Je continue à enfoncer le clou concernant la réalité des taux d’intérêts des dettes publiques de la plupart des systèmes monétaires contemporains. Cette fois-ci, je m’intéresse à deux pays des BRICS, ces fameux pays émergents qui pourraient nous apprendre comment améliorer nos économies européennes (en fait : réapprendre ce qui avait permis notre réussite et que nous avons oublié). Commençons par l’Afrique du Sud (le S dans BRICS).
Sur ce demi-siècle de distance, on constate clairement, une fois de plus, la large vacuité du marché à définir les taux de la dette publique sud-africaine. La South African Reserve Bank (banque centrale centrale sud-africaine) dispose de la capacité de créer en quantité potentiellement illimitée des rands sud-africains (monnaie souveraine d’Afrique du Sud), et propose à tous les investisseurs de bénéficier de son taux directeurs jusqu’à ce que ceux qui souhaitent placer des rands ou en emprunter s’alignent sur le taux directeur. Du coup, pour acheter de la dette fédérale sud-africaine, on peut toujours obtenir au taux directeur et auprès de la banque centrale, organe de l’État sud-africain, les rands, monopole d’État sud-africain, que le Trésor, organe de l’État sud-africain, souhaite emprunter pour s’autoriser à dépenser. Le graphique est sans pitié pour la vulgate néolibérale de l’État « discipliné par les marchés » : les marchés sont de purs opportunistes et se ruent sur les profits rapides et sûrs de la dette publique ; les taux directeurs, administrativement fixés par la South African Reserve Bank détermine presque complètement les taux de la dette, le coefficient de corrélation est extrêmement élevé à 0,991, ça ne laisse que très peu de place pour le jeu du marché. Le Trésor public sud-africain n’a donc ni de problème de taux « hors de contrôle » ni de financement limité, car c’est la banque centrale qui y pourvoit. Je n’ai pas pu trouver de taux interbancaire sud-africain (JIBAR) aisément disponible, mais la qualité statistique des deux séries présentées est bonne. Enchaînons avec le Brésil, l’initiale dans BRICS.
Bien qu’on observe le même enseignement, le cas brésilien le fait de manière plus, disons, laxiste. D’abord, les séries sont beaucoup plus courtes, même pas la moitié de celles de l’Afrique du Sud, ensuite celle concernant le dette publique réussit néanmoins à ne pas rendre disponible quatre occurrences, celles de septembre 1999 et de novembre 2002 à janvier 2003, enfin, le brésil est le pays qui, de ceux que j’ai étudié à ce jour, connaît les plus fortes déviations par rapport aux taux directeurs (notamment fin 2001). Aussi le taux de corrélation est sensiblement moindre, à 0,944, mais l’habitude des coefficients de corrélation stratosphériques auxquels nous a donné droit les autres pays sur ces mêmes questions ne doit pas nous faire oublier que les statisticiens sont ravis de déceler un coefficient de 0,7, et il est aux anges s’il en trouve un de 0,8. 0,944 demeure donc tout particulièrement élevé et significatif.
Après les États-Unis, le Royaume-Uni puis le Japon, l’Afrique du Sud et le Brésil suggèrent encore plus fermement aux esprits rétifs que la dette publique n’est qu’un petit jeu comptable sans importance tant au niveau des taux de cette dette publique qu’au niveau de la solvabilité de l’État émetteur, chez les pays disposant de leur souveraineté monétaire (disposant du monopole libre d’émission de leur monnaie). Je compte accumuler une dizaine environ de graphiques de ce genre. De quoi enfoncer le clou jusqu’au bout et ne plus jamais entendre « Vous n’avez montré qu’un cas très particulier. ».
[Ajout du 4 août 2012] Voici un autre graphique concernant l’Afrique du Sud, plus court, mais déjà très explicite, et surtout montrant le taux interbancaire. On observe bien le constat habituel :
Note :
1 Voici les dix autres de la série :
L’Inde
La Nouvelle-Zélande
L’Australie
La Suède
Le Canada
L’Afrique du Sud
Le Brésil
Le Japon
Le Royaume-Uni
Les États-Unis d’Amérique
Assez décoiffant!
Question naïve: où va l’argent? Est-ce que cet argent n’est pas transmuté en patrimoine? Par exemple, des surfaces considérables de terrains agricoles sont achetés par les pays détenteurs de dettes et par les fonds souverains. Compte tenu de la très faible protection légale touchant la propriété des exploitants locaux des pays du sud, ceux-ci se font déposséder de leurs terres. Et le comble, c’est que même pas 10% de ces terres ayant changé de main sont exploitées, démontrant qu’il s’agit de placements refuge.
http://echogeo.revues.org/12008
Alors, quand je vois ça, je me dis une fois de plus qu’un néobancor, qui ne serait en rien métalliste (cad rattaché à aucun ancrage fixe), et permettant aux monnaies de flotter en empêchant la manipulation des taux de changes, me semble toujours d’actualité. Parce qu’une manipulation des taux de change, c’est en définitive une entorse au flottement huilé des monnaies.
