La passivité du crédit confirmée par la BRI

Comme l’auteur de ce blog ne jouit pas d’un prestige social exagéré, il se peut que ma sortie contre la prétendue possibilité pour les banques de créer à volonté du crédit pour peu qu’elles en aient les réserves ait rencontré du scepticisme.

Si on ne me croit pas, qu’on croit au moins les experts de la vénérable institution qu’est la Banque des Règlements Internationaux (BRI), la plus ancienne institution financière internationale, qui explique peut-être un peu trop précisément pour que ce soit clair que le désir d’emprunter et la solvabilité de celui qui désire emprunter sont les contraintes dominantes et que les réserves n’ont qu’un rôle très secondaire, loin du mythe des banquiers centraux déterminant le niveau d’activité.

En fait, le niveau de réserves n’influe qu’à peine les décisions par les banques de prêter. Le montant de crédits en cours est déterminé par l’empressement des banques de fournir des prêts, fondée sur le compromis profitabilité/risque perçu, et par la demande pour ces prêts. La disponibilité globale des réserves ne contraint pas directement l’expansion du crédit. La raison est simple : comme expliqué dans la Section I, lors du graphique I – de loin le plus commun – afin d’éviter une volatilité extrême du taux d’intérêt, les banques centrales fournissent des réserves sur demande du système. Dans cette perspective, un minimum obligatoire de réserves, en fonction de leur rémunération, affecte le coût de l’intermédiation de ces prêts, mais ne contraint pas l’expansion du crédit quantitativement. La principale contrainte exogène sur l’expansion du crédit est l’obligation d’un minimum de fonds propres.

De la même façon, selon le graphique 2, une expansion des réserves en excès de toute obligation ne donne pas aux banques plus de ressources pour prêter. Cela change seulement la composition des actifs liquides du système bancaire. Étant donné la très haute substituabilité entre les réserves bancaires et d’autres actifs gouvernementaux détenus pour des objectifs de liquidités, l’impact peut être au mieux marginal. Cela est vrai dans des conditions tant normales que de tensions. Significativement, les réserves excessives ne représentent pas des ressources oisives ni ne doivent être perçues comme quelque peu rejetées par les banques (encore une fois, rappelez-vous que notre notion d’excès se réfère à une détention au-dessus du minimum requis). Lorsque le coût d’opportunité de réserves excessives est nul, soit parce qu’elles sont rémunérées au taux directeur ou parce que ce dernier heurte le plancher inférieur du taux zéro, elles représentent simplement une forme d’actif liquide pour les banques.

Une illustration récente frappante de ce lien ténu entre les réserves excessives et le crédit bancaire est l’expérience de la Banque du Japon durant sa politique d’« assouplissement quantitatif » en 2001-2006. En dépit d’expansions significatives des soldes de réserves excessives, et l’augmentation associée de la base monétaire, pendant la politique de taux d’intérêt zéro, les prêts du système bancaire japonais n’ont pas augmenté de manière robuste (Figure 4).

Malgré une très forte augmentation de la base monétaire (pièces, billets et réserves, en rouge), le crédit n'a pas bougé (M3, vert), poursuivant leur hausse anémique, ni les prêts émis par les banques (bleu) qui ont continué à baisser jusqu'en 2005, où ils crurent très lentement.

Malgré une très forte augmentation de la base monétaire (pièces, billets et réserves, en rouge), le crédit n’a pas bougé (M3, vert), poursuivant leur hausse anémique, ni les prêts émis par les banques (bleu) qui ont continué à baisser jusqu’en 2005, où ils crurent très lentement.

Soyons clairs : cela ne signifie pas que les banques centrales sont impuissantes à influencer les prêts bancaires. Dans des situations où les prêts sont initialement limités par des contraintes significatives de financement au niveau de la banque – soit par illiquidité des actifs soit par impossibilité d’emprunter – des interventions palliant à cela faciliteront les prêts bancaires. Ainsi, contrairement à l’affirmation populaire que des injections de réserves excessives dans le système bancaire sont inefficaces lorsque le mécanisme de transmission du crédit ou multiplicateur monétaire est « brisé », c’est précisément dans de telles situations que leurs chances d’avoir un quelconque impact sont les plus fortes. Mais le mécanisme sous-jacent fournit les banques en actifs liquides qui liquéfie leurs bilans comptables à un moment où le marché n’est pas préparé à le faire. Les réserves constituent simplement un actif possible parmi beaucoup d’autres pouvant servir à cet objectif.

Source : Rapport officiel de la BRI  via New Economic Perspectives. La traduction est faite par mes soins. La Federal Reserve confirme elle aussi la passivité du crédit.

À noter que la Banque Centrale Européenne s’appuie sur la BRI pour elle aussi rejeter le multiplicateur monétaire, les prêts qui s’ensuivraient automatiquement des réserves émises, et l’inflation qu’elles causeraient :

Dans le secteur bancaire moderne, les décisions de prêts précèdent la disponibilité des réserves chez la banque centrale. Comme Charles Goodhart l’avait finement montré, il serait plus approprié de parler de « diviseur monétaire » plutôt que de « multiplicateur monétaire ».

Merci à Aliena pour cette dernière information. Notons que Charles Goodhart, fameux économiste de la London School of Economics, est donc aussi au courant…

PS du 18 août 2012 : Traduction de ce passage supplémentaire, page 16 (l’emphase est mienne) :

Le papier [NdT : reconnaissance de dette] à court-terme du gouvernement joue quasiment le même rôle : il est généralement liquide, éligible comme collatéral pour les opérations de la banque centrale, sujet à très peu de risque de marché et n’a zéro proportion de capital réglementaire (Table 3). Cela en fait un substitut extrêmement proche aux réserves bancaires en terme de services de liquidité. La même chose vaut pour le papier à court-terme de la banque centrale. En fait, dans la mesure où le papier à court-terme paie des intérêts aux taux du marché, ça peut facilement dominer les réserves bancaires, tout bien considéré.

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    Graphique de l’échec de l’assouplissement quantitatif japonais tiré du même rapport de la BRI.

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