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Des métallistes se rapprochent du néochartalisme

Cet article de Zero Hedge, un site largement partisan du retour à l’or ou d’une autre monnaie individualiste comme le bitcoin, possède néanmoins de bonnes capacités d’analyse et de diffusion. L’article The 1937 recession est intéressant parce qu’il montre que leur recherche de la vérité les rend étrangement similaire de mon article sur cette récession américaine de 1937-1938, chapitre de mon livre fourni en avant première, enfin je vous recommande vivement l’article de Kalecki prédisant dès 1943 tout notre avenir économique avec succès à partir de cette récession de 1937…

La récession de 1937

La Réserve Fédérale américaine a terminé son dernier programme d’achats d’obligation à la fin du mois précédent. Bien que les officiels de la Fed eurent du mal à souligner que cela ne représentait pas un resserrement de la politique monétaire, mais au plus un arrêt de la fourniture de stimulus monétaire, les acteurs du marché financier n’en sont pas totalement convaincus. Ils ont peur que le changement de politique de la Fed ne survienne avant que la croissance des États-Unis ne soit fermement établie. Ils s’inquiètent que l’économie des ÉU ne glisse à nouveau dans la récession par un manque de soutient monétaire adéquat. Certains citent l’exemple de 1937-38 lorsque les ÉU souffrirent d’un retournement sévère des affaires quatre années après la Grande Dépression. Ils attribuent cela à un resserrement intempestif de la politique de la Fed. Ils expliquent que Mme Yellen et ses collègues pourraient répéter l’erreur de leurs prédécesseurs il y a quatre-vingts ans.

De nos jours, les événements de l’économie des ÉU durant les années 1930 sont vus principalement à travers le prisme de ‘A Monetary History of the United States, 1867-1960’ de Milton Friedman et Anna Schwartz. C’est très certainement un travail qui a grandement influencé Mr Bernanke dans ses réponses aux défis politiques qu’il affronta après 2008. Les marchés financiers acceptèrent largement le point de vue de Friedman/Schwartz que les troubles de la Grande Dépression et ses suites étaient la conséquences de politiques monétaires défectueuses. Cependant, nous devons nous souvenir que le travail de Friedman/Schwartz n’était pas entièrement objectif ; il fut produit en soutien à leur thèse selon laquelle les variables monétaires sont la clé des variations économiques de court-terme. Il n’est donc pas surprenant que leur récit de l’expérience des années 1930 aboutisse à cette conclusion. Il accorde énormément de poids à la politique monétaire de la banque centrale pour générer et amplifier ces fluctuations, tout en négligeant ce qui pourrait être d’autres influences importantes. Lorsque, en 2008, l’économie globale plongeait dans une crise largement reconnue comme la plus dangereuse depuis les années 1930, l’analyse de Friedman/Schwartz gagna naturellement de l’influence, en tant que texte pertinent dans de telles situations, et avec cela vint l’hypothèse actuelle que la politique de la banque centrale détermine suffisamment si l’économie atteindra ou non une croissance durable avec des prix stables. Il semble aussi à de nombreux observateurs, particulièrement dans les marchés financiers où les analyses historiques sont de seconde-main, que les banques centrales devraient être sur leurs gardes pour ne pas répéter les erreurs dont on les croit responsables pendant toutes ces années-là. C’est pourquoi il y a maintenant une forte focalisation sur la contribution supposée de la Fed pour précipiter la sévère récession de 1937-38.

Le recul de l’économie des ÉU en 1937-38 était tout sauf petit. Le chômage monta de 14,3 % à 19,0 % avec une production manufacturière qui souffrit une chute maximale de 37 % et des revenus personnels qui déclinèrent de 15 %. En comparaison, durant la Grande Dépression aux ÉUA, le chômage était monté de 3 % à 21 %, la production industrielle avait plongé de 45 % et les revenus personnels de 44 %. (Il est bon de noter que la récession post-2008 n’a pas généré de statistiques d’ordre de grandeur similaire à ceux relatifs à un de ces deux épisodes, si ce n’est la destruction d’emploi qui fut grossièrement de même taille qu’en 1937-38). L’analyse monétariste voit la récession de 1937 comme une conséquence d’un resserrement prématuré de la politique de la banque centrale des ÉU, commençant en août 1936. Durant l’année précédente, les réserves détenues par les banques s’étaient empilées jusqu’à deux fois le minimum légal, une étrangeté qui perturba Marriner Eccles, alors président de la Fed. Lui et d’autres officiels de la Fed et du Trésor s’inquiétaient que les réserves excédentaires pourraient être inflationnistes ou se traduire par une bulle d’actifs, puisqu’elles donnent aux banques une capacité massive d’augmentation de leurs prêts. En conséquences, la Fed décida, en trois étapes, de doubler son niveau de réserves requises. C’est une action qui, selon le récit monétariste, déclencha la récession de 1937-38. Certainement, il y avait une relation temporelle appropriée entre le mouvement de la Fed et la récession économique, avec le premier venant avant la seconde. Néanmoins, bien que les données soient rares, il n’apparaît pas que le durcissement du minimum des réserves fut un facteur décisif, parce que le comportement des banques prêteuses membres après cette action de politique était similaire à celui des banques non-membres non-affectées. Si des réserves obligatoires supplémentaires avaient fait une différence substantielle dans le comportement des banques prêteuses, les banques membres auraient dû être plus contraintes que les banques non-membres. Le récit monétariste de ces évènements n’est pas tant que ça convaincant.