Pour le néobancor (seulement une unité de compte de compensation, aucune monnaie), il suffit de fixer son cours à n’importe quelle valeur initiale (par exemple 1 bancor=1dollar et pour le reste le mieux serait de respecter les taux de change actuels/dollar comme point de départ) et ensuite de faire flotter les monnaies/bancor tous les ans en fonction du compte de compensation (s’il est positif, on réévalue/bancor, si il est négatif on dévalue/bancor).
Je crois que la réponse que tu cherches est que la dette publique est détenue par les financiers, et leur sert de collatéral pour leurs échanges, ou de réserve de monnaie via une facile revente. De toutes façons, les banques peuvent déjà se faire autant de prêts qu’elles souhaitent à crédit puis se servir de divers collatéraux et autres pour solder leurs comptes auprès de la banque centrale. Donc, toute cette dette publique ne fait vraiment qu’arrondir les fins de mois des financiers. Ce n’est pas la quantité de monnaie disponible qui limiterait le crédit prédateur, mais les réglementations fermement appliquées. C’est ça qui évite l’usure, les bulles spéculatives, les manipulations de marché, etc.
Dembinski Pawel H., L’endettement international, Que sais-je, PUF, Paris, 1989, 125 p., p. 49-51
Bonjour Jibé
Les exemples que tu accumules sont très convaincants; il me semble qu’il faudrait expliciter ce qui est sans doute pour toi une évidence:
Le « spread qui donne le spleen… » (voir ici:
http://www.france-alter.info/EURO_FLOP.jpg ), est bien la preuve, (si besoin était), que l’euro est une monnaie in-viable, (en plus d’être injuste et absurde: on ne punit pas la Lozère parce qu’elle exporte moins que la Picardie !)
il est apparu début 2009 que l’Euro n’est pas une monnaie souveraine, exactement lorsque la BCE s’est montrée incapable d’imprimer son taux directeur aux dettes publiques exprimées en Euro !
Lorsque les marchés se sont rendus compte qu’elle ne jouait pas, (ou fort mal), son rôle de « préteur en dernier ressort », (en intervenant seulement sur les marchés secondaires, méthode à la fois coûteuse et inefficace), la danse infernale autour du cercueil a commencé… le cercueil de la démocratie, s’entend… puisque, quel que soit le résultat des élections, les gouvernants sont dans la situation de pantins gesticulant de façon désordonnée pour « rassurer les marchés » !
C’est un poil plus subtil que ça : La moyenne pondérée des taux des divers trésors suit quasi-certainement le taux directeur. Dans ton graphique, la France et l’Allemagne voient leurs taux baisser, et leurs marchés de dettes publiques pèsent particulièrement lourd. Je ne suis même pas convaincu que l’euro-système puisse au final se permettre de laisser un Trésor faire défaut involontairement, tant ce serait un séisme politico-financier (qu’on pense aux banques trop grosses pour faire faillite pour avoir une idée du poids des États). Sauf que l’euro s’est pris à son propre piège : soit il accepte de prêter indéfiniment aux pays dont les taux s’envolent et la fiction de la contrainte de financement de ces États devient alors grotesque, soit il force ces États à mimer la contrainte budgétaire jusqu’au bout et alors l’euro se fracasse contre la nécessité du déficit public.
C’était là que j’avais traité ces questions https://frappermonnaie.wordpress.com/2012/06/16/une-intox-a-jet-continu-22/
Sous la figure des taux brésiliens, vous écrivez : « Les taux de la dette publique (vert) suivent les tau directeurs (bleu) très largement. », mais l’on voit nettement que ce sont les taux directeurs qui suivent les taux de la dette publique, c’est le contraire.
Cela dit, si vous tenez à faire valoir votre cause, vous feriez mieux de vous montrer plus didactique au lieu d’enfoncer toujours les mêmes clous avec toujours le même marteau.
Bien cordialement
Effectivement, la courbe bleu semble suivre avec un petit décalage la courbe verte. Ce n’est pas toujours vrai : les deux premières baisses vertes surviennent après les descentes bleu, et non avant, comme par la suite. J’ai vérifié les dix graphiques, seul le Brésil affiche cette particularité. Tu peux le constater toi-même avec l’Afrique du Sud sur ce billet.
Quel en est l’explication ? J’ai fouillé un peu à travers le site de la Banque Centrale du Brésil, et j’ai pu constater par exemple sur cette page, un fonctionnement assez classique, avec repo sur le marché secondaire de la dette publique etc ce qui est moins efficace et laisse plus de marge que par exemple la rémunération des réserves au taux directeur. Je conjecture que la BCB est devenue particulièrement conservatrice et prédictible, et que les acteurs du marché anticipent ses mouvements, obtenant leur fonds plus cher lorsqu’ils anticipent la hausse et moins cher lorsqu’ils anticipent la baisse. Ce n’est pas très clair.
Ce qui est sûr, c’est que la BCB est l’émettrice par monopole légal du réal brésilien et que ses taux directeurs (principalement le SELIC du marché secondaire de la dette publique brésilienne) sont décidés administrativement (dans un premier temps) par le Copom. Les marchés eux, ne peuvent trouver de réals brésiliens que ce qu’on veut bien leur donner, et sont donc par là-même tenus par l’état des marchés.
Voilà, j’espère que ça répond à ta question.
Oui, ça répond très bien à ma question. Merci.