Excellent blog du professeur William Mitchell sur le concept de « stagnation séculaire », le dernier concept néolibéral à la mode pour expliquer pourquoi même avec un résultat calamiteux de croissance nulle et de chômage de masse le néolibéralisme aurait raison. Malheureusement, ce concept est promis à un bel avenir parmi nos élites sociologiques (selon la distinction d’Arnold Toynbee) car le monde s’approche de plus en plus clairement de sa prochaine phase aiguë de crise, et que les élites actuelles appartiennent toujours au même courant libéral. Bonne lecture.
L’année dernière, le concept de stagnation séculaire fut réintroduit dans le lexique économique comme manière d’expliquer le manque de croissance des pays avancés. Apparemment, nous ferions face pour longtemps à un avenir de faible croissance et de chômage élevé et il n’y aurait pas grand chose que nous pourrions y faire. Il semble à présent que de plus en plus de commentateurs et d’économistes sautent dans ce train au point que le concept est dit « envahir la science économique » — cf. Stagnation séculaire : l’effrayante théorie économique qui envahit la science économique. Le soucis est qu’il est apparu dans le débat économique à la fin des années 1930 alors que les économies étaient encore dans la stagnation de la Grande Dépression. Aujourd’hui comme alors l’hypothèse est un pétard mouillé. Le problème des années 1930 fut spectaculairement surmonté par le début de la Seconde Guerre Mondiale lorsque les gouvernements des deux camps augmentèrent leurs dépenses nettes (déficits fiscaux) énormément. [NdT : Bien que ce soit globalement exact, il ne faut pas en déduire que les dépenses de guerre ne dominent l’économie. Dans le cas des États-Unis, la production dépassa son record avant la production de guerre, l’Allemagne parvint à relancer son économie très tôt, dès les déficits publics de 1933, et avant là encore les dépenses de guerre hégémoniques comme l’illustrent les autoroutes dont beaucoup sont encore actives aujourd’hui ou les Volkswagen…] L’engagement pour le plein emploi en temps de paix qui suivit maintint la croissance et la prospérité pour des décennies jusqu’à ce que les boutiquiers néolibéraux redeviennent dominants et commencèrent leur attaque contre l’activisme fiscal. Le remède contre la croissance molle et le chômage important aujourd’hui est le même qu’alors — les déficits gouvernementaux sont beaucoup trop petits.
Qu’est la stagnation séculaire exactement ? Certains croient que cela désigne la réponse du potentiel de production à une récession, où les entreprises arrêtent d’investir dans de nouvelles capacité productives tandis que leurs ventes chutent, et le manque d’investissement clairement mine la croissance future possible pour l’économie. J’ai écrit sur ça dans plusieurs billets — tout récemment — La myopie du néolibéralisme et du FMI est maintenant évidente pour tout le monde.
Ainsi c’est une situation où l’offre globale potentielle se contracte à cause d’un déclin prolongé de la dépense globale et l’économie s’atrophie du point de vue de sa capacité à croître.
D’autres déclarent que ce qui entraîne la stagnation de la croissance économique n’est pas tant une réponse de l’offre (diminution des capacités) qu’une réponse qui dure et s’aggrave de la demande globale (dépense). Les exemples cités sont un déclin de la population en âge de travailler, qui prétendûment sape la dépense et laisse l’économie « en manque persistant de demande » (cf Paul Krugman, Ce que la stagnation séculaire n’est pas – 24 Octobre 2014).
En mars 1939, l’économiste keynésien Alvin Hansen a publié un article – Le progrès économique et le déclin de la croissance économique – le lien vous emmène sur JSTOR si vous y avez accès. Il fut publié dans la Revue Économique Américaine, vol. 29, n° 1, p.1-15.
Hansen s’inquiétait du déclin de la croissance de la population américaine aux États-Unis dans les années 1930, dont il notait qu’elle marquait la fin de la croissance rapide des 25 années précédant la Grande Dépression.
