaie aux États-Unis

Plusieurs observations : Plus on s’approche de ce que la banque centrale contrôle (la base monétaire), plus le lien entre PIB et l’agrégat est volatile, au point que le ratio varie de 1 à presque 4 pour la vitesse de la base monétaire (courbe accidentée). À l’inverse, plus on s’éloigne de ce que la banque centrale contrôle, en faveur d’un agrégat exhaustif de tous les crédits possibles, plus la tendance globale est stable, comme la vitesse de M2 qui varie de 1 à 1,4 seulement (courbe très lisse et horizontale). Ces faits confortent la thèse affirmant que la banque centrale accommode l’économie et la module beaucoup plus qu’elle ne la dirige.

Une autre observation est la frappante similitude entre la vitesse de la base monétaire et le multiplicateur monétaire. Dans les années 1980, les deux ratios oscillent à la baisse, puis diminuent avant un brutal effondrement avec la crise de 2008, et la massive injection de devises pour sauver les banques. Alors que chaque dollar pouvait solder jusqu’à 21 dollars de PIB à crédit, il n’y en a même plus 6 de soldés actuellement. La vitesse de M1 est très similaire aussi, quoique sa masse diminue l’amplitude du ratio et donc de ses variations.

La vitesse de M2 diffère nettement. Durant les années 1990, sensiblement plus de crédits pour le PIB sont soldés par dollar de crédit M2 détenu par les banques. Mais cette lente « accélération » des crédits M2 est stoppée par la récession de 2001, et stagne jusqu’au décrochage léger de 2008. Depuis, le ratio s’érode lentement, au point de finir sur son plus bas niveau historique actuellement. Donc, même pour les crédits M2, la banque centrale est confrontée à un problème de thésaurisation : les gens ont de moins en moins envie de risquer leurs économies dans le marché actuel, et préfèrent se constituer un matelas sécurisant. Pour financer la croissance des États-Unis, il faut financer d’abord financer ce désir d’épargne, sans quoi le PIB n’augmente pas. Nul mystère que dans ces conditions, les États-Unis soient capables de maintenir des déficits fédéraux records depuis l’après-guerre tout en ayant une inflation habituelle. (Une autre raison en est la persistance d’un déficit extérieur)

Remarquons pour finir que les concepts de multiplicateurs monétaires et de vitesse de circulation de la monnaie, si distincts dans les esprits monétaristes, se révèlent extrêmement proches tant dans leur traitement pratique, statistique, que dans leur comportement observé. Cela n’étonne nullement un esprit néochartaliste, qui voit le financement de l’économie avant tout assuré par la présence d’actifs nets (en clair, les devises données par un déficit public), et qui estime les crédits comme ne faisant essentiellement que profiter et amplifier la tendance créée par ces actifs nets, la banque centrale modulant seulement ces amplifications par ses taux directeurs. Le privé est toujours confronté au même problème : ses actifs ne sont pas nets, c’est-à-dire qu’ils sont créés avec un passif correspondant, et que la somme de ces opérations monétaires est toujours de zéro. Le privé ne résout pas un problème d’endettement, il le déplace. Ce qui ressemble le plus à un problème d’endettement est le paiement du crédit qui fait disparaître et le passif et l’actif, laissant intact le problème du financement…

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