Que change la dégradation de Standard & Poor’s ?

Pas grand chose, en vérité.

Souvenons-nous, en août, Standard & Poor’s (déjà elle même s’il y en a que trois) avait abaissé le AAA américain. Comme ou peut le constater sur ce graphique (cliquez dessus pour l’agrandir), ce moment de la dégradation correspond très exactement à une poursuite de la tendance baissière des taux d’intérêt :

On peut, pour sauvegarder un peu du prestige des agences de notations, estimer que la hausse observée début 2011 anticipe la dégradation. Donc qu’elle n’est pas totalement sans effet. Les mauvaises langues (dont je fais partie) rétorqueront que les S&P’s et consorts ne font que suivre les mouvements du marché et acter ce qu’elles estiment être une insolvabilité détectée par lui. Mais bien pire encore est le fait qu’une fois cette dégradation enfin survenue, la crise mimétique retombe à plat ! Les spéculateurs peuvent faire monter la mayonnaise, en l’occurrence les taux, tant que le défaut est « imminent », mais lorsqu’il doit être là et que tout le monde peut constater son absence, les taux retrouvent leur tendance globales de ces dix dernières années : à la baisse. Il semble même que les spéculateurs soupçonnaient leur supercherie, puisque seuls les bons du Trésor à 10 ans ont anticipé la dégradation, les bons à 1 an se cramponnant à leur platitude.

À l’inverse, et toujours si on soupçonne les spéculateurs d’avoir des arrières-pensées, entre 2004 et mi-2007, ils se sont mis à anticiper un gros accident, mais passager : seuls les bons à 1 an montent et rejoignent ceux à 10 ans jusqu’à les hisser à leur tour le premier semestre 2006 (normal : on ne va pas offrir un prêt moins cher si l’emprunteur met plus longtemps pour le rembourser). La précédente fois ou les deux courbes étaient jointes était la crise des .com, elle aussi un crise grave mais passagère. De mi-2006 à mi-2007 ils retiennent leur respiration, puis, trop pressés de faire face à leurs échéances lors du déclenchement de la crise, ils n’ont plus le cœur à ce petit chantage inconséquent : au lieu d’éprouver plus de difficultés encore à se financer, comme la thèse du budget de l’État identique à celui d’un ménage le suggère, il y trouve un surcroît de facilité. Au Japon, cela fait deux décennies que les spéculateurs n’essaient plus, peu ou prou, de rouler des mécaniques…

On peut encore remarquer d’autres choses, mais ce qui compte c’est de comprendre que, lorsqu’un État disposant de sa souveraineté monétaire laisse cette marge de manœuvre aux financiers de pouvoir jouer un petit chantage en faisant croire qu’ils pourraient avoir mieux à faire que de laisser les réserves excessives être épongées par les bons du Trésor, alors les marchés financiers ne peuvent que jouer à se faire peur, moduler un peu les taux d’intérêt, avant de rentrer dans le rang, tels des enfants capricieux faisant semblant de bouder le repas familial et menaçant de prendre le grand large, avant de s’installer à table et de soulager leurs estomacs criant famine. Comme je l’avais expliqué en citant Jacques Rueff, la monnaie souveraine est la créature de l’État et n’a pas d’utilité autre que celle que lui donne l’État. Dégradation ou pas dégradation.

Maintenant la France. La dégradation de la France a-t-elle un impact ? Non plus, mais l’euro complique encore plus la chose. Au lieu de ne pouvoir financer qu’un seul Trésor, les banques commerciales en ont plusieurs à disposition, elles peuvent donc encore plus crédiblement jouer à se faire peur, en préférant un Trésor au dépend de l’autre. Contrairement à leurs banques centrales, les Trésors ne sont presque que de quelconques ménages ou entreprises. Mais tout comme les banques centrales, et parce qu’elles sont les États, les garants de l’ordre public à commencer par les contrats de prêts, je crois pouvoir affirmer qu’on trouvera toujours un arrangement pour empêcher le défaut de paiement, mais en se faisant beaucoup plus peur dans l’intervalle. L’autre problème de ces inéluctables arrangements, c’est qu’ils sont politiquement très visibles, plutôt que d’être les opaques et désincarnés marchés. En Grèce, par exemple, la population se doute manifestement de quelque chose… J’avais expliqué que le système de pur crédit ne peut que faire faillite ou dégénérer en cavalerie, nous y sommes.

Une autre chose protège la France : Malgré tout, elle demeure la seconde puissance économique de l’eurozone, s’il faut fuir un Trésor pour se réfugier vers un autre de la zone euro, la France sera nettement plus le second par une tendance très lourde. Ce n’est pas éternel, car, à force de se faire dépecer sa puissance, industrielle notamment, les marchés pourront jouer à lui faire beaucoup plus peur, c’est-à-dire à exiger beaucoup plus avant de se résoudre à l’inévitable financement du Trésor français. Les Grecs peuvent en témoigner. Sous la contrainte psychologique que l’élite s’est elle-même créée, elle est capable d’imposer à un peuple ainsi déboussolé la pseudo-nécessité de plans de rigueur, d’appauvrissement généralisé, de renoncement à son modèle social, puisqu’il « n’y a plus d’argent », et effectivement de ne plus mettre l’argent sur la table en pratique ! La règle d’or, encore imposée aujourd’hui alors qu’il n’y a même plus l’or, est l’arme pour conformer la réalité à l’idéologie. En vain, si l’on en croit l’histoire et la philosophie : tout principe rencontre son maître une fois confronté au principe de réalité. En l’occurrence, à force de supprimer tout ce qui ne cadre pas avec l’idéologie, l’économie sera morte guérie par une dépression de grande ampleur type années 1930…

Il est temps de retrouver un pacte social fondé sur la coopération, plus que la compétition de marché. Un pacte social fondant la monnaie sur le plein emploi, plutôt que sur l’illusion que tout le monde peut créer de l’argent comme il le souhaite plus que personne n’en crée : ce n’est que  du crédit à rembourser avec intérêts… C’était un système fondée sur l’hypocrisie et qui s’effondre dans la confusion ; il ne méritait pas mieux. Reste à sauver les pauvres hères embarqués dedans sans s’en rendre toujours compte, loin s’en faut.

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