Il répugnait à accepter l’idée avancée par les malthusiens selon laquelle un ralentissement de la croissance de la population serait bénéfique parce qu’elle pallierait la rareté des ressources.
Au lieu de cela, concédant une part de vérité à l’argument, Hansen dit :
… ce serait un optimisme injustifié que dénier les implicites du puissant tournant actuel depuis une expansion rapide vers l’arrêt de la croissance de la population, les sérieux non-ajustements structurels qui ne peuvent être empêchés ou mitigés que si des politiques économiques appropriées à la nouvelle situation sont appliquées.
Son principal argument est qu’un ralentissement de la croissance de la population réduirait le champ pour l’« élargissement » du marché et réduirait l’« inventivité », qui, à son tour, réduirait « la production de richesse ».
La croissance entraîne la croissance et la rareté des ressources est repoussée par de nouvelles découvertes et inventions. C’est pourquoi il considérait les arguments de David Ricardo et Thomas Malthus durant le 19ème siècle concernant les problèmes d’un excès de population comme inutilement pessimistes.
Il écrivait alors qu’il considérait que « le principal problème de notre temps … est le problème du plein emploi » ou son manque. Il considérait que la Grande Dépression avait engendré « le problème du plein emploi de nos ressources productives du point de vue de long-terme, séculaire », ce qui requerrait une compréhension de pourquoi les économies :
tendent à rendre les reprises faibles et anémiques et cela tend à prolonger et approfondir le cours des dépressions. C’est l’essence des reprises malades de la stagnation séculaire qui meurent dans leur enfance et des dépressions qui se nourrissent d’elles-mêmes et laissent un noyau dur et apparemment immuable de chômage.
Et ainsi le terme de stagnation séculaire était né.
Son attention se portait sur la formation de capital (investissement dans les capacités productives) et le rôle qu’elle jouait pour sécuriser la hausse du revenu national avec « le plein emploi des ressources et donc le plus haut revenu possible au niveau de développement technologique du moment. »
De larges dépenses d’investissement étaient jugées nécessaires à une croissance soutenue « afin de combler le fossé entre les dépenses de consommation et le niveau de revenu qui pourrait être atteint si tous les facteurs de productions étaient employés. »
Bien sûr, l’investissement peut être privé et/ou public. Le point est que si les consommateurs ne veulent pas dépenser tout leur revenu (et que le secteur extérieur ne comble pas la différence), alors la dépense d’investissement doit être suffisante pour compléter le manque. Sinon, les ventes seront moindres qu’attendues et la production déclinera et le chômage augmentera.
Il ne croyait pas que la solution à la stagnation viendrait d’une baisse des taux d’intérêt, qui est la croyance de la plupart des gens.
Il a clairement affirmé que :
Je m’avance jusqu’à dire que le rôle du taux d’intérêt comme déterminant de l’investissement a occupé un rôle plus grand qu’il ne mérite dans notre pensée.
L’idée est que les entreprises n’investiront pas dans de nouvelles capacités de production aussi bon marché soient les fonds pour ces investissements si elles ne s’attendent pas à pouvoir vendre la production supplémentaire.
La banque centrale peut diriger les taux d’intérêt à la baisse à des niveaux bas où les entreprises n’emprunteront toujours pas ni ne dépenseront. Les similarités avec la situation actuelle sont fortes.
La dépendance à la politique monétaire pour sortir les économies avancées de la crise était mal choisie et reflétait une faible compréhension de ce qui dirige la croissance du revenu national. Hansen savait clairement cela en 1939 comme beaucoup d’économistes keynésiens.
C’étaient les économistes classiques/néoclassiques qui étaient incapables de laisser s’en aller la doctrine des fonds prêtables, qui dit que l’épargne et l’investissement sont équilibrés par des ajustements du taux d’intérêt. Ainsi lorsque les consommateurs ne veulent pas dépenser ils doivent épargner et le supplément de dépense peut provenir de l’investissement si les taux d’intérêts baissent.