Nous devons garder à l’esprit que la structure financière du milieu des années 1930 était substantiellement différente d’aujourd’hui. Une différence importante réside dans le poids relatif de l’or dans le système monétaire. Les ÉUA sortirent de l’étalon-or en 1933 mais avec la Loi sur la Réserve d’Or de janvier 1934, l’administration Roosevelt retira les pièces d’or de la circulation et fixa le prix en dollar des ÉU à 35$ l’once. À ce prix, l’or inondait les États-Unis depuis les États de plus en plus troublés d’Europe, accroissant ainsi l’offre de monnaie des ÉU. La liquidité croissante des marchés de capitaux propulsa les prix des actifs et encouragea l’activité spéculative. En conséquence, le capital était très mal alloué. Tardivement, le Trésor des ÉU agit pour stériliser les effets monétaires de ces influx d’or. Comme le flux de liquidité vers les marchés était coupé, le caractère improductif de beaucoup d’investissements financiers durant les années de reprise était devenu manifeste. L’économie alors atteint un pic puis glissa.

Cette interprétation de l’école autrichienne des événements correspond aux fait plutôt mieux que le récit monétariste. La leçon pour les décideurs politiques aujourd’hui est inconfortable. Parce que, selon ce point de vue, s’il y a un parallèle avec les années 1930, les dégâts ont déjà été fait. Ils furent faits lorsque la Fed permit aux fonds disponibles pour l’investissement dans les marchés de capitaux de gonfler en une bulle, cette fois pas à travers des influx d’or non stérilisés mais à travers l’expérimentation de l’assouplissement quantitatif.

Il y a, en effet, d’autres facteurs qui peuvent avoir conduit à la récession de 1937-38. Contrairement à la croyance populaire. la politique fiscale de Roosevelt jusqu’à 1937 ciblait le déficit zéro ; le gouvernement ne recourut à de la relance keynésienne qu’en réponse à la récession. La politique fiscale était beaucoup plus laxiste à la suite de la débâcle de 2008 qu’elle ne le fut après 1933. Cela devrait nous avertir contre la supposition d’une trop grande similitude des deux périodes.

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Le déficit public et non la guerre mit fin à la Grande Dépression

Qu’on se rassure, je suis bien vivant. J’expliquerai dans un prochain billet les raisons de ma longue absence. En attendant, voici un billet qui, je l’espère, vous plaira.

Les libéraux n’aiment pas parler de la Grande Dépression : c’est en effet l’événement qui a imposé la mise en place de doctrines qui leur sont contraires, et ils ont dû longtemps faire profil bas. Avec leur retour en grâce, principalement durant les années 1970, ils se sont même mis à répandre divers mensonges qui leur rende la mémoire beaucoup plus confortable, comme la prétendu accession de Hitler par l’hyper-inflation de la République de Weimar. Mais c’est un point plus général que je voudrais éclaircir ici : leur allégation selon laquelle c’est l’économie de guerre qui a fait la croissance post-Grande Dépression, et qu’une économie ne peut pas croître de manière pérenne avec l’aide de déficits publics, qui ne causeraient qu’inflation et réductions de la croissance. Je reviendrais sur l’après-guerre, mais il est important de noter que dès l’entre-deux guerres, on pouvait réfuter cette affirmation, grâce au cas des États-Unis (l’Allemagne ne s’autorise le déficit public qu’en 1933, avec l’accession de Hitler au pouvoir). Voici un graphique rassemblant les variables clés par trimestre du prétendu « échec » du New Deal :

La production industrielle n’est pas toute la production domestique, mais on peut facilement vérifier que l’allure de la courbe est identique en comparant avec la série GDPCA. La série sur la production industrielle a deux avantages : elle exclut la finance, elle peut être étudiée par trimestre, contrairement à GDPCA, série annuelle.

On remarque d’abord la dramatique contraction économique à partir de la fin 1929 : entre leurs pics du troisième trimestre 1929 et leurs planchers, le niveau des prix chute de 27 %, et la production industrielle de 51 %. Cette période de trois ans et sept mois mérite sincèrement son nom de « grande dépression ». Elle a suivi un entre-deux-guerres composé de surplus budgétaires annuels, de récessions épisodiques (janvier 1920 à juillet 1921, mai 1923 à juillet 1924, octobre 1926 à novembre 1927), de croissance néanmoins (75 % de production industrielle en plus), d’euphorie spéculative par le crédit comme sur l’immobilier en Floride, avec aussi bien sûr les fameux marchés boursiers. Toutefois, l’instabilité du crédit fait que les gains sont tout simplement plus qu’effacés : la production depuis son pic en juillet 1929, redescend en juillet 1932 18 % en dessous de son plancher d’entre-deux-guerres (mars 1919). La magie du crédit s’est clairement évaporé. Pourtant, les techniques de production n’ont pas disparu, les usines n’ont pas subi de tremblement de terre, ouragan, inondation et autre à travers tout le pays, les employés sont toujours là, sauf qu’ils sont massivement au chômage (de 0,58 % de chômage au troisième trimestre 1929 à 25,37 % au deuxième trimestre 1933, série M0892AUSM156SNBR), etc. Quelle peut-être la solution face à ce qu’il faut bien appeler un échec du libre marché ?