La doctrine des fonds prêtables demeure une partie centrale de la théorie économique néolibérale dominante et est fausse jusque dans ses fondements.
En rapportant tout cela à la croissance de la population, Hansen explique qu’un taux de croissance déclinant et par là-même une population vieillissante redéploie la demande des consommateurs depuis, disons, le logement, vers les services à la personne. Le premier « exige de fortes dépenses de capital, tandis que la demande pour les services à la personne peuvent être satisfaits sans de grosses dépenses d’investissements. »
En d’autres termes :
… une évolution d’une population croissant rapidement puis stagnante ou déclinante peut altérer la composition du flux final de la consommation des biens et le ratio de capital par rapport à la production dans leur ensemble tend à décliner.
Aussi sans un développement technologique rapide qui engendre de nouveaux investissements, Hansen croit que le système capitaliste trouverait difficile de maintenir le plein emploi tandis que la croissance de la population baisserait.
L’économie stagnerait avec d’inadéquate dépense d’investissement. En ce sens, il s’oppose à l’idée que la technologie crée le chômage. En effet, il argue fermement que l’innovation éperonne les dépenses d’investissement, ce qui permet à la croissance économique de persister.
Il pensait que le « problème de notre génération est, avant tout, le problème des débouchés pour l’investissement privé. Ce dont nous avons besoin n’est pas un ralentissement du progrès de la science et de la technologie, mais une accélération de ce taux. »
Son idée — cohérente avec les penchants keynésiens — était que le système du marché laissé à lui-même stagnerait et qu’aucune force du marché ne soutiendrait une correction. Keynes avait clairement démontré la capacité et la propension du système capitaliste à s’enliser dans des états stables (où il n’y a pas de forces de changement) qui donnent un chômage de masse élevé et persistant.
Keynes montra que dans ces cas-là la seule solution est une dépense extérieure (au marché) à injecter dans l’économie — c’est-à-dire que la dépense du gouvernement, qui relancerait l’économie privée.
Et c’est exactement ce qui arriva lorsque, environ, Hansen promut l’idée d’une stagnation séculaire en 1939.
Le pessimisme ou les inquiétudes de Hansen quant à la dérive de l’économie de marché vers la stagnation séculaire furent résolus dans l’année par le début de la Seconde Guerre Mondiale et les dépenses de guerres afférentes.
Il savait parfaitement (dans son article) que « des dépenses gouvernementales perpétuelles jusqu’au point de plein emploi » était possible mais risquait l’inflation si la croissance était poussée au-delà des capacités de l’économie à absorber l’excédent de dépense. Il reconnaissait que le même argument (sur les dangers de l’inflation) « pourrait être pointé tout autant contre l’investissement privé une fois que la limite supérieure de danger est franchie. »
La dépense publique massive associée à l’effort de guerre — d’abord en Allemagne et un peu plus tard dans les nations alliées, mit un terme à la Grande Dépression par un boum (désolé).
Et comme Matthew Yglesias le note dans son article — Stagnation séculaire : l’effrayante théorie économique qui envahit la science économique – les idées de stagnation séculaire furent oubliées après la guerre. Pourquoi ? Il n’a pas développé.
Mais la réponse est que les pays avancés comprirent qu’elles pouvaient maintenir le plein emploi en temps de paix en assurant des déficits gouvernementaux suffisant pour financer le désir d’épargne de l’ensemble du secteur non-gouvernemental (c’est-à-dire de ne pas dépenser tout son revenu).
Hanse n’avait également pas prévu le retour à une plus robuste croissance de la population après la guerre. Mais les économistes d’alors comprirent clairement que la croissance économique pourrait être maintenue par des interventions appropriées de politique fiscale.
Rien n’a changé de ce point de vue pourtant les économistes parlent maintenant de la stagnation séculaire comme si c’était quelque chose qu’on ne peut espérer guérir.
À la conférence du FMI de l’année dernière Lawrence Summers, essayant vraisemblablement de rester pertinent, invoqua cette idée à nouveau pour expliquer pourquoi les économies dominantes se languissaient alors avec une faible croissance (ou sont encore en récession comme dans le cas de l’Europe).
Un certain nombre d’économistes sautèrent dans le train — qui ne mène nulle part si vous réfléchissez clairement à la question.
Ils soulignent tous combien la « reprise » depuis la dernière crise a été très différente des précédentes récessions — beaucoup plus lente et faible et que la politique monétaire semble inefficace malgré des programmes d’achats massifs d’obligations par les banques centrales.
Comme Matthew Yglesias le souligne :
Même aujourd’hui, le taux de chômage demeure à de hauts niveaux bien que la Réserve Fédérale ait maintenu les taux à zéro pendant plus longtemps que n’importe qui aurait cru possible.
Rien de cela n’aurait dû surprendre quiconque comprend vraiment comment fonctionne le système monétaire et la façon dont réagissent les gens lorsqu’ils sont confrontés à un chômage et une perte de revenu massifs.
Espérer une reprise entrainée par le crédit bancaire — parce que les banques centrales accroissent leurs réserves bancaires — se méprend fondamentalement sur le rôle des réserves et le fait que les banques ne les prêtent pas aux entreprises.
Lisez je vous prie les billets suivants — Augmenter les réserves bancaires n’accroîtra pas les crédits et Augmenter les réserves bancaires n’est pas inflationniste – pour plus de discussion.
Jamais la politique monétaire n’aurait pu être suffisante pour résoudre la chute de demande créée lors des premiers jours de la Grande Crise Financière (GCF).
L’autre changement majeur de cette récession comparée aux précédentes a été la domination de la pensée néo-libérale et son rejet des déficits publics.
Il y a des points communs avec les débuts de la Grande Dépression lorsque le point de vue du Trésor Britannique dominait. Lisez je vous prie mon billet — Les contraintes macroéconomiques réduisent l’action individuelle à l’impuissance — pour plus de discussion sur ce point.
Les coupes dans les salaires et le choix exclusif de la politique monétaire avaient alors échoué dramatiquement et la Dépression fut amplifiée chez la plupart des pays. Seule une augmentation massive de la dépense agrégée y mit fin une décennie environ après ses débuts.
Tandis que Hansen pensait que la croissance de la population amènerait l’investissement nécessaire pour maintenir la croissance de la dépenses, nous avons de meilleures alternatives maintenant que nous comprenons mieux les limites écologiques de la croissance et combien de personnes la planète peut supporter de manière durable.
Les villes sont déjà congestionnées et les systèmes de transports défaillants. La dernière chose que nous voulons est un investissement massif dans le logement qui mettent les gens à des kilomètres à l’extérieur des villes et les oblige à dépendre de leurs voitures pour le travail etc., en l’absence de réseaux de transport public robuste.
Le Washington Post (31 octobre 2014) considère la théorie de la stagnation séculaire – Voilà pourquoi l’économie a chuté et ne peut se relever. – et a recyclé le graphique que Lawrence Summers avait introduit, qui montre la croissance effective du PIB réel et les diverses (et déclinantes) estimations du PIB potentiel par le Bureau du Budget du Congrès américain alors que la crise sévissait.
Le graphique est reproduit ici :
L’article du Washington Post pense que la signification du graphique est que :
… en l’absence d’une bulle ou d’une relance, il pourrait ne jamais y avoir assez de demande pour nous garder hors de la quasi-récession, voire pire
Et que la « stagnation séculaire pourrait tourner la demande déficiente en offre déficiente » via le processus d’hystérèse.
L’auteur affirme que cela surviendrait :
… parce que les chômeurs de long-terme pourraient devenir inemployables, et que trop peu d’investissements aujourd’hui pourrait créer un goulot d’étranglement qui empêcherait l’économie de croître autant à l’avenir.
C’est exact seulement si nous continuons à dépendre du marché privé pour notre salut.
J’ai écrit dessus auparavant (c’était une partie majeure de ma thèse doctorale en fait). Par exemple, très récemment – La myopie du néolibéralisme et de FMI est évidente pour tous – pour plus de discussions sur ce point.
L’auteur du Washington Post comprend que les économies du monde :
ont besoin … de plus de dépense d’infrastructures, et de moins de pinaillage sur le déficit qui, contrairement à notre reprise économique, n’est pas un problème urgent. Nous avons besoin de réaliser qu’attendre simplement que la croissance nous rattrape est la nouvelle attente pour Godot — et que nous ne pouvons nous l’offrir. [NdT : faire passer le message à François H.]
Exactement, sauf que le déficit fiscal ne peut jamais être vraiment un problème à moins que le gouvernement soit suffisamment stupide et le pousse au-delà des capacités de l’économie à absorber le supplément de dépense nominale.
L’hypothèse de la stagnation séculaire n’évite d’être un non sequitur seulement si nous excluons la plus importante des intuitions de cette analyse — que le gouvernement peut toujours stimuler la croissance à travers une dépense accrue.
Les prétentions de la stagnation séculaire ne prennent de l’ampleur que parce que nous sommes encore sous l’emprise de l’ensorcèlement libéral.
Les chômeurs de long-terme ne sont pas une contrainte sur la croissance si le gouvernement choisit d’intervenir.
Tandis que l’investissement du secteur privé, qui est gouverné par des considérations de profitabilité, peut être insuffisant (pendant et après une récession) pour accroître le potentiel de production suffisamment rapidement pour réabsorber les chômeurs qui ont perdu leurs emplois lors de la récession, une telle situation ne s’applique pas à un gouvernement émetteur de sa devise voulant introduire un Employeur en Dernier Ressort. [NdT : appelé Job Guarantee par W. Mitchell, cf L’Employeur en Dernier Ressort]
L’idée est que l’introduction d’un Employeur en Dernier Ressort crée simultanément la capacité supplémentaire de production requise pour la viabilité du programme.
Les capacités de dépenses des gouvernements émettant leurs devises ne sont pas contraintes par les anticipations de la demande globale future de la même manière que le pessimisme érode les décisions de dépenser des entreprises qui sont guidées par des considérations de profitabilité.
Des recherches où j’étais impliqué pendant de nombreuses années, la majorité des emplois identifiés comme correspondant aux ouvriers peu qualifiés seraient dans les types d’activité à faible intensité de capital, bien que cela varierait selon les types de besoin particulier (équipement de transport, services à la communauté, santé et sécurité publiques, et le divertissement et la culture etc.).
Le résultat est que le gouvernement a tant la capacité réelle que financière pour investir dans et se procurer le capital requis en temps voulus. Le pessimisme, qui contraint l’investissement du secteur privé au début de la reprise, n’entre pas en compte.
Lisez je vous prie mon billet – Un Employeur en Dernier Ressort crée la capacité supplémentaire de production requise – pour plus de discussions sur ce point.
Il est évident que la situation actuelle où la plupart des économies avancées luttent pour restaurer la croissance en se reposant sur les forces auto-correctrices du marché est le même problème que Keynes et Hansen affrontaient dans les années 1930.
Le remède est le même que celui découvert avec le début de la Seconde Guerre Mondiale – la dépense gouvernementale peut remplacer la dépense privé réticente.
Sans intervention fiscale, le marché privé peut être coincé dans des états d’équilibres (où toutes les décisions obtiennent les résultats anticipés) qui comportent des niveaux de chômage élevés.
Aussi les entreprises en viennent à anticiper une croissance très faible et réduisent le taux de création de capacités tandis que les consommateurs prennent des habitudes de grande prudence. La production et le revenu généré résultants renforcent ces anticipations et il n’y a pas de dynamique pour provoquer un changement. Les entreprises ont suffisamment de capacités productives et l’économie se retrouve coincée à un état avec chômage élevé.