Le marché indique tout seul la marche à suivre et force le budget fédéral à quitter ses « sains surplus assurant l’avenir » en faveur de déficits publics, à la plus grande peur des dirigeants. Hoover tente laborieusement de faire passer l’austérité fiscale, et y parvient très largement fin 1932, ce qui brise nette la timide reprise de la production industrielle au quatrième trimestre 1932. Retour à de plus amples déficits. Sur ce, Roosevelt est élu, qui promettait lui aussi l’équilibre budgétaire, et en est tout près au troisième trimestre de 1933 ; la production industrielle rechute encore lourdement au trimestre suivant. Ensuite, voici les fameux mais encore timides déficits publics du New Deal avec une croisade : redonner du travail au plus de monde possible. Grands travaux tous azimuts, augmentation des commandes publiques, agences publics employant les chômeurs fortement augmentées ou crées, etc. mais en limitant les budgets. Inquiet du financement des déficits, Roosevelt détend la contrainte de l’or qui servait de guide à Hoover, en diminuant la quantité d’or promise par dollar de 41 % ; les déficits oscillent à un étiage élevé : entre 500 et 1 000 millions de dollars (c’était alors beaucoup). La production industrielle cahote un peu mais remonte. Avec le Deuxième New Deal décidé en 1935, les mesures prises sont sans équivoque et le déficit public aussi : presque 2 500 millions de dollars au deuxième trimestre 1936. La production industrielle n’hésite plus et remonte en ligne droite, dépassant son pic de 1929. Le chômage est en-dessous de 12 % les trois premiers trimestres de 1937. Puis, à partir de la mi-1937, les faucons de l’austérité reprennent la main, et sont décidés des déficits réduits. La production industrielle replonge, le chômage dépasse 19 % mi-1938, les prix se remettent à baisser. Retour aux déficits publics, mais cette fois la guerre est inévitable, les États-Unis deviennent de fait l’arsenal des démocraties avant d’entre directement en guerre, et effectivement, la production industrielle dépasse à nouveau son pic de 1929 pour s’envoler après un dernier accroc (concomitant à une réduction du déficit naturellement), parce qu’ensuite plus personne n’ose s’opposer aux déficits publics qui crèvent le plancher. Les prix connaissent alors une forte inflation, mais n’ont toujours pas retrouvé leur niveau de 1929 lors de l’entrée en guerre. Le chômage atteint 1,26 % au deuxième trimestre 1942.

Remarquons aussi que la Federal Reserve fut impuissante durant tout le processus : confrontée à un retrait d’or massif, elle augmente son taux directeur en pleine dépression, après avoir tenté de stimuler le crédit par des baisses. Ensuite, elle maintient son taux ou l’abaisse encore, laissant transparente la corrélation entre les déficits publics et la production industrielle. Il faudra attendre les généreux déficits publics d’après-guerre pour que l’économie soit suffisamment riche pour se permettre d’être sensible au crédit et donc aux variations de son taux d’intérêt.

La conclusion s’impose : Une fois la bulle du crédit épuisé, la monnaie promise par ce crédit reprend tous ses droits et devient l’aiguillon incontesté de l’activité. Ce n’est pas la prétendue inaptitude des déficits publics à relancer l’activité qui serait prouvée par les années Roosevelt, et que seul la guerre aurait relancé l’économie. Au contraire, les déficits publics avaient relancé l’économie bien avant, et l’industrie avait retrouvé son pic avant que ne viennent les commandes d’armement. C’est tout à l’inverse la manie libérale de ligoter l’État dans un corset budgétaire qui a permis aux commandes d’armement de prétendre aussi au titre de fin de la Grande Dépression. Il est symptomatique que les libéraux préfèrent très souvent dire de l’industrie qu’elle n’a retrouvé son niveau de 1929 qu’alors, en éludant tous les développements entre les deux. Si les libéraux avaient fait ce qu’ils prétendent faire — démystifier l’économie pour donner à tous les clés de la prospérité — alors Hoover n’aurait pas été si entêté, ni Roosevelt si hésitant, et la Grande Dépression aurait été bien moindre.

Voilà un billet qui illustre une autre partie du fameux article de Kalecki. C’est tout autre chose que la théorie complètement ad hoc du déficit public qui ne pourrait rien relancer, sauf en cas de guerre, sans qu’on sache comment la guerre rendrait exceptionnellement ce déficit efficace.

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