Le problème est aggravé en zone euro parce que, en ignorant les contraintes fiscales ridicules imposées par le Pacte de Stabilité et de Croissance, les gouvernements des États membres sont financièrement contraints par le fait qu’ils utilisent une devise étrangère et que la banque centrale (qui émet cette devise) est réticente à souscrire à ces déficits publics. [NdT : La chose est moins claire en vérité : ce serait plutôt certaines banques centrales nationales, en particulier allemande, qui s’y refusent obstinément. Ainsi, Christian Noyer, l’actuel gouverneur de la Banque de France, a affirmé que « La BCE pourrait acheter des emprunts d’État si nécessaire. »/a>]
Les nations émettant leurs devises ne sont pas contraintes du tout de cette manière. Ces contraintes fiscales sont toutes volontairement imposées et pourraient être éliminées immédiatement du sein du système monétaire existant.
Les contraintes de la zone euro sont inhérentes au cadre de leur système monétaire et requerraient des changements au traité — un processus tortueux. Une nation de la zone euro serait mieux avisée d’abandonner l’euro et de réinstaurer sa propre devise — quelque chose qui peut être fait dans un très court laps de temps s’il y avait la volonté politique.
Mais une nation émettant sa devise pourrait immédiatement créer une croissance économique plus forte avec un Employeur en Dernier Ressort accompagnées par d’autres initiatives de dépenses.
Conclusion
L’affirmation que la croissance est due à une stagnation séculaire ne survit que parce que le débat économique est contrôlé par les cercles intellectuels néo-libéraux.
La croissance serait revenue à plus ou moins sa normale après la récession si les gouvernements avaient suffisamment augmenté leurs déficits et n’avaient pas essayé de les réduire prématurément.
Les gouvernements européens devraient dans presque tous les cas avoir des déficits substantiellement supérieurs (le double voire plus dans certains cas) pour répondre aux effets de moyen et long termes de la crise. Si la BCE garantissait toute émission de dette de la zone euro, il n’y aurait pas besoin de cette austérité.
Tout ce que cela signifie est que les gouvernements devraient faire tout leur possible pour éviter les récessions.
Non seulement cette stratégie de politique d’intervention précoce éviterait une perte massive de revenu à court-terme et une hausse brutale du chômage qui accompagne une récession, mais les dommages à plus long terme aux capacités de production de l’économie et la détérioration de la qualité de la population active pourraient aussi être évités.
Un gouvernement national, émettant sa devise peut toujours fournir suffisamment de dépenses agrégées en un temps relativement court pour compenser un effondrement de la dépense non-gouvernementale, qui, si elle est ignorée, mènerait à ces conséquences dommageables à court et long termes.
L’approche « attendre que le marché fasse son travail » est très largement inférieure et ne ruine pas seulement les vies des individus qui sont forcés à en subir les coûts de manière disproportionnée pendant les récessions économiques, mais sape également la prospérité future de leurs enfants et des générations suivantes.
Le néochartalisme et différents modes de production
Une note aux lecteurs réguliers. Certains commentaires récemment portèrent sur le besoin de basculer vers le socialisme et d’abandonner les tendances destructrices du capitalisme. Apparemment, cela signifie que le néochartalisme [NdT : son nom commercial anglo-saxon : Modern Monetary Theory (MMT)] serait quelque peu à côté de la plaque.
Pas du tout. Le néochartalisme fournit une compréhension du fonctionnement des systèmes monétaires indifféremment d’une propriété privée (Capitalisme) des moyens de production (capital), ou d’une propriété publique (Socialisme) ou d’aucune « propriété » du tout (Communisme).
Les mêmes questions surviennent — y compris celles que nous avons discuté dans le billet d’aujourd’hui.
Ce sera tout pour aujourd’hui !
(c) Copyright 2014 William Mitchell. Tout droit réservé.
Passez le